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«Lazy girl jobs»: La fin d’une culture de la surperformance?
Un an après que le quiet quitting, ou la démission silencieuse, a envahi toutes les discussions et articles sur le travail, un nouveau phénomène s’impose sur TikTok, celui du #lazygirljob ou emploi de fille paresseuse. Avec ses 22 millions de vues sur le réseau social, le hashtag a été étiqueté comme nouvelle tendance de carrière par le Wall Street Journal. Comment le comprendre? Terme provocateur comme sa grande sœur la démission silencieuse, mais avec un caractère genré, le job de fille paresseuse traduit l’intérêt des femmes de moins de 30 ans pour un poste au salaire confortable, à faible stress, hybride (avec du télétravail), ayant un ou une boss cool et pas d’heures supplémentaires.
C’est la tiktokeuse et créatrice de contenus américaine Gabrielle Judge, 26 ans, qui a lancé le mouvement antitravail, en expliquant qu’elle avait trouvé un job qui lui donnait la «vie douce». Cette recherche de vie douce, qui sous-entend un meilleur équilibre de vie, est une évolution de la démission silencieuse (comprenez faire le minimum à son travail) qui s’est emparée du marché du travail américain à l’été 2022. Si des détracteurs commentent en ligne que le job de fille paresseuse est une mauvaise attitude pour construire une bonne carrière, de nombreuses personnes de la génération Z (nées entre 1997 et 2010) – femmes comme hommes –, à l’instar de Gabrielle Judge, témoignent qu’elles n’ont rien de paresseuses, mais qu’en observant les ravages du surmenage et du burn-out sur les générations précédentes, elles souhaitent normaliser une relation au travail plus saine. Au-delà d’encourager la paresse, le nouveau-né du lexique du travail traduit un besoin de revoir les attentes standards, toujours trop hautes?
Une attitude réaliste et durable dans le monde professionnel actuel?
Virale sur TikTok, cette tendance reflète-t-elle toutefois la réalité du marché du travail suisse? Nadia Droz, psychologue FSP, spécialiste en santé au travail et coautrice de Burnout, la maladie du XX siècle (Éd. Favre) observe également en Suisse romande le désir des 20-30 ans pour un emploi de préférence en temps partiel et sans heures supplémentaires. Selon elle, «cette génération n’est pas prête à se surinvestir comme ses parents ont pu le faire dans leur carrière. Si ces quinze dernières années, les entreprises ont entendu certains messages alertant sur la santé au travail, analyse Nadia Droz, la génération Z dit que les conditions de travail actuelles ne sont pas encore satisfaisantes et ne veut pas sacrifier sa santé mentale.»
Au-delà du lazy girl job et du quiet quitting, la spécialiste évoque un mouvement plus global amorcé pendant la pandémie de Covid et son effet collatéral, le télétravail, qui a permis une distance avec le milieu professionnel. N’en déplaisent aux dirigeants américains de la tech, à l’instar de Zoom (le leader de la vidéoconférence), qui ont annoncé cet été le RAB (retour au bureau) dans leur entreprise – ironique non? «Les plus jeunes veulent davantage de flexibilité dans leur job, plus de sens mais sans que le travail déborde sans cesse, décrypte Nadia Droz, où la relation avec l’infini des tâches n’est pas malsaine, et où les managers ne micromanagent pas, mais donnent plutôt des messages constructifs du type «on continuera demain» et où le ou la cheffe ne gueule pas.»
Concernant les carriéristes qui ne se retrouveraient pas dans le lazy girl job, la conférencière en gestion de stress (son prochain atelier Prévention du burn-out et de ses rechutes aura lieu le 10 novembre au Studio «Technique Alexander», à Préverenges) plaisante à moitié en rappelant: «Le marché du travail reste ce qu’il est, avec des entreprises qui ne vont pas cadrer les personnes qui ont tendance à travailler trop.» Aux personnes qui s’interrogent sur l’attrait d’un job plus cool, elle conseille plutôt de se tourner la problématique dans l’autre sens: «Un travail «tranquille», est-ce suffisamment stimulant pour moi? Je n’ai pas besoin d’y penser le soir, mais est-il ennuyant la journée?»
Attention à l’impact des «girl trends»
On imagine que le phénomène du job de fille paresseuse, et son initiatrice qui se fait appeler sur TikTok «Anti Work GirlBoss», devrait inspirer l’humoriste Iliza Shlesinger. Dans son spectacle Hot Forever (disponible sur Netflix), la comédienne avait fait un sketch sur le #glitterspeak (le discours pailleté). Avec beaucoup d’humour, l’Américaine expliquait notamment comment les éléments de langage qui visent à booster la productivité et la motivation (de la «girl boss», patronne fille, à la «work queen», reine du travail, censées être des figures inspirantes) sont en en réalité sexistes et dévalorisent, voire infantilisent totalement les femmes.
À l’avenir, il serait préférable de ne pas genrer les phénomènes liés au travail. Sans parler du fait d’y associer la paresse – universellement mal perçue dans l’univers professionnel –, car comme l’explique Nadia Droz, «la Suisse n’est pas en avance sur la prévention du harcèlement des femmes au travail, ce terme de lazy girl job ajoute simplement de l’huile sur le feu.»
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