Femina Logo

Culture

Les politiciennes de séries sont-elles crédibles?

Les politiciennes de séries sont-elles crédibles?

Malgré des événements abracadabrantesques, la série Borgen avec Sidse Babett Knudsen n'en est pas moins crédible dans ce qu'elle montre.

© MIKE KOLLOEFFEL

Avec une clairvoyance parfois troublante, les séries captent l’air du temps, témoignent d’injustices ou d’aberrations et reflètent les grandes questions qui agitent les sociétés occidentales. Ainsi Commander in Chief, House of Cards, Borgen, Sous contrôle, La diplomate ou encore Parlement, Veep et Years and Years qui, racontant le parcours tortueux et compliqué de femmes dans les hautes sphères du pouvoir et de la politique, montrent notamment que l’égalité et la parité sont loin d’être atteintes.

Et quand on dit «loin»… Selon des chiffres publiés en septembre 2023, l’ONU rapporte que, sur les 220 pays que compte aujourd’hui notre planète, seuls quinze ont une cheffe d’État à leur tête et seize une cheffe de gouvernement. Pas de quoi pavoiser dans les parlements nationaux non plus, avec une moyenne de 26,5% de femmes parlementaires dans le monde. Quant à la Suisse, elle semble avoir oublié la vague violette puisque les élections fédérales de l'automne 2023 ont fait diminuer la part des femmes sous la Coupole. Car, même si l’on parle de «record absolu» au Conseil des États, avec seize sénatrices contre douze en 2019, le National a perdu sept élues, la représentation féminine y passant ainsi de 42% à 38,5%.

Voilà pour la statistique. Il reste les intrigues. Font-elles écho au quotidien d’une politicienne suisse? Les héroïnes dépeintes sont-elles crédibles? Le point avec les conseillères d’État Rebecca Ruiz (PS/VD), Delphine Bachmann (Le Centre/GE) et Crystel Graf (PLR/NE) qui, si elles n’ont pas vu toutes les séries mentionnées, n’en estiment pas moins que «certains éléments reflètent assez bien ce que veut dire être une femme dans un Exécutif» et parlent d’étapes clés typiquement féminines (règles, grossesse, ménopause…).

Ce qui ne vend d’ailleurs pas toujours du rêve puisque l’on voit des protagonistes se démener comme des diablesses pour, en vrac et dans le désordre, tenter de s’imposer dans un milieu éminemment masculin; négocier en tentant de ne pas trahir une vision, des engagements et/ou des électeur-rice-s; traiter des dossiers sensibles sans en avoir toutes les données; subir une presse ou des réseaux sociaux rarement bienveillants, le tout en devant perpétuellement composer avec des manigances peu collégiales et jongler entre le professionnel et un privé pas forcément de tout repos non plus. La vision paraît extrême. Elle ne sonne pas complètement faux pour autant, malgré les descriptions et clichés parfois caricaturaux, ainsi que les turpitudes souvent abracadabrantesques que traversent les personnages. Dans le détail…

Prises de tête

Sorte de fil rouge entre les différentes fictions mettant en scène des femmes de pouvoir, des agendas surchargés. Si surchargés, même, que ces passionnées sacrifient souvent leur temps de repos et de loisirs à leur mission. Ainsi, tout comme à Birgitte Nyborg (Borgen), il arrive à Delphine Bachmann de travailler quand ses enfants sont couchés et à Crystel Graf de potasser des dossiers le week-end.

«Ces scénarios illustrent assez bien la complexité et l’intensité de la tâche, la dureté du jeu politique et les impacts sur nos proches ainsi que sur notre propre vie», précise la Neuchâteloise.

«Ce que cela montre, aussi, c’est qu’on n’a pas toujours la tête où il faut, qu’on est happée par la fonction. Il y a évidemment les longues heures de travail mais après, il y a tout ce qui vous anime et vous habite: vos dossiers, vos ennuis potentiels, vos occupations et préoccupations, une crise à gérer… Et ça, c’est sans doute la donnée la plus sous-estimée», confie Rebecca Ruiz.

Faire entendre sa voix. Ou pas!

Quand on est femme, faire entendre sa voix dans des sphères politiques dominées par des hommes n’a rien d’une promenade de santé. Birgitte Nyborg (Borgen) ou Marie Tessier (Sous contrôle) ne diront pas le contraire. Delphine Bachmann non plus: «Notre collège fonctionne très bien et, franchement, la question ne se pose pas. Il n’empêche que si l’on regarde statistiquement la fréquence et la durée des prises de parole dans un parlement, les femmes s’expriment beaucoup moins souvent et longtemps que les hommes et se montrent plus calmes. Parler ne devrait en aucun cas être genré mais, inconsciemment, on pense encore qu’on ne sera pas forcément bien perçue si on se montre trop bruyante!»

Un avis que partage Rebecca Ruiz, qui nuance, toutefois: «Les choses ont commencé à évoluer: le fait qu’il y ait (un peu) plus d’élues et que la classe politique rajeunisse modifie les sensibilités – et je vois des changements par rapport à l’époque où je siégeais à Berne (ndlr: entre 2014 et 2019).»​

Sexisme ordinaire

Entre petites phrases paternalistes, commentaires patelins, grivois et déplacés, remarques liées à leur féminité et/ou à leur maternité, ou gestes inadmissibles, les héroïnes de séries avalent des couleuvres à longueur d’épisodes. Et dans la réalité? Unanimes, et soulignant que «la question du genre n’a jamais été une question en interne» de leurs partis respectifs, les trois conseillères d’État estiment que les consciences se sont tout de même réveillées ces dernières années. «Ma fonction inspire une forme de respect et de distance et je n’ai pas, plus, à subir des propos douteux ou totalement inappropriés», précise Rebecca Ruiz.

«Par contre, lorsque je siégeais au National ou au Grand Conseil vaudois (ndlr: de 2012 à 2014), j’en ai entendu de toutes les couleurs sur mon physique, mes habits ou la longueur de mes jupes...»

«À l’époque, je me disais: allez, serre les dents! et jamais je n’aurais dénoncé publiquement parce qu’on n’en parlait pas et parce que j’aurais considéré le fait de me plaindre comme un aveu de faiblesse. Aujourd’hui, je suis très admirative des jeunes politiciennes qui osent dire, y compris à la tribune: «Non, ceci n’est pas acceptable!» malgré les retours de bâtons très violents que génère ce type de prise de parole. Je trouve cela à la fois hypercourageux et utile puisque cela participe à une conscientisation et à une vraie sensibilisation à des propos et comportements qui n’ont pas lieu d’être!»

Certes. Pourtant, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, aussi bien dans les fictions que dans la «vraie vie», la violence se déchaîne et les politiciennes restent des cibles privilégiées – surtout s’il s’agit de froufrou et d’apparence: «S’il y a une «affaire», je ne suis pas sûre que le genre soit l’unique facteur de critiques. À mon avis, la jeunesse, l’(in)expérience, la couleur politique ou la personnalité entrent aussi en ligne de compte, insiste Crystel Graf. En revanche, pour ce qui est du look, le fait d’avoir plus de liberté de choix a comme corollaire plus de décryptage sans être négatif…»

Des modèles?

De nombreuses études ont démontré que les femmes sont très sensibles aux «role-models» et que la médiatisation de personnalités réelles ou de personnages de fiction forts a un vrai impact positif. Notamment en matière de choix de carrière. Marie Tessier (Sous contrôle), Kate Wyler (La diplomate), Birgitte Nyborg (Borgen) ou Valentine Cantel (Parlement) peuvent-elles tenir ce rôle de modèle inspirant, encourager l’ambition et prouver les compétences politiques féminines? Delphine Bachmann, Crystel Graf et Rebecca Ruiz en sont convaincues. Pour elles, tant pis pour les excès et les aspects parfois caricaturaux de ces personnages, leur mise en lumière est de toute manière une bonne chose.

Et Delphine Bachmann de préciser: «Si vous aviez 50% d’ouvrières dans le bâtiment, beaucoup plus de jeunes filles pourraient s’identifier à ces professions et s’y intéresser sérieusement. Le monde change au niveau des représentations, mais c’est encore trop lent! À Genève, la majorité féminine du Conseil d’État est un signe que la population est prête à voir plus de femmes dans les instances dirigeantes. Or, nous manquons de relève et il faut donc absolument réussir à susciter des vocations. Ce qui passe notamment par une meilleure visibilité!»

Témoignage: Delphine Bachmann, conseillère d’État (Le Centre/GE) chargée du Département de l’économie et de l’emploi

Les politiciennes de séries sont-elles crédibles?
Delphine Bachmann est une grande amatrice de séries. © NIELS ACKERMANN

«Outre le côté intéressant de ces séries, grâce auxquelles je découvre les fonctionnements d’autres pays, j’aime bien qu’elles normalisent l’image qu’on peut avoir des personnalités publiques. Certes, de par ma fonction (ndlr: elle a été élue en avril 2023), je suis une cible potentielle pour les réseaux sociaux et j’ai donc un devoir d’exemplarité absolue (au point qu’au resto, j’en suis à me demander si j’ai le droit de commander autre chose que du vin genevois!), mais ceci mis à part, je suis comme tout le monde: le travail (j’ai commencé à 13 ans en donnant des cours de piscine!), le quotidien et les discussions avec mon mari pour établir un équilibre organisationnel, les amis, dont ma collègue Nathalie Fontanet qui est dans mon cercle proche, les agacements quand tout ne va pas comme je voudrais, les frustrations parce que j’ai l’impression de n’avoir pas assez bien traité un dossier, d’être rentrée trop tard pour voir mes deux enfants ou d’avoir raté une énième soirée d’anniversaire – bref, j’ai exactement les mêmes difficultés que n’importe qui!»

Témoignage: Rebecca Ruiz, conseillère d’État (PS/VD) chargée du Département de la santé et de l’action sociale

Les politiciennes de séries sont-elles crédibles?
Rebecca Ruiz reconnaît certains aspects de sa vie dans certaines scènes de «Borgen». © ODILE MEYLAN

«Le monde politique est dur et peut être cruel. Plus on a de pouvoir, plus on est en vue, plus on est potentiellement dangereux ou menaçant pour des intérêts privés ou sectoriels, plus on court le risque de se faire attaquer – et dans ce cas, je ne pense pas qu’il y ait une différence liée au genre.

Par contre, je pense que là où les femmes sont régulièrement traitées différemment, et moi, je l’ai vécu, c’est face à la parentalité, en l’occurrence face à la maternité: vous pouvez être la cible de critiques qui vous atteignent dans une sphère personnelle et privée, on vous met sur le dos des choses qu’on ne dirait pas à un homme.

Ce que montre Borgen, entre autres, c’est que quand on est au pouvoir, on peut aussi avoir une autre casquette: on rentre le soir à la maison et tout le monde est de mauvaise humeur, le mari, les parents qui ont baby-sitté ou les enfants… Or, après avoir été dans une sorte de bulle toute la journée, il faut assumer cela, prendre en compte les contraintes familiales et, donc, beaucoup jongler. Avec, parfois aussi, une culpabilité par rapport à ce qu’on fait ou qu’on n’assume pas soi-même dans le quotidien...».

Témoignage: Crystel Graf, conseillère d’État (PLR/NE) chargée du Département de la formation

Les politiciennes de séries sont-elles crédibles?
Crystel Graf dévore des fictions pour se changer les idées. © JEAN-CHRISTOPHE BOTT

«Comme on le voit dans les séries, occuper une fonction exécutive a de nombreux impacts – et notamment sur la vie privée. Depuis mon élection, en 2021, il m’arrive même de me demander s’il m’en reste une! Blague à part, le temps manque souvent. Mais finalement, c’est aussi intéressant parce que ces petites parenthèses, je les apprécie d’autant plus: je marche, je vais courir, je vois des ami-e-s avec qui on parle de tout sauf de politique, je regarde des fictions…

Par contre, cet investissement a une vraie incidence sur mon entourage – par exemple quand je subis des attaques sur les réseaux sociaux. Personnellement, je ne les consulte pas et, de toute manière, je peux relativiser: je sais que c’est le jeu politique et que ce n’est pas lié directement à moi mais à ma fonction.

Mes proches, eux, ont beaucoup plus de peine. De manière générale, il peut y avoir une telle violence sur les réseaux et nous ne pouvons pas la supprimer. En revanche, nous pouvons essayer de sensibiliser les gens afin qu’ils comprennent que quand ils écrivent quelque chose, leur message est public, se diffuse et peut créer beaucoup des dégâts - et l’éducation numérique est un outil dans ce sens selon moi.»

Saskia vous suggère de lire aussi:

Podcasts

Dans vos écouteurs

E94: Les bienfaits du jeu vidéo sur notre épanouissement

Dans vos écouteurs

Tout va bien E89: Comment mieux comprendre nos rêves

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné