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«Les femmes qui deviennent mères au travail sont mal considérées»

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«Mises au placard, poussées au burn out ou à la démission: le monde du travail peut être hyper maltraitant envers les femmes devenues mères à leur reprise.» - Thi Nhu An Pham

© DR

En 2020, on annonçait à l'autrice et podcasteuse Thi Nhu An Pham son licenciement durant son congé maternité et elle débutait sa prise de conscience sur cette période de vulnérabilité et d’inégalités. En 2021, elle lançait le podcast «La reprise» pour faire entendre la réalité du retour - ou non - au travail après la naissance d’un enfant. En juin 2023 sortait son essai éponyme, La reprise (Ed. Payot), sur le tabou de la condition des femmes après leur congé maternité. Interview.

FEMINA: Pouvez-vous nous raconter ce qui a déclenché votre prise de conscience?
Thi Nhu An Pham: J’ai eu deux enfants et des reprises qui ont été très différentes l’une de l’autre. On va dire que ma première reprise s’est «passée», sans que ça soit catastrophique. Je n’avais alors pas de place en crèche, mais j’avais la chance que mon conjoint puisse prendre du temps sur sa carrière professionnelle pour garder notre enfant. Pendant plusieurs mois, j’ai pu m’appuyer sur lui pour reprendre. Quand j’ai repris, c'était bizarre, sans que je conscientise à ce moment-là tout le trouble dans lequel j’étais.

Pour ma deuxième reprise, j’ai été licenciée durant mon congé maternité pour des raisons économiques. C’était d’une violence inouïe, une déflagration dans ma vie.

J’étais dans une période de fragilité énorme avec mon fils qui était né deux mois avant terme. À partir de ce moment-là, j’ai ouvert les yeux sur ce sujet.

C’est-à-dire?
J’étais en plein dans les questions existentielles qui peuvent survenir au moment de la maternité et la question de la fin du congé maternité: qui suis-je aujourd’hui, maintenant que je n’ai plus ce travail, comment je me reconstruis? Tout ce flou m’a menée à lancer un podcast sur le sujet. Je me disais que ça n’était pas possible qu’on soit toutes à vivre ces moments de trouble, cette intensité-là de déstabilisation et que personne n’en parle. Pourquoi ce désarroi et ces difficultés n’étaient pas dits?

Donner la parole aux femmes dans votre podcast était une façon d’alerter sur ce sujet?
Oui, pour alerter sur cette période qui est fondamentale, cruciale pour les femmes mais dont on ne parle jamais et qu’il faut absolument prendre en compte. J’ai interviewé des femmes, parents, experts, psychologues, avocats et ça faisait du bien de pouvoir en parler et d’entendre les autres en parler. Dès la première interview, je me suis rendu compte que je n’avais pas pris conscience de tout ça avant, c’était comme quelque chose à la fois «normal» et bizarre.

Pourquoi «bizarre»?
C’est impalpable, c’est une espèce de sentiment d’inconfort, de flou, j’avais l’impression de flotter sur un nuage, je ne comprenais pas pourquoi.

Avant mon premier enfant, j’avais les deux doigts dans la prise tout le temps, j’étais une véritable workaholic, et tout d’un coup mes collègues ne comprenaient pas la distance que je prenais par rapport au travail.

Ils s’attendaient à revoir la Thi Nhu An d’avant, celle qui rentrait tard, faisait des heures supplémentaires et s’impliquait sur tout. Je ne savais pas comment me positionner par rapport à ça et je le gardais pour moi. Pareil lorsque je voyais comment on traitait mes collègues qui revenaient de congé maternité, ça me semblait à la fois bizarre et normal. Je me disais que ce n’était pas juste, mais j’avais intégré le fait que les femmes qui deviennent mères au travail sont mal considérées.

Jusqu’alors vous n’aviez pas conscience des discriminations qui pouvaient exister?
Il y a eu un effet miroir et révélateur quand j’ai commencé à interviewer les mères.

Mises au placard, poussées au burn out ou à la démission: le monde du travail peut être hyper maltraitant envers les femmes devenues mères à leur reprise.

Certaines femmes n’en ont pris conscience que lorsqu’elles me le confiait. Quand j’ai annoncé ma deuxième grossesse, la promotion dont on m’avait parlé avant que je tombe enceinte a été reportée. À ce moment-là je n’ai pas saisi que j’étais probablement en train de vivre une discrimination liée à ma maternité.

Comment expliquer que cette question soit à ce point un non-sujet au travail?
Il y a à la fois un monde du travail qui a été construit depuis la révolution industrielle, un cloisonnement fort entre la vie pro et perso, comme si on scindait les gens et on s’attendait à ce que les gens viennent travailler comme s’ils n’avaient pas d’enfants. La révolution industrielle a envoyé les hommes au turbin dans les usines et a remis les femmes au foyer. On a hérité de ça, où le présentéisme est roi, où on peut exploiter le travailleur à tout va, peu importe qu’il ait une famille ou pas puisqu’on considère que tout ce qui est de l’ordre du domicile ou du parental reste au foyer. Pas d’autre vie, pas d’autre identité associées aux travailleurs. Avec une représentation très genrée des rôles au sein de la famille.

Si les femmes veulent travailler, c’est sur elles que repose la conciliation travail-famille puisqu’on considère que ça doit être sur leurs épaules. On n’a pas toujours considéré les choses comme ça, mais c’est à ce moment-là qu’on assiste à l’émergence de la mémère, de la ménagère…

Et du silence qui entoure les difficultés rencontrées par celles qui voudraient reprendre le travail?
Oui, en plus de ce cloisonnement entre vie professionnelle et vie privée, il y a également le silence lié aux multiples injonctions contradictoires qui pèsent sur les femmes et au fait qu’on nie et qu’on sous-estime les difficultés qu’elles traversent. C’est:

«Performe et tais-toi, sois mère et tais-toi, sois heureuse et tais-toi»

À partir du moment où on devient mère, on est considérée comme une femme entière. L’idée que la maternité apporterait un bonheur absolu que tout le monde nous envierait, donc on n’a qu’à se taire, en gros. Et si on reprend le travail après avoir eu un enfant, c’est à nous d’assumer tout ce qui va avec. En silence.

Briser ce silence passe par l’empouvoirement des mères selon vous. Qu’entendez-vous par-là?
D’abord, c’est le fait de lever le voile, de donner la parole aux mères, ça permet de prendre conscience de ce qu’elles traversent, de mettre des mots sur des maux, sur des questionnements. Représenter les mères dans leur réalité, leur ambivalence vis-à-vis de la reprise et des difficultés qu'elles rencontrent, ça permet déjà aux femmes de se sentir moins coupables, de réaliser qu’il y a un problème systémique. Ensuite, c’est de leur faire connaître leurs droits, si elles se sentent maltraitées ou discriminées elles vont pouvoir décrypter plus facilement ce qui leur arrive.

Qu’est-ce qu’il faudrait au niveau RH pour que ça change?
Un respect de la loi et des droits. Un minimum qui n’est pas toujours respecté ni même connu, parfois. Une politique volontariste de soutien à la maternité aussi qui est d’intégrer cette question là dans les politiques RH et dans l’évolution du climat de travail pour plus de bienveillance envers les parents de manière générale.

Il faut autant accompagner les mères dans cette période de transition qu’est la reprise, qu’accompagner les pères qui veulent s’impliquer.

Aujourd’hui, les remarques sexistes liées à la parentalité visent particulièrement les femmes devenues mères mais aussi tous ceux qui veulent s’impliquer en tant que parent ou coparent. Il faudrait aussi être plus souple au retour, pour ne pas tout de suite être en mode “surcarburant”, avec moins de présentéisme, du télétravail, des horaires adaptés: tout ce qui peut alléger le quotidien des parents lors de cette période intensive et énergivore.

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