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Sexisme

Non désir d'enfant: L'inégalité de traitement entre Salomé Saqué et Thomas Pesquet

Non desir denfant linegalite de traitement entre salome saque et thomas pesquet

«Nous sommes dans une société qui, malgré certains discours progressistes, continue à entretenir une image conservatrice de la femme, difficilement séparable du rôle de la mère», regrette la philosophe Elsa Godart.

© INSTAGRAM SALOMESAQUE, THOM_ASTRO, FRANCEINTER

​Lui? Il est «un mec intelligent» et «sexy». Elle, de son côté, est «égoïste» et une «pauvre folle». Autant dire que les louanges ne sont pas tout à fait les mêmes. Pourtant, Thomas Pesquet et Salomé Saqué ont déclaré exactement la même chose avant de se voir qualifiés de la sorte: l’un comme l’autre ne veulent pas d’enfants. Mais voilà, selon qu’on soit un homme ou une femme, les réactions des autres, visiblement, sont très différentes lorsqu’on affirme ne pas désirer de progéniture.

Pour comprendre cet affligeant épisode médiatique, il faut rembobiner jusqu’au 11 octobre 2023. Salomé Saqué, journaliste pour le site Blast, est alors invitée au micro de la radio France Inter pour parler de son nouveau livre Sois jeune et tais-toi.

Entre autres sujets abordés, la jeune Française explique ne pas être attirée par la maternité et vouloir rester sans enfants, comme, selon elle, de nombreuses autres femmes qui choisissent de ne pas procréer pour des raisons aussi diverses que l’écoanxiété, le fait de privilégier sa carrière ou encore de préférer une certaine liberté. Tollé.

Comme une socialisation ratée

Aussitôt mise en ligne sur le compte Instagram de la protagoniste, la vidéo de l’interview a suscité un tsunami de réactions de la part des internautes: plus de 3500 commentaires ont depuis été postés, la majorité des auteurs reprochant à Salomé Saqué son égoïsme, voire une forme d’hystérie. Florilège:

«Une femme qui ne veut pas d’enfants, il y a un bug dans la matrice, l’ingénierie sociale a pris le dessus sur la biologie», «Sincèrement, je ne vois que «Pauvre folle». Égoïste».

Des qualificatifs peu étonnants pour Nicky Le Feuvre, sociologue à l’Université de Lausanne: «Le désir de maternité est pensé comme tellement naturel pour une femme que le choix de ne pas enfanter passe forcément pour le signe d’un dysfonctionnement, qu’il soit défini comme psychique ou comme le résultat d’une socialisation ratée. Il est posé d’emblée comme une curiosité et une transgression de l’ordre des choses.»

Le poids du travail

Les attaques contre Salomé Saqué confinent parfois même au sexisme grossier fleurant la culture du viol: «Je veux bien me porter volontaire pour te féconder», lance un internaute.

Brusque changement d’ambiance quelques jours plus tard quand Thomas Pesquet, le 18 octobre, vient au même micro présenter son ouvrage Ma vie sans gravité. Hasard des choses, le célèbre astronaute français se confie lui aussi sur son choix de ne pas avoir d’enfants avec sa compagne Anne Mottet, arguant que sa carrière passe avant tout. «Moi je n’allais pas arrêter mon travail», fait-il savoir, avant de préciser qu’il ne se verrait pas confier toutes les tâches domestiques à sa partenaire.

Responsabilité masculine

Étrangement, la vidéo, elle aussi postée sur Instagram, n’a pas généré les mêmes avalanches de critiques. Bien au contraire. Thomas Pesquet y est majoritairement porté aux nues par les internautes, qui perçoivent dans ce renoncement à la paternité un acte tout bonnement admirable et responsable: «Chouette qu’un homme soit capable de se poser ce genre de questions», «Les mecs intelligents et cohérents sont décidément les plus sexy».

Quelqu’un semble d’ailleurs mettre le doigt sur le nœud du problème: «C’est son choix, c’est quoi cette injonction à la progéniture?» Question qui, au fond, aurait plutôt dû être formulée de cette manière: pourquoi cette fameuse injonction à la progéniture est-elle tant jetée au visage des femmes et si peu au visage des hommes? Car c’est bien là tout l’enjeu dans cette fronde contre le phénomène childfree.

Les hommes pas très concernés

Voilà bien dix ans que la thématique des personnes qui ne désirent pas enfanter s’est sérieusement invitée dans la sphère médiatique. Dix années où ce sont surtout les femmes qui étaient ainsi questionnées, analysées, jugées, priées d’expliquer leur choix de ne pas passer par la case maternité. Ces messieurs, eux, étant peu invités à donner leur avis, comme s’ils n’étaient pas concernés. Comme si un homme qui ne veut pas d’enfants est un non-événement.

«Très déçu de ne pas avoir eu beaucoup plus le point de vue masculin, dommage la parentalité n’est pas qu’une histoire de mère», regrette par exemple un certain Anthony en commentaire d’un article sur le sujet en 2022.

«Nous sommes dans une société qui, malgré certains discours progressistes, continue à entretenir une image conservatrice de la femme, difficilement séparable du rôle de la mère, regrette Elsa Godart, philosophe et auteure du livre En finir avec la culpabilisation sociale. On nous taxe d’égoïsme en cas de non-désir d’enfant car on fait encore reposer sur nous la responsabilité symbolique de la poursuite de toute l’humanité, les femmes sont toujours attendues pour porter les enfants et faire leur éducation.»

Pas de vraies adultes

À l’heure où les taux de fécondité de nombreux pays tendent à diminuer, cette attente envers elles n’en est que plus forte. La preuve en Chine: lors du dernier Congrès du Parti communiste, Xi Jinping a déclaré vouloir faire revenir les femmes à la maison pour procréer et redresser une pyramide des âges vieillissante. En revanche, aucun appel du pied du leader chinois aux messieurs, comme si la baisse du nombre d’enfants par foyer ne dépendait pas du tout d’eux. En Europe par exemple, les chiffres montrent souvent que les hommes sont un peu plus nombreux que les femmes à ne pas vouloir procréer.

«On a encore du mal à admettre que les femmes puissent parfois avoir les mêmes envies de carrière que les hommes et la même indifférence à la parentalité, s’agace Elsa Godart. De son côté, l’homme a toujours été vu comme celui qui fait ce qu’il veut et qui décide.»

Formatage dès l'enfance

Il faut dire que cette inégalité dans les attentes s’illustre dès le plus jeune âge: les jouets qu’on donne aux filles semblent déjà les préparer à pouponner, à prendre soin d’un bébé, comme si la maternité était leur principal horizon, tandis que les jouets des garçons, axés sur la logique, la performance, la créativité, les préparent plutôt à des tâches loin de la famille.

«La maternité constitue le principal marqueur du passage à l’âge adulte et les femmes sans enfants sont souvent perçues comme des êtres incomplets, qui sont privés de l’expérience qui fait des jeunes filles de véritables femmes, des mères, pointe Nicky Le Feuvre. Chez les hommes, l’expression de la virilité et de la réussite sociale ne passe pas nécessairement par la paternité, puisqu’il y a la carrière, la politique, les exploits sportifs pour cela!» Ou encore… aller dans l’espace, manifestement.

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