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Six patronnes racontent comment elles ont succédé à leur père

Six patronnes racontent comment elles ont succede a leur pere

Noémie Graff, Marie Pugliese, Anna Hug, Maveline et Dessilia Bovey et Mélanie Weber ont repris la direction de l'entreprise familiale.

© BRIGITTE BESSON - LAURENT DE SENARCLENS - HUG AG/MALTERS

En 2023, le taux d’activité des femmes âgées entre 15 et 64 ans s’élevait à 60,7% (en équivalent plein-temps). Il est donc tout à fait naturel qu’elles se retrouvent à occuper des postes à responsabilités. Et donc que certaines d’entre elles reprennent l’entreprise ou le domaine paternel?

Banal, vraiment? Oui et non, selon Nadia Droz, psychologue spécialiste en santé au travail à Lausanne: «Passer les commandes de son entreprise à la génération suivante peut être difficile car les mentalités évoluent. Par ailleurs, le parent a parfois de la peine à lâcher prise. Cela peut être difficile lorsque l’enfant qui reprend essaie de satisfaire quelqu’un qui ne le sera jamais. Il y a alors un vrai risque d’épuisement.»

Obligation morale

Pour que la transmission se passe le mieux du monde, le dialogue entre le père et la fille est indispensable. «Discuter les choses en amont pour s’assurer du réel intérêt de la fille à reprendre est indispensable. Si elle se sent moralement obligée de le faire, ça risque de ne pas fonctionner. Si elle perçoit son père comme un expert dans son domaine, il peut alors être un véritable soutien», poursuit la spécialiste.

Pour José Veloso, expert en leadership et organisation chez Valpeo à Neuchâtel, l’anticipation est la clef de la réussite. «En tant que conseiller en transmission d’entreprise et coach professionnel, je tente d’abord de clarifier la situation en posant des questions et en révélant les éventuels non-dits. La confiance transmise au successeur est cruciale, car elle envoie un signal positif aux clients, aux employés et autres parties prenantes. Lors du passage de relais, le propriétaire, ici le père, doit prendre conscience qu’il n’est pas seul dans cette démarche: sa famille et tout l’environnement de l’entreprise sont impliqués.»

Nadia Droz insiste aussi sur la possibilité de faire marche arrière: «Il y a risque de burn-out si la fille se surinvestit pour prouver qu’elle est compétente; mais également si elle se sent coincée dans un poste qui ne lui convient pas.»

Marie Pugliese, business developer et administratrice d’Elite SA, à Aubonne: «J’ai commencé en tant que stagiaire, j’ai donc fait mes preuves»

© BRIGITTE BESSON

Les lumineux locaux d’Elite SA à Aubonne sont en face du géant suédois des meubles en kit. Ils occupent un ancien garage. Un drôle de hasard pour le directeur, François Pugliese, qui – avant de reprendre cette société de literie haute de gamme en 2006 – était directeur financier d’une marque automobile!

Lors de notre rendez-vous, le quinquagénaire arrive juste derrière sa fille Marie. «Je suis très heureux de travailler avec elle. L’élève a dépassé le maître. Elle manque parfois d’un peu de confiance en elle», explique François Pugliese, avant de s’éclipser. Marie Pugliese, 28 ans, admet être réservée mais se sent légitime dans son poste actuel. «Toute mon enfance a été conditionnée par Elite. Comme ma mère y travaille aussi, mes parents en parlent tout le temps. Je ne voulais surtout pas rejoindre la société. Je me destinais au notariat. Lors de mon master en droit et économie, je devais faire un stage en guise de travail de fin d’études. J’ai commencé chez Elite en 2019 en tant que stagiaire. C’est une bonne chose, car cela m’a permis de faire mes preuves et d’acquérir ma légitimité. Après une formation d’administratrice, j’ai rejoint le conseil d’administration du groupe l’an dernier.»

La jeune femme se dit chanceuse d’avoir un père qui la soutient et qui est ouvert à l’innovation et aux changements. «À mes débuts, j’ai eu des moments difficiles. J’ai rapidement prouvé à l’équipe que j’avais ma place ici, mais pour les personnes à l’extérieur de l’entreprise, j’étais encore souvent perçue comme «la fille de». J’avais l’impression que l’on attendait beaucoup de moi et que le moindre faux pas serait amplifié. J’ai dû apprendre à m’affranchir de mon père et à prendre mes propres décisions.»

Aujourd’hui, Marie est à l’aise dans son poste. Plus tard, la jeune femme serait ravie de reprendre l’entreprise paternelle: «Cependant, je veux pouvoir m’appuyer sur une solide équipe, pour concilier vie familiale et vie professionnelle.»

Maveline et Dessilia Bovey, sous-directrices du Moulin de Sévery: «Notre papa ne peut pas partir du jour au lendemain, la transmission se fait en douceur»

© BRIGITTE BESSON

La première chose qui frappe lorsqu’on pousse la porte du magasin du Moulin de Sévery, c’est la bonne odeur de noix. Elles sont torréfiées, pressées et mises en bouteille sur place. La deuxième chose, c’est la jeunesse de Maveline Bovey, la fille cadette de Jean-Luc. Elle n’a que 27 ans, mais est déjà sous-directrice de ce moulin historique, qui emploie aujourd’hui une vingtaine de personnes. Elle fait partie de la septième génération aux manettes. «Ma sœur (également sous-directrice) et moi allons reprendre progressivement l’entreprise familiale. Notre papa ne peut pas partir du jour au lendemain, la transmission se fait en douceur.»

Maveline a fait un CFC d’opticienne avant de devenir employée administrative au moulin en 2018. Sa sœur Dessilia, qui a deux ans de plus, a rejoint l’entreprise en 2017. Aujourd’hui, Maveline s’occupe de l’administration, tandis que son aînée gère la production. Le jour de notre rencontre, la jeune maman de 29 ans n’était pas présente, car elle s’occupait de sa fille d’un an. Maveline poursuit: «J’accompagne souvent mon papa pour faire du réseautage dans les différentes associations dont il fait partie. Au début, j’avais de la peine à prendre ma place, car il est très charismatique. Aujourd’hui, je développe mon propre réseau avec des gens de ma génération.»

Depuis trois ans, le trio père-filles fait appel à Jean-Marc Koller, consultant pour les dirigeants de PME, afin que la transmission puisse se faire correctement. Il explique: «Lorsque j’assiste aux séances de direction, Jean-Luc et ses filles parviennent à se dire des choses qu’ils n’oseraient pas aborder sans moi. Il y a beaucoup d’émotion. Ce n’est pas facile pour un père de transmettre son entreprise, car il sait forcément tout mieux que quiconque. Pour les filles, ce n’est pas évident de se positionner face au patriarche. Le fait qu’elles soient coachées par quelqu’un d’autre que Jean-Luc est important tant pour elles que pour lui.»

Avec le temps, Jean-Luc a appris à lâcher du lest. «Notre papa a une vision plus lointaine, alors que Dessilia et moi sommes prises par la gestion au jour le jour. Nous devons apprendre à voir plus loin. Nous avons dû lui prouver qu’il peut nous faire confiance. Toutefois, je ne sais pas s’il va vraiment prendre sa retraite un jour!» ironise Maveline.

Mélanie Weber, vigneronne à Bourg-en-Lavaux: «Mon père m’a fait promettre d’arrêter ce métier si cette vie ne me plaisait pas»

© BRIGITTE BESSON

La première à nous accueillir lorsque l’on pousse la porte de la maison de Mélanie Weber au centre de Cully, c’est sa chienne Skadi. Elle semble peu encline à nous laisser monter à l’étage, là où vit sa maîtresse avec sa famille. Cet obstacle surmonté, on découvre la vigneronne tout juste rentrée de vacances.

Mélanie Weber a une sœur de deux ans sa cadette. Comme les deux sont nées à la fin des années 70, l’éventualité que l’une d’elles reprenne le domaine viticole de leur père Francis ne se posait même pas. «À la fin de l’école obligatoire, je ne savais pas quoi faire. Je suis partie une année dans le canton de Soleure comme apprentie en économie familiale. Je m’occupais du jardin potager de 200 m2 du couple qui m’accueillait. J’ai adoré travailler dehors. En rentrant chez moi, j’ai dit à mon père que je voulais devenir vigneronne. Il était surpris et il m’a fait promettre d’arrêter ce métier si la vie qui en découlait ne me plaisait pas.»

Une fois sa formation terminée, à tout juste 23 ans, Mélanie Weber postule comme vigneronne-tâcheronne pour la Commune de Riex (qui fait désormais partie de Bourg-en-Lavaux. «Ce statut m’a permis de gagner ma vie tout en donnant un coup de main à mon père sur son domaine.» En 2005, alors que tous les papiers sont prêts pour qu’elle en devienne propriétaire, Francis Weber se rétracte. «J’avoue que cela a été une période difficile, j’ai eu le sentiment qu’il ne me faisait pas confiance. Je pense qu’il n’était simplement pas prêt à lâcher son domaine.»

Finalement, Mélanie Weber fait le poing dans sa poche. Elle commence par louer les terres paternelles de 2009 à 2011, puis devient l’unique propriétaire à la fois de la culliéranne, du pressoir qui s’y trouve et de l’hectare de vignes qui est dans la famille depuis cinq générations déjà.

«Depuis 2011, mon père ne s’occupe plus du tout du domaine, il me laisse libre de mes choix, il ne me critique pas et, bien qu’il ne le dise pas ouvertement, je sais qu’il est fier de moi. Aujourd’hui, je fais les choses qui me ressemblent», conclut Mélanie Weber.

Anna Hug, codirectrice de Hug AG: «J’ai d’abord fait carrière avant d’entrer dans l’entreprise familiale»

© HUG AG/MALTERS

Anna Hug, la cinquantaine pétillante, fait partie de la cinquième génération de sa famille à travailler dans l’entreprise de biscuits Hug Familie basée dans le canton de Lucerne, également productrice des marques Darvida et Wernli. «La société a été créée en 1877. Mon père et mon oncle se sont beaucoup investis dans l’entreprise familiale et ils l’ont fait croître considérablement. Quant à moi, je voulais d’abord faire carrière ailleurs, avant de la rejoindre. Je n’y suis arrivée qu’à l’âge de 37 ans, dans le secteur de la vente et du marketing d’abord. Depuis 2020, je suis codirectrice avec Marianne Wüthrich Gross. Mon oncle est toujours actif, alors que mon père a pris sa retraite.»

Lorsqu’on lui demande si ce n’est pas trop difficile de faire sa place en tant que «fille de», elle ne nie pas avoir dû lutter: «Il a fallu que je montre que j’avais les compétences pour ce poste, mais mon cousin – qui a aussi un emploi de cadre – a vécu la même chose. J’ai toujours été soutenue par mon oncle et mon père, même si certains conflits ont eu lieu au moment de la transmission. C’est normal. Aujourd’hui, je suis contente d’être à la tête d’une société novatrice qui soutient les familles et où les femmes ont des postes à responsabilités», conclut Anna Hug dans un français parfait.

Noémie Graff, vigneronne au Domaine le Satyre, à Begnins: «Mon père et moi n’aimons pas être chef-fe-s, nous prenons les décisions de manière collective»

© LAURENT DE SENARCLENS

Noémie Graff est la petite dernière d’une fratrie de quatre (dont deux garçons) et elle est la seule de la famille à avoir voulu embrasser le métier de son père et de son grand-père.

La quadragénaire, qui nous accueille au rez de la maison viticole où sont encore suspendues quelques décorations de Noël, n’a pourtant pas suivi la voie classique. «J’adore apprendre. J’ai fait une licence universitaire en latin et histoire ancienne, puis la Haute École de viticulture et œnologie de Changins.»

Elle commence à travailler sur le domaine paternel, qui compte 10 hectares de vignes, en 2006. «J’ai repris l’exploitation en mon nom en 2010. Aujourd’hui, mon père travaille encore avec moi. Il a 80 ans, mais il ne se voit pas vieillir, et comme le corps suit, il continue. Je ne pense pas qu’il va véritablement prendre sa retraite un jour!»

Ce qui fait le succès de cette transmission sans heurts sont les valeurs que partage le duo. «Nous avons à cœur de faire des vins biologiques. Mon grand-père était déjà sensible à cela. Nous souhaitons aussi que toutes les personnes qui travaillent soient confortablement accueillies. Il n’y a pas de prise de pouvoir entre mon père et moi, car nous n’aimons pas être chefs. Les décisions se prennent de manière collective.»

Valeurs communes, communication fluide, amour du métier, passion pour l’histoire: tout réunit Noé et Noémie. «Dans le monde agricole ou de la vigne, il y a une juxtaposition entre l’espace professionnel et le privé. De tout temps, les femmes participaient à la vie du domaine, ne serait-ce qu’en nourrissant les saisonniers. Je baigne dans cet univers depuis ma naissance.» Et de conclure: «Il ne faut pas oublier que la génération qui suit est la prévoyance professionnelle de celle qui précède!»

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