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Ancienne réfugiée, Aferdita Bogiqi vise le Conseil des États

Ancienne réfugiée, Aferdita Bogiqi vise le Conseil des États

«La Suisse s’est révélée telle que je l’imaginais, en l’occurrence un pays qui sait récompenser le travail et l’effort, même si certains obstacles se dressent sur la route des personnes immigrées comme moi.» - Aferdita Bogiqi

© GORAN BASIC

«Je suis née dans un pays qui n’existait pas encore. Il y a cinquante ans, le Kosovo était encore une région comprise dans la Yougoslavie communiste de Tito. Je vivais dans un vrai cocon d’amour familial, privée de rien. J’ai vu le jour dans une société que je qualifierais de patriarcale mais ouverte. À la maison, mes cinq frères et sœurs et moi avons très tôt été sensibilisés aux questions féministes.

De toute manière, j’ai toujours voulu faire comme les garçons.

Petite, je m’amusais à sauter aussi loin que les garçons, plus tard je jouais au foot avec eux.

Mes parents ont valorisé l’accès au savoir, l’instruction, l’importance de faire des études pour se faire une place dans la société, qu’on soit une fille ou un garçon. Un diplôme était dans le système communiste l’une des rares voies pour exister dans l’espace public, et la meilleure façon de s’émanciper pour les femmes.

Des écoles fermées

Après la chute du mur de Berlin, la Yougoslavie a manqué la transition sereine vers une économie de marché, laissant naître des nationalismes qui ont fait embarquer le pays entier dans une guerre. L’histoire avec un grand H rejoignait mon histoire de jeune femme heureuse et insouciante jusqu’alors. Après le collège, je suis partie en faculté d’économie où j’ai décroché plus tard l’équivalent d’un bachelor. Comme nombre d’usines, d’administrations ou même de médias, mon université a été fermée.

Un black-out, non pas pour se protéger d’un virus mais pour paralyser une région sur laquelle on allait lancer des bombes dans un deuxième temps… Mû par un besoin de résistance exemplaire, le corps enseignant s’est organisé en arrière-plan pour continuer à exercer, et nous, étudiants, pouvions suivre les cours dans des maisons privées prêtées gratuitement par les propriétaires. Les supports de cours étaient photocopiés tellement de fois que nous n’arrivions plus à distinguer correctement les lettres.

Il y avait une grande incertitude et j’ai un peu eu l’impression de perdre le contrôle de mon destin, de ma vie. C’était plein de pressions au même moment pour une jeune femme de 22 ans. Tout à coup, ce qui ne m’avait encore jamais traversé l’esprit s’est imposé: je devais partir, quitter le Kosovo, rejoindre un ailleurs plus apaisé, pour construire ma vie d’adulte.

Une femme seule devant l’inconnu

M’éloigner de mes proches fut une réelle déchirure. Je n’avais jusqu’ici jamais quitté la maison plus de trois jours. Dans ma famille, on respectait les choix de chaque personne, fût-il difficile. On ne m’a donc pas découragée de partir. Je quittais de toute manière un paradis qui, je ne le savais pas encore, était déjà condamné, car plus tard ma maison a été détruite par les bombes. Je n’allais pas revoir ma famille durant six longues années.

L’inconnu prit vite un nom: la Suisse. Ce pays m’inspirait un grand sentiment de sécurité, surtout en tant que femme qui se retrouvait comme seule au monde.

Tout était à construire, ma vie professionnelle, ma vie de femme, ma vie d’adulte en somme.

Un vertige réjouissant qui collait bien avec mon caractère volontaire et déterminé.

En 1995, je me suis ainsi installée à Monthey, sans doute parce que les montagnes étaient mon paysage quotidien. Elles me rappelaient un peu les horizons vallonnés de ma région. Il m’a fallu apprendre le français, et réaliser seule toutes mes démarches d’intégration. En dépit de ma bonne volonté, une mauvaise surprise a contrarié mes projets: mon bachelor n’était pas reconnu en Suisse, je devais reprendre mes études à zéro. Mais ce n’est pas cet obstacle qui allait me démotiver.

Des obstacles à surmonter

J’ai décidé de me lancer dans un CFC d’employée de commerce, plus réaliste pour décrocher rapidement un emploi et aider ma famille. Mon père, responsable des ressources d’une usine de 3000 employés, avait perdu son emploi car son usine avait été fermée, faisant de moi le seul pourvoyeur de fond de ma famille. Poussée par la solidarité, une valeur profondément ancrée dans ma famille et dans la société où j’avais grandi. Je suis alors devenue comptable, un métier que j’ai exercé pendant sept ans en Valais.

Mais avant cette situation stable, parallèlement le soir ou les week-ends pendant mes études, j’ai donc été serveuse, vendangeuse ou encore baby-sitter. Je ne m’en plains pas.

La Suisse s’est révélée telle que je l’imaginais, en l’occurrence un pays qui sait récompenser le travail et l’effort, même si certains obstacles se dressent sur la route des personnes immigrées comme moi, qui doivent souvent faire un peu plus que les autres pour trouver leur place.

Très vite, j’ai également eu l’envie de m’impliquer dans la société civile. J’ai intégré des associations locales, des commissions cantonales et construit mon réseau. J’adore être dans l’action, me donner à fond dans quelque chose. Au Kosovo, déjà, j’étais capitaine dans une équipe de handball. En 2005, j’ai eu l’immense joie de devenir maman.

Réviser seule le soir

En dépit de mon emploi du temps bien rempli, mon métier de comptable ne me suffisait plus complètement. J’avais fait le tour de ce que je pouvais apprendre et j’avais besoin d’avancer. J’ai décidé de mener un bachelor en travail social, en cours emploi, puis un CAS à la HEP, ensuite un master en travail social. Pendant des années, je couchais mon fils puis je travaillais tard, seule, pendant que tout le monde dormait à la maison. C’était fatigant, mon temps libre était quasi inexistant et je jonglais entre ma vie de famille, ma vie professionnelle et mes études.

Mais cet effort a porté ses fruits. Mes formations m’ont amenée sur des terrains professionnels aussi riches que variés, de comptable, enseignante spécialisée, assistante sociale, conseillère en périnatalité. Ayant toujours eu cet intérêt de faire partie de la société, l’engagement politique était une étape naturelle pour moi, franchie lors de la refonte de la Constitution valaisanne il y a quatre ans.

Berne est dans ses rêves

S’est ensuivie une campagne électorale aux fédérales en 2019, sur une liste annexe, et une autre aux élections communales en 2020. Élue à l’Exécutif de la ville de Monthey depuis janvier 2021, chargée du dicastère de l’enfance, des écoles et de la formation professionnelle, je découvre une passion pour cette fonction et pour la politique.

En vue des élections du 22 octobre 2023, je suis l’une des neuf personnes candidates pour les deux sièges du Valais aux États, avec l’étiquette socialiste. On cumule certes les handicaps lorsqu’on est une femme d’origine migrante, mais c’est un engagement utile pour la démocratie, une expérience enrichissante et formatrice à titre individuel.»

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