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Représentation: La monnaie se féminise peu à peu

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«Durant toute l’histoire de la monnaie, qui a quand même 2500 ans, les représentations féminines ont toujours existé, mais leur proportion reste globalement très minoritaire.» - Nicolas Consiglio

© GETTY IMAGES/DIGITAL VISION/VECTORS/HERITAGE IMAGE/DE AGOSTINI - ILLUSTRATION DE FEMINA

C’est une petite révolution qui se prépare dans les porte-monnaies. Dès l'été 2024, la France mettra en circulation les nouvelles versions de ses pièces de 10, 20 et 50 centimes d’euros, dont l’avers a été fortement modifié. Ce sont respectivement les portraits gravés de Simone Veil, Joséphine Baker et Marie Curie qui feront leur apparition sur ce trio métallique. Des personnalités présentées comme des «femmes d’exception» et «sources d’inspiration quotidienne pour toutes et tous», selon les mots du président de la Monnaie de Paris.

Représentation: La monnaie se féminise peu à peu
Simone Veil, Joséphine Baker et Marie Curie sur les nouvelles versions de ses pièces de 10, 20 et 50 centimes d’euros. © DR

Au-delà de la beauté des dessins révélés début mars 2024, c’est surtout cette féminisation simultanée de trois pièces très répandues qui interpelle. Car c’est un fait: l’argent, l’espèce, le pèze, la thune, le fric, quel que soit le nom qu’on lui donne, a longtemps ressemblé à une longue galerie de têtes d’hommes. «Durant toute l’histoire de la monnaie, qui a quand même 2500 ans, les représentations féminines ont toujours existé, mais leur proportion reste globalement très minoritaire», pointe Nicolas Consiglio, conservateur du fonds numismatique du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.

Un bastion de sexisme qui s’explique en grande partie par sa fonction, comme le rappelle le scientifique: «La monnaie était à l’origine le symbole d’une autorité politique, et c’est cette autorité qui valide la valeur de la pièce. Or le pouvoir était bien souvent une prérogative plutôt masculine. Il est donc peu surprenant que les individu-e-s représenté-e-s soient majoritairement des hommes.»

Antiquité: les reines ou les femmes de la famille

Reste que, dès l’Antiquité, certaines figures fortes ont fait mentir ce stéréotype. Plusieurs Cléopâtre, reines d’Égypte durant les siècles qui précèdent le premier millénaire, n’ont ainsi pas hésité à s’inviter sur les monnaies.

«Au second siècle avant notre ère, Cléopâtre III, par exemple, n’hésita pas à faire inscrire les dates de son règne sur les pièces, un geste assez rarissime surtout pour une souveraine», relève Nicolas Consiglio.

Mais c’est surtout la septième du nom, LA Cléopâtre que tout le monde connaît, celle du premier siècle av. J.-C., qui marqua le plus ses contemporains par ses portraits monétaires. «Les pièces émises durant son règne en disent long sur sa destinée extraordinaire, relate Matteo Campagnolo, ancien conservateur du Cabinet de numismatique du Musée d’art et d’histoire de Genève. D’abord frappées à Alexandrie, les monnaies à son effigie sont ensuite reprises au fil des années dans d’autres villes, jusqu’en Syrie et à Chypre. Sur le denier romain qui la montre en compagnie de son époux Marc-Antoine, Cléopâtre VII est d’ailleurs divinisée car descendante des pharaons.»

Preuve qu’elle y figure vraiment comme cheffe politique et pas comme égérie, les gravures rendent ses traits de façon réalistes et ne cherchent pas à embellir les choses. «Ces représentations recoupent plutôt bien les témoignages du grand-père de l’écrivain Plutarque, qui l’avait rencontrée et n’avait pas constaté la légendaire beauté que les récits lui prêtaient», fait remarquer le scientifique.

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Cléopâtre VII (à droite) et son époux Marc-Antoine (à gauche). © GETTY IMAGES/DIGITAL VISION VECTORS

Quelques années plus tard, l’avènement de l’Empire romain va même inaugurer l’une des périodes de l’histoire les plus fastes en termes de représentations féminines sur les monnaies.

Certes, les femmes ne règnent pas officiellement à Rome, «mais plusieurs empereurs vont faire émettre épisodiquement des pièces faisant figurer leurs filles, leurs sœurs ou encore leurs épouses», note Matteo Campagnolo. Agrippine, femme de Claude et mère de Néron, Poppée, la deuxième épouse du même Néron, Faustine, femme de Marc-Aurèle, ou encore les trois sœurs du redouté Caligula comptent parmi les figures qui ont orné l’avers de nombreuses pièces romaines.

Si ces portraits féminins visent au réalisme, ils demeurent davantage idéalisés et glamour que ceux des empereurs, «les hommes de pouvoir étant montrés plus sérieux, avec une tendance à les vieillir et à augmenter les marques sur leur visage», souligne le scientifique genevois. En cause? La représentation de ces femmes prestigieuses est moins un symbole de pouvoir qu’un message adressé aux autres femmes de l’Empire, même s’il est toujours question de faire la publicité de la dynastie et de vendre la pérennité des gouvernants.

«Il s’agissait d’une société quand même très masculine et les femmes y avaient des rôles précis, dont celui de faire des enfants et de faire honneur aux hommes», indique Matteo Campagnolo.

«Ces portraits féminins étaient surtout une manière d’encourager la natalité et de promouvoir des qualités vues comme typiquement féminines comme la vertu, la prudence, la fertilité ou la chasteté.»

Période moderne: le record des reines anglaises

S’écoule ensuite plus d’un millénaire durant lequel les représentations de femmes se raréfient. Au Moyen Âge, c’est surtout la Vierge Marie qu’on croise sporadiquement, mais la période n’est de toute façon pas friande des portraits sur les pièces. Il faut attendre l’époque moderne et le règne de plusieurs grandes souveraines pour voir des visages féminins y trôner à nouveau en majesté.

Catherine II de Russie et Marie-Thérèse d’Autriche notamment, mais surtout plusieurs reines anglaises ayant eu la chance d’occuper le trône pendant de longues périodes et de marquer leur ère: Elizabeth I, Victoria puis l’indéboulonnable Elizabeth II. «Ces trois reines, occupant exclusivement l’avers de toutes les pièces et de tous les billets émis de leur vivant, constituent une présence féminine assez exceptionnelle dans l’histoire de la monnaie, explique Matteo Campagnolo. Contrairement aux pièces romaines montrant des femmes, celles-ci sont très importantes par le volume des émissions.»

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La reine Elizabeth II. © GETTY IMAGES/DE AGOSTINI

Ces exemples spectaculaires restent isolés. D’ailleurs, lorsqu’on regarde la trajectoire des objets monétaires depuis leur début, on s’aperçoit que les figures féminines qui y sont le plus fréquemment représentées ne sont pas de vraies femmes ayant existé. Ce sont des divinités, des personnifications de vertus ou des allégories de villes ou de pays.

Figures imaginaires plutôt qu'historiques

Athéna casquée pour l’Athènes antique, Helvetia pour la Suisse, Marianne ou la Semeuse pour le France, la Liberté pour les États-Unis, Italia sur la lire italienne… Très répandues dans les émissions grecques de l’Antiquité en particulier, «surclassant même les figures masculines dans certaines cités, ces catégories de représentations retrouvent une certaine popularité à partir du XVIIe siècle», informe Nicolas Consiglio. Une manière de booster l’esprit des États-Nation naissants… mais également la libido masculine au passage.

Car contrairement aux représentations d’hommes, ces effigies sont très souvent présentées en tenue légère, avec une plastique et des traits idéalisés.

«Pendant longtemps les artistes qui concevaient ces monnaies étaient purement masculins, et on perçoit leur manière de voir les femmes à travers ces gravures, le fameux male gaze était déjà à l’œuvre sur les monnaies!» analyse le scientifique de Neuchâtel.

«C’est assez fou, par exemple, le nombre de représentations féminines nues parfaitement gratuites dans les médailles de l’époque moderne, alors que les hommes, eux, sont toujours droits et convenablement habillés.»

Nombre de ces figures imaginaires étaient d’ailleurs inspirées des traits de modèles ayant marqué les artistes. C’est notamment le cas de Fritz Ulysse Landry, qui dessina en 1897 l’Helvetia figurant sur la 20 francs or «Vreneli», pour «Petite Verena», d’après une jolie fille qu’il avait vue dans l’Oberland bernois.

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Helvetia représentée sur une pièce de 20 fr. © DR

Des billets adoptent la parité

Mais une amorce de virage semble s’être opérée durant les décennies 70-80. Des femmes commencent à signer les portraits d’Elizabeth II représentés sur les monnaies. Des projets visant à mettre des femmes célèbres sur les pièces ou les monnaies se mettent à émerger. Pas toujours couronnés de succès. En France, des esquisses de billets avec Colette, Jeanne d’Arc ou George Sand sont en lice mais retournent dormir dans les tiroirs, finalement supplantés par des figures masculines comme Debussy.

Il faut attendre les années 90 pour que Marie Curie arrive enfin sur le billet de 500 francs français – en compagnie de son époux Pierre tout de même. C’est surtout depuis le milieu des années 2010 que la révolution souffle enfin, timidement mais sûrement, dans l’univers de l’argent, portée par la nouvelle vague féministe. Il a ainsi fallu attendre 2022 pour que la première vraie femme orne une monnaie en dollar américain. Et dans certains pays réputés égalitaires comme la Suède, on a même décidé de représenter autant de femmes que d’hommes sur les billets.

«Ce réveil tardif est encourageant pour la suite et change enfin les paradigmes de représentation, se réjouit Nicolas Consiglio. Mais j’espère qu’il s’agit d’un véritable mouvement de fond et pas juste d’un effet de rattrapage pour se donner bonne conscience.»

«On sent que cette révolution se fait un peu sous la pression, c’est moins par l’initiative des banques centrales que parce que la société civile le veut. Et il ne faut pas perdre de vue que ce sont encore les hommes qui restent majoritairement aux manettes de la production de monnaie.»

Histoire de la monnaie: les femmes qui comptent

Athéna: Dans la Grèce antique archaïque, ce sont les divinités et autres personnifications de cités qui figurent à l’avers des pièces. Ces dernières sont bien souvent féminines, comme Athéna casquée. Syracuse, de son côté, va jusqu’à faire poser de vrais modèles pour dessiner ces divinités.

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Athéna casquée sur une monnaie athénienne. © GETTY IMAGES/HERITAGE IMAGES

Cléopâtre VII: Au premier siècle avant notre ère, l’une des reines les plus célèbres de l’Antiquité a fait l’objet de nombreuses représentations, y compris sur la monnaie. Contrairement à d’autres supports où elle fut idéalisée pour correspondre à la légende d’une beauté extraordinaire, son portrait est traité de façon réaliste, signe d’un vrai pouvoir politique.

Agrippine l’Aînée: Durant l’Empire romain, c’est l’empereur, forcément un mâle, qui figure habituellement sur la monnaie. Mais les monarques ont souvent émis des pièces montrant leurs épouses, mères (comme Agrippine, mère de Caligula et grand-mère de Néron), filles ou sœurs afin de promouvoir la dynastie.

Catherine II la Grande: Accédant au trône de Russie après un coup d’État organisé contre son mari, Pierre III, en 1762, l’impératrice régna seule pendant trente-quatre ans et de façon assez absolue. Elle est l’une des premières femmes célèbres à apparaître sur des billets, un support qui émergea au XVIIe ​siècle en Europe, mais déjà utilisé dans la Chine médiévale.

Helvetia: La personnification de la Confédération accompagne la monnaie suisse depuis des lustres, comme sur la 20 francs or Vreneli. Sur la toute première version de la pièce, en 1897, Helvetia arborait une mèche de cheveux rebelle, jugée trop olé olé par les autorités, qui demandèrent au graveur de livrer une version plus décente!

Sophie Taeuber-Arp: En dehors de la figure omniprésente d’Helvetia, la monnaie suisse, comme beaucoup d’autres, a accordé peu de place aux femmes illustres. Exception faite du billet de 50 francs de l’ancienne série, qui représente Sophie Taeuber-Arp (1889-1943), peintre, sculptrice et danseuse suisse de la période surréaliste.

Elizabeth II: Le Royaume-Uni est sans conteste le pays ayant émis le plus de monnaies représentant une femme. La raison? Plusieurs souveraines au règne impressionnant. Après Elizabeth I (1558-1603) et Victoria (1837-1901), c’est Elizabeth II (1952-2022) qui fit apparaître son portrait sur toutes les monnaies britanniques… et du Commonwealth.

Maya Angelou: Il a fallu patienter jusqu’en 2020 pour qu’une monnaie en dollars américains arbore enfin la représentation d’une femme célèbre. L’honneur revient à la poétesse afro-américaine Maya Angelou, dont la silhouette les bras ouverts se superpose à l’aigle américain en vol sur le «quarter».​

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La poétesse Maya Angelou sur une pièce américaine. © GETTY IMAGES/CHIP SOMODEVILLA

Frida Kahlo: À part les dirigeantes d’État, rares sont les femmes célèbres à avoir figuré sur la monnaie. Le Mexique a choisi la peintre et poétesse Frida Kahlo, l’une de ses artistes les plus iconiques, pour son billet de 500 pesos. En Jamaïque, le billet de 500 dollars jamaïcains est, lui, orné de l’effigie de Nanny, héroïne nationale de la lutte contre l’esclavage.

Dès l'été 2024, la France débutera la mise en circulation de trois nouvelles pièces en euros dont l’avers est consacré à des femmes illustres: Simone Veil sur celle de 10 centimes, Joséphine Baker sur celle de 20 et Marie Curie sur celle de 50.


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