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Estelle Revaz: Une musicienne aux ambitions politiques

Portrait destelle revaz musiciennes aux ambitions politiques

Estelle Revaz explique sa vocation politique dans son autobiographie à paraître le 12 septembre 2023. Photo réalisée au Kiosque des Bastions à Genève.

© GUILLAUME MEGEVAND

Elle nous a donné rendez-vous sur une terrasse, au cœur d’une Genève écrasée de chaleur. Estelle Revaz, lorsqu’on la voit, est généralement entourée d’un grand orchestre, face à une légion de spectateurs, en conversation intime avec Schumann, Bach ou Ligeti. Cette fois, elle arrive seule, sans phalanges de musiciens ni compositeurs majeurs dans les parages, avec juste une furieuse lumière d’après-midi d’été en guise d’arrière-scène. C’est une jeune femme au regard bienveillant mais assuré, elle a le verbe qui file comme l’un de ces romans qu’on dévore en un jour.

On remarque sa posture droite qui ne va pas chalouper de toute l’interview, on note aussi ses bras affûtés qui pourraient être ceux d’une sportive d’élite. De quoi nous rappeler qu’être musicienne de haut vol, c’est, bien souvent aussi, être athlète de haut niveau. La même discipline impitoyable, la même implication physique et mentale dans l’effort. Avec parfois, également, les mêmes risques de subir les méthodes brutales d’un entraîneur.

Comme ce professeur, pendant ses études à Paris il y a seize ans, qui lui a ordonné de jouer après lui avoir demandé de plonger ses mains de longues minutes dans l’eau glacée, soi-disant pour l’aider à combattre les effets du stress avant les représentations. «Ce monsieur a aujourd’hui de gros soucis avec la justice à cause de son comportement avec les élèves. On est dans un milieu très compétitif, et il est nécessaire de se préparer à l’adversité. Mais il y a une grande différence entre l’exigence et la maltraitance.»

«Là, clairement, on était dans la maltraitance. C’est une illustration de ce qui se passe dans beaucoup de classes prestigieuses de musique classique. Il y a encore cette culture-là chez certains profs, qui tiennent davantage du maestro autoritaire que du pédagogue.»

Un épisode choquant, parmi d’autres, qu’elle relate dans son livre La Saltimbanque (Éd. Slatkine), à paraître le 12 septembre. La concertiste originaire de Salvan, en Valais, signe un premier ouvrage qui commence comme une autobiographie et se termine en manifeste coup-de-poing, où elle décrit sa découverte de la politique et sa soif de batailler pour la culture, les droits des femmes et tout ce qui s’apparente à ses yeux à des «valeurs humanistes.»

Son calendrier est maintenant concret: elle est candidate socialiste genevoise au National pour les élections de fin octobre. La politique, une fibre familiale?

«Pas vraiment, même si mes arrière-grands-parents paternels étaient très versés dedans. C’est drôle parce qu’une de mes arrière-grands-mères a été la première femme de mon village natal à se présenter aux élections, juste après que le droit de vote a été accordé aux femmes.»

«Elle a perdu à deux ou trois voix près en faveur des radicaux, mais c’était un exploit extraordinaire, poursuit-elle. La tradition s’est ensuite perdue et ma famille proche est maintenant plutôt apolitique.»

La poupée ou le violoncelle

Ses parents, à vrai dire, sont dans la catégorie culture pur sucre. Maman cantatrice – elle lui racontait l’histoire d’un opéra le soir avant de dormir, par épisode – papa professeur de Lettres classiques. Un foyer où les enfants ont été très tôt éveillés aux beautés des vers de Racine, de la peinture romantique, de l’architecture romane ou encore de la musique, classique particulièrement. D’abord initiée au piano, elle s’énamoura du violoncelle, «probablement parce que sa tessiture était assez proche de celle de la voix de ma mère». En l’espace de quelques années, la musicienne a senti naître ce destin de concertiste, au point d’intégrer le conservatoire de Paris, où déménagea un temps toute la famille.

Une enfance pas tout à fait comme les autres, où les moments de jeu étaient surtout dédiés aux gammes et au déchiffrage de partitions. Parfois, petite, elle profitait quand même du fait que les adultes aient le dos tourné pour jouer aux poupées alors qu’elle était censée travailler le violoncelle. «Néanmoins j’ai vite compris que cet instrument allait être toute ma vie et que ces petites stratégies d’évitement m’empêchaient en fait de vivre quelque chose de fort avec lui.»

Après Paris (où elle a terminé son cursus seule, ses parents étant revenus en Suisse), Estelle Revaz s’est envolée pour Cologne, en Allemagne, afin de se perfectionner auprès de Maria Kliegel, une femme forte, «un modèle», couronnement d’une jeunesse un peu à part et pas tellement insouciante.

«Je n’ai pas de regrets. C’est aussi ça qui m’a construite. J’ai eu une enfance où j’ai appris très tôt la rigueur, l’importance du travail régulier, l’importance de la persévérance. Ce sont nombre de valeurs que j’ai développées, probablement beaucoup plus tôt que d’autres enfants qui ne sont pas confrontés à cette exigence.

En même temps, j’ai aussi eu des bonheurs incroyables et fait des rencontres exceptionnelles.»

Aujourd’hui, à 34 ans, Estelle Revaz est l’une des violoncellistes les plus accomplies de sa génération, l’une des plus respectées aussi. Son engagement pour les artistes lors de la pandémie y est pour quelque chose. Alors que les scènes se vidaient inexorablement et que les acteurs de la culture étaient mis sur la touche en 2020 et 2021, la concertiste est partie en croisade quasi seule à Berne pour défendre la cause de ses pairs.

«Cette période, c’était extrêmement violent. Comment peut-on imaginer interdire à des gens de travailler en sachant très bien qu’on n’a pas de base légale pour les indemniser?» Mais après des semaines de lutte, à troquer son violoncelle adoré contre les dossiers et les micros tendus par les médias, Estelle Revaz obtient des résultats – inespérés.

«Jamais je n’aurais imaginé pouvoir mettre mes qualités d’artiste au service de la politique, que ça marcherait pour faire changer une loi. Mais ce qui m’a énormément aidée, c’est justement mon expérience artistique, cette sensibilité qu’on développe depuis qu’on est enfant, d’arriver à jouer à plusieurs, à faire résonner en harmonie des visions du monde différentes. Finalement, c’est l’art du compromis sans jamais renoncer à ses valeurs profondes. La politique, c’est de la musique.»

Trauma de ses années d’étudiante

L’expérience aurait pu être un one shot, mais des concerts aux débats, il n’y a qu’un coup d’archet. En 2021 et 2022, lors de la révision de la loi pénalisant les violences sexuelles, elle s’engage en faveur du «Seul un oui est un oui», définition du consentement défendue par la gauche et les associations d’aide aux victimes. Cette saga parlementaire lui parle particulièrement. En tant que femme, bien sûr, mais aussi parce que son histoire personnelle résonne avec ces échanges sous la coupole.

Dans La Saltimbanque, la violoncelliste révèle en effet avoir subi un viol, adolescente, alors qu’elle était étudiante à Paris.

«J’ai écrit ce passage dans l’avion entre Ushuaïa et Buenos Aires. J’ai beaucoup pleuré. Je suis bien placée pour savoir à quel point c’est difficile d’aller porter plainte et d’aller faire attester des preuves parce que le mécanisme de cette agression est vraiment très spécial.»

«C’est très incompris et c’est assez incompatible avec le système judiciaire qui existe. Les preuves sont très souvent effacées parce que justement, quand on a vécu un viol, l’instinct de survie veut qu’on essaye juste de survivre. Plutôt prendre une douche que d’aller au poste de police. Je voulais que le «oui est un oui» passe pour que, symboliquement, on montre à la population qu’en Suisse, on n’accepte plus les relations sexuelles non consenties.»

Rendez-vous le 22 octobre prochain pour, peut-être, le début d’une nouvelle carrière, ou plutôt une double carrière. «J’adore la notion de liberté individuelle tant qu’elle respecte la dignité d’autrui, c’est ma définition de l’humanisme, qui me guide partout, sur scène, comme en politique.»

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