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Phénomène: Ces couples qui font chambre à part

Phenomene ces couples qui font chambre a part 2

Pour pouvoir se ressourcer, certains couples choisissent d'avoir chacun-e leur chambre, même en vivant ensemble.

© GETTY IMAGES/ANASTASIA MOLOTKOVA

Ne supportant plus la chaleur du corps de l’autre, voire son simple souffle, certains ont fait l’expérience de quitter le lit conjugal pour trouver un peu d’air sur le canapé du salon ou dans la chambre d’amis durant la canicule. Des nuits plus fraîches, un sommeil réparateur, dans une liberté totale du corps et de l’esprit. Et si avoir son lit à soi devenait une nouvelle routine nocturne pour son propre bien-être? Des nuits sereines sans l’autre pour des jours plus intenses avec l’autre?

Habitué à scruter les petits détails du quotidien qui font les couples, le sociologue Jean-Claude Kaufmann constate une évolution dans la manière de gérer la vie à deux: «Toutes les pratiques de la vie quotidienne dans le couple s’individualisent: de plus en plus de repas ou de loisirs sont pris de façon séparée, certains vont même jusqu’à avoir deux logements différents. Car nous ne voulons pas que la vie de couple signifie l’abandon du bien-être individuel. Il est donc logique que la chambre séparée s’inscrive dans la même logique d’évolution.»

Une manière individuelle de refuser le compromis inhérent à la définition même du couple «à l’ancienne» aussi. «Ça dit beaucoup de l’époque: on aimerait une chambre à soi et une chambre conjugale, on aimerait être célibataire mais aussi être en couple. On essaie de sortir des oppositions pour entrer dans les appositions, ce qui est moins conflictuel évidemment», constate Claire Werro Zufferey, thérapeute de couple à Fribourg.

Remettre le consentement au milieu du lit

Une fois que le désir de faire chambre à part est là, reste à savoir s’il peut concrètement être mis en place. Logistiquement, financièrement et émotionnellement. Sans parler de la sexualité, qui, selon certains, pourrait y trouver un souffle ravivé par l’éloignement relatif des sommiers. Qu’on le veuille ou non, le lit commun reste un symbole du couple qui fonctionne dans l’imaginaire collectif.

«En effet, ce n’est pas toujours simple à mettre en œuvre pour la chambre, tant sa symbolique matrimoniale est forte. D’une part parce que c’est souvent l’un des deux qui le souhaite et que l’autre peut vivre cela comme un désamour, souligne Jean-Claude Kaufmann. D’autre part parce que l’entourage peut l’interpréter aussi comme une petite mort du couple. Il faut donc beaucoup parler, s’expliquer, et s’organiser. Notamment pour que cette séparation soit compensée par de nouvelles modalités de rencontre intime, qui peuvent être très riches, et basées beaucoup plus sur le consentement que dans le lit partagé.»

Le sociologue n’y voit pas là de signe avant coureur d’un dysfonctionnement au sein du couple, au contraire, tant que ce nouveau mode de vie se fait sur un tempo accordé entre temps solo et temps en duo. Plus pragmatiquement, c’est aussi respecter son rythme, et celui de son ou sa partenaire. «Une question de territoire et d’espace également, sur ce qui est à soi et ce qui appartient au couple», note Claire Werro Zufferey.

Un rythme à deux temps

Pour Jean-Claude Kaufmann, au-delà du lit, il y aurait d’ailleurs un principe général à en tirer: «Il n’y a aucun problème au développement de séquences de vie en solo dans le couple, mais à la condition que, dans l’autre temps de la vie, il y ait une vraie présence au partenaire, authentique et intense. Le couple se vit de plus en plus sur un rythme à deux temps.»

La facilité à diviser le lit conjugal étant inversement proportionnelle aux nombres d’années durant lesquelles on l’a partagé. Plus facile d’instaurer un fonctionnement avant d’emménager à deux pour ne pas dérouter son partenaire. Ou alors, en prenant le parti d’y aller progressivement. «C’est le fruit d’aménagement, de négociation et aussi d’autorisation. Les partenaires doivent se l’autoriser. Celui qui le souhaite met souvent un moment pour le conscientiser, le formuler et le dire à l’autre», ajoute la thérapeute de couple. Une réflexion à mener à deux avant d’investir dans une nouvelle literie.

«On a un espace où l’on fait comme on veut»

Julie*, 30 ans

«Tout s’est fait très naturellement quand on a décidé de vivre ensemble. Avant cela, nous avions chacun notre colocation et j’appréciais de pouvoir avoir du temps seule dans ma chambre, donc j’ai proposé de garder ce fonctionnement. La recherche était un peu plus compliquée à cause de l’aspect financier, mais on voulait privilégier le fait de se sentir bien. On est tous les deux éducateurs avec des horaires très irréguliers qui impliquent de ne pas beaucoup se croiser, cela demande de prévoir les moments qu’on va passer ensemble. Mais j’apprécie le fait de rentrer du travail après une journée prenante et pouvoir aller tranquillement dans ma chambre sans parler, car j’ai besoin de silence. Ça aide aussi au bon fonctionnement de notre couple d’avoir un espace où l’on fait comme on veut.

L’idée de devoir partager ma chambre, ça m’angoisse rien que d’y penser.

Dans ma chambre, j’aime que tout soit en ordre et lui va plutôt laisser traîner ses affaires. À l’inverse, dans les pièces en commun, on est plus à même à faire des efforts et à éviter des embrouilles inutiles.»

«On est confronté à des remarques moqueuses»

Ali, 37 ans

«Quand j’ai rencontré mon copain, je lui ai tout de suite expliqué qu’il me fallait ma propre chambre et que ce n’était pas discutable. Il était surpris et ne connaissait pas ce fonctionnement, mais aujourd’hui, cela fait quatre ans que l’on vit ainsi et il ne reviendrait pas en arrière pour tout l’or du monde. Je suis assez indépendante, j’ai besoin de moments tranquilles pour me ressourcer et je sais aussi que je dors mieux seule. Évidemment, il nous arrive de partager notre lit, plutôt le week-end ou le dimanche soir.

La société est encore rétrograde autour de ces questions alors que je trouve que c’est sain de savoir ce dont on a besoin, et de l’exprimer.

On doit déjà affronter des jugements quand on explique ne pas vouloir d’enfant et on est aussi confrontés à des remarques moqueuses sur notre façon de vivre. Nous travaillons dans la restauration, donc on se justifie parfois en parlant de nos horaires irréguliers, mais ce n’est pas la raison de ce fonctionnement. Je trouve dommage de ne pas avoir l’esprit assez ouvert pour se rendre compte que tout le monde ne fonctionne pas de la même manière. Il est important de pouvoir définir sa normalité à sa propre sauce.»

«Je profite de la chambre libre laissée par ma fille»

Laurence*, 54 ans

«Quand nous avons décidé avec mon conjoint d’acheter deux matelas pour un sommier, après des années de mariage et de disputes de duvet, ma fille m’a dit: «Vous allez divorcer?» Depuis, elle a quitté le foyer familial et je profite régulièrement de la chambre transformée en pièce bureau-ami pour y dormir. Au début, je n’osais pas trop, me disant que c’était sa chambre, et j’avais aussi dans l’idée qu’un couple qui ne dort pas ensemble est un couple qui va mal.

Mais quel plaisir de pouvoir dormir seule, de s’étendre à l’horizontale, de s’emmitoufler sous les couvertures, de lire jusqu’à plus d’heure sans risquer de déranger l’autre.

Et en plus, avec nos horaires irréguliers, nous pouvons à présent aménager nos contraintes professionnelles et nos rythmes de sommeil. De toute façon, un couple marié depuis cinquante ans passe 18 250 nuits ensemble, quelques entorses au rituel conjugal ne vont pas faire fuir l’amour. Par contre, interdit de faire chambre à part pendant les vacances, en tout cas pour l’instant.»

«Ce n’est pas une volonté d’éloignement, bien au contraire»

Marlon*, 45 ans

«Après avoir vécu ensemble cinq ans en ne partageant qu’une seule chambre, nous avons déménagé dans l’idée d’avoir une pièce en plus. Ce n’est pas une volonté d’éloignement, bien au contraire. Dans une construction bourgeoise du couple, on voit la chambre matrimoniale comme un symbole de réussite de sa propre existence. C’est une image publicitaire derrière laquelle se cachent souvent d’autres réalités.

Je pense que l’on donne plus de chances à son couple en ayant son espace à soi où l’on peut cultiver ses passions, vivre à son propre rythme, et avoir sa propre chambre permet tout ça.

On peut la voir comme un sas de décompression au milieu de notre routine, «métro, boulot, dodo». Cela permet ensuite d’être davantage disponible pour sa vie sociale et amoureuse, se sentir inspiré et offrir des relations de meilleure qualité.»

«Cela permet de maintenir une attirance»

Estelle*, 39 ans

«J’ai toujours fonctionné comme cela quand j’étais en couple, sauf quand j’étais étudiante et qu’on a dû vivre à deux dans une pièce et demie. C’est à ce moment-là que je me suis dit: «Plus jamais!» Ce n’était pas une bonne chose pour la survie de notre couple. Je me suis ensuite mise en ménage avec quelqu’un qui avait des problèmes d’apnée du sommeil, donc on a eu chacun sa chambre pour une question d’incompatibilité de sommeil. J’ai découvert ce que c’était d’avoir son propre espace et à quel point c’était important. Aujourd’hui, je ne ferais pas autrement.

Le seul défaut, c’est l’impact financier, mais sinon, il n’y a vraiment que du positif.

Au niveau de l’intimité aussi je trouve que cela permet de maintenir une attirance, car cela ne va pas juste être quelque chose qui se fait d’office, ce n’est pas acquis, il faut aller l’un vers l’autre, s’inviter, c’est romantique. Et malgré tout cela, il faut quand même se dire que la distance est relative car nous vivons tout de même dans le même appartement.»

«Je commence à me demander si je ne devrais pas dormir seule»

Alicia*, 28 ans

«Cela fait dix ans que nous sommes en couple et c’est très important pour moi de dormir avec mon copain. On a toujours fait comme ça et j’ai même l’impression de dormir moins bien quand je suis seule.

J’aime vraiment dormir avec lui, mais ses ronflements sont de plus en plus forts et j’enchaîne en ce moment les nuits blanches.

C’est vraiment compliqué ensuite pour moi durant la journée et je commence à me demander si je ne devrais pas dormir seule, d’autant plus que nous avons une pièce supplémentaire. J’y songe fortement chaque nuit où il me dérange, mais je n’ai pas encore franchi le cap.»

*Noms connus de la rédaction

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