parentalité
Et si on parlait vraiment des problèmes de sommeil des parents?
Tout le monde a sa définition personnelle du rêve ultime, mais pour nombre de jeunes parents, cela consisterait bien souvent à pouvoir dormir toute une nuit sans la moindre interruption, histoire de recharger ses batteries. Un graal qui n’est plus tout à fait hors de portée depuis cet automne. Fin 2022, la Fondation 022 Familles, basée à Genève, a en effet inauguré son service «Mary Poppins Nuit». Le concept: une assistante parentale vient à domicile pour s’occuper de bébé du coucher au réveil, permettant aux parents de passer une nuit complète sans avoir besoin de se lever.
«C’est l’une de nos collaboratrices, d’origine brésilienne, qui a un jour lancé cette idée au sein de notre fondation, explique Ollivier Gross, directeur de 022 Familles. Au Brésil, il est ainsi courant qu’une aide vienne ponctuellement soulager les parents lorsque la qualité de leur sommeil est devenue problématique. Le but est ici de venir en soutien à des familles rencontrant des situations particulièrement difficiles, que ce soit par exemple à cause d’une séparation, d’un contexte de travail de nuit ou d’un nouveau-né qui dort vraiment très peu.»
Se plaindre, un tabou
Faire venir un tiers à la maison pour donner un coup de pouce nocturne, la démarche peut sembler excessive. Et pourtant, le sommeil des parents après la naissance de leur bout de chou est un vrai sujet de santé publique, trop souvent gardé dans les angles morts de notre société.
Du côté de la littérature scientifique non plus, le sujet n’est pas très familier. «On trouve pas mal d’études sur le sommeil du nouveau-né, mais beaucoup moins sur celui des parents, confirme Stephen Perrig, neurologue au Centre de médecine du sommeil des HUG. Cela est sans doute dû au fait que ce n’est que rarement une plainte clinique.»
Des nuits de cinq heures
En effet, peu de jeunes parents consultent à cause de leur qualité de sommeil dégradée. «Tout le monde s’attend un peu à cette situation de nuits hachées et écourtées pendant plusieurs mois, alors la démarche de s’en plaindre n’est pas forcément évidente», note pour sa part Virginie Bayon, médecin cadre au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV. Pourtant, les rares études s’étant penchées sur la question montrent que les nouveaux parents traversent une véritable épreuve à la fois mentale et physique.
Selon une enquête britannique publiée en 2018, ils ne dorment ainsi pas plus de 5 heures en moyenne par nuit lors de la première année qui suit l’accouchement, bien loin des 7 à 8 heures minimum recommandées par les spécialistes. On mentionnera que dans ce domaine, ce sont les femmes qui subissent le plus. Des travaux parus dans la revue scientifique Sleep, début 2019, relèvent que les mamans perdent 62 minutes de sommeil par nuit durant les premiers mois du bébé, contre seulement 13 pour les papas.
Et les personnes qui allaitent perdent encore 13 minutes de dodo par rapport à celles qui préfèrent donner le biberon. Comment expliquer cette criante inégalité des sexes jusque dans le sommeil? Sans doute par le fait que 78% des mères se lèvent plus souvent que leur partenaire jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de trois ans, comme le met en lumière une enquête Ifop menée en 2022.
Pleure moins fort, papa dort
Encore pire, 44% des mamans sont l’unique parent à se lever pendant la nuit pour s’occuper de l’enfant, papa étant bien trop confortablement installé dans les bras de Morphée. Et on apprend au passage que les hommes sont plus enclins à faire semblant de roupiller quand le bébé pleure en pleine nuit. Toujours est-il que derrière ces galères nocturnes et ces petites stratégies de survie, l’impact sur la santé est réel.
Impacts au quotidien
Dans la durée, le sommeil trop haché peut également entraîner «une irritabilité, avec parfois une augmentation de l’anxiété, voire des risques de dépression, ce qui peut mettre en danger l’individu comme le couple», souligne Stephen Perrig. Juste un mauvais moment à passer? Pas si simple.
L’étude publiée dans Sleep relève que les parents ne retrouvent un sommeil normal que… six ans après l’accouchement, preuve s’il en est que les nuits perturbées et fragmentées ont un certain impact sur la qualité de vie, à court comme à long terme. «Il est vrai que parfois, les problèmes de sommeil apparus lors des premiers mois se chronicisent, et ils doivent être traités rapidement au risque de les voir perdurer pendant des années», recommande le médecin des HUG.
Les solutions qui existent ne sont peut-être pas révolutionnaires mais peuvent aider à soulager: se relayer de manière équitable pendant la nuit, ne pas hésiter à solliciter de l’aide dans l’entourage, et privilégier la sieste durant la journée à chaque fois que l’enfant s’endort. «On voit que dans ce domaine, un congé paternité égal à celui des mères pourrait beaucoup contribuer à atténuer ces problématiques de mauvais sommeil», conclut Ollivier Gross.
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