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Oscars, rôles, succès: Les sexagénaires sont (enfin!) mises en lumière

Soixantaine femmes cinema mises en lumiere

«C’est clairement une révolution culturelle, car il s’agit de la première génération de femmes sexagénaires qui ne quittent pas le devant de la scène.» - Virginie Girod, historienne et chroniqueuse pour la radio française Europe 1.

© DR/MONTAGE: NAILA MAIORANA

«Quand je pense à ma grand-mère à 60 ans, elle semblait en quelque sorte déjà résignée à être vieille. Mais je me sens, à bien des égards, plus vivante et présente que jamais.» À quelques semaines de franchir elle aussi le cap de la soixantaine, Demi Moore donnait le ton dans le magazine People, en 2022: pas question d’être réduite à l’étiquette de la mamie de service ni de se voir tranquillement reléguée au rayon des archives.

Depuis quelques mois, les femmes sexagénaires semblent en effet avoir gagné une visibilité inédite dans les médias. Des femmes qui ne sont pas forcément présentées comme des grands-mamans, des icônes à la retraite ou des ombres de leur gloire passée, mais bien comme des personnes fortes, désirantes et désirées, en pleine fleur de l’âge, qui entendent toujours jouer le premier rôle, que ce soit sur les écrans comme dans la vie.

Golden Goble pour la première fois

On voit par exemple la sublime actrice française Philippine Leroy-Beaulieu, 60 ans au printemps, ravir littéralement la vedette à la pourtant jeune trentenaire Lily Collins dans la série Emily in Paris. Sylvie Grateau, son personnage, une directrice d’agence marketing aussi éprise d’indépendance que séductrice charismatique, est quasi devenu la figure principale de la dernière saison, au point qu’il se murmure qu’un spin-off centré sur elle pourrait lui être consacré dans un avenir proche.

Et cette prise de pouvoir des sexagénaires n’a pas lieu que dans la fiction: il y a quelques semaines, les prestigieux Golden Globes, aux États-Unis, ont récompensé Michelle Yeoh (ndlr: aux SAG Awards 2023, elle a remporté le prix de la meilleure comédienne pour Everywhere Everything All At Once), Jennifer Coolidge et Angela Bassett, trois actrices de plus de soixante ans, certaines atteignant le firmament de la reconnaissance pour la première fois de leur carrière.

Une révolution culturelle

Du jamais vu dans l’histoire de ces cérémonies, plutôt habituées à célébrer, comme le reste de la planète Hollywood, la féminité tant qu’elle n’est pas ménopausée. Sans parler de Madonna qui, après avoir soufflé ses 64 bougies, refuse d’abandonner sa stature de superstar sulfureuse, oubliant de s’entourer d’une cape d’invisibilité et de sagesse éclipsant son corps et ses ambitions. Quitte à affronter la véhémence des critiques de celles et ceux qui voudraient la voir adopter l’attitude qu’on attend d’une dame de son âge: en l’occurrence renoncer à la plénitude d’être femme.

Le monde semble avoir changé, ou en tout cas l’image qu’il donne de lui-même, et heureusement. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire ce qui s’écrivait au tout début des années 2010. On s’extasiait, alors, sur ces actrices de quarante, voire cinquante ans, parvenant à conserver des rôles majeurs au cinéma. Naomi Watts, Julia Roberts, Tilda Swinton, Isabelle Huppert, Halle Berry, Fanny Ardant ou encore Sandra Bullock, qui avait même réussi l’exploit de décrocher un Oscar à 45 ans en 2009. Une décennie plus tard, la soixantaine semble être devenue la nouvelle cinquantaine.

«C’est clairement une révolution culturelle, car il s’agit de la première génération de femmes sexagénaires qui ne quittent pas le devant de la scène, observe Virginie Girod, historienne et chroniqueuse pour la radio française Europe 1.

Auparavant, cette catégorie de femmes était majoritairement assimilée au statut de grands-mères, de personnes allant faire leurs courses dans l’anonymat. C’est totalement nouveau que ces sexagénaires continuent à exister médiatiquement.»

Les victoires du féminisme

Si la cinquantaine est la jeunesse de la vieillesse, selon la phrase de Victor Hugo, alors la soixantaine en est l’adolescence. C’est dire si cette décade a tout le potentiel pour être palpitante. Parmi les explications de cet empowerment des stars sexagénaires? Peut-être la – lente – prise de conscience que la nature n’est pas plus favorable aux mâles avec les années, et que l’imbuvable cliché voulant que le physique des hommes résiste mieux au temps n’est qu’un postulat arbitraire et sexiste qui a fait long feu.

«Nous assistons à une mutation profonde de la notion du sexy, souligne Virginie Girod. Il y a encore quelques années, les femmes étaient surtout présentées comme désirables avant la ménopause. Après cinquante ans, leur perte d’attractivité les plaçait dans un autre rôle social auquel les hommes, eux, avaient tendance à échapper. On voit aujourd’hui que cette différence de traitement tend à s’effacer grâce à une véritable lame de fond dans la société, en grande partie due aux victoires du féminisme.»

Dans les années 2000, en osant poser topless à 50 ans en couverture d’un magazine dans une démarche quasi iconoclaste, l’actrice Jamie Lee Curtis (ndlr: aux SAG Awards 2023, elle a remporté le prix du meilleur second rôle féminin, pour Everywhere Everything All At Once) avait déclenché une tempête de critiques à son égard. Aujourd’hui, Sharon Stone, Julianne Moore ou Andie McDowell exposent leur plastique sexagénaire sans que quiconque en ait à redire sur l’âge de leurs corps.

Pas la fin de l’âgisme

Mais Hollywood lui-même est-il derrière cette révolution? Probablement pas. L’avènement des séries à partir de la fin des années 2000 et la diversification des réseaux de production en dehors des grands studios semblent avoir contribué à renouveler les modèles. Glenn Close puis Jessica Lange, alors sexagénaires, ont par exemple pu revenir sous le feu des projecteurs via des séries à succès il y a plus de dix ans.

Des come-back d’ailleurs couronnés par des Golden Globes en 2017. Certaines actrices ayant bien compris le phénomène, parmi lesquelles Nicole Kidman, Cate Blanchett ou Jennifer Aniston, ont d’ailleurs créé leur propre boîte de production, favorisant ainsi une meilleure présence des femmes seniors sur les écrans.

D’accord, mais toutes ces figures hautement médiatiques peuvent-elles, à elles seules, servir de modèles pour enfin rayer de la carte l’âgisme dans la société en général, et hollywoodien en particulier? «Il ne faut pas se leurrer, les grandes performances de quelques stars quinquas et plus ne sont pas représentatives de la réalité vécue par leurs consœurs, alertait récemment la chercheuse Martha Lauzen, fondatrice et directrice du Centre d’étude des femmes dans la télévision et le cinéma, à San Diego. Il serait trop facile de croire à la fin de l’âgisme à Hollywood en se basant sur la réussite de cette seule poignée d’actrices.»

Être la mère de Wonder Woman

Ses travaux révélaient effectivement que seulement 6% des personnages principaux féminins des fictions sorties en 2020 ont 60 ans et plus. En cause: des réflexes difficiles à éradiquer complètement. Car aujourd’hui encore, «la plupart des actrices, après 28 ans, passent directement aux rôles de mères puis de grands-mères avant de disparaître des écrans», comme le dénonçait l’actrice Zoé Saldana. En 2019, Charlize Theron se remémorait d’ailleurs avec une certaine amertume cette expérience lorsqu’un producteur l’avait approchée pour figurer au casting du film Wonder Woman, à 43 ans. Mais pas en tant que rôle principal:

«C’est un bon exemple de la façon dont Hollywood vous met une claque dans la figure quand vous prenez de l’âge, racontait-elle alors sur Watch What Happens Live. Quelqu’un m’a dit: Il y a de l’action dans Wonder Woman, nous voulons simplement te prévenir de ça. Et j’ai dit: Je ne suis pas familière de cet univers, je ne sais rien, que fait Wonder Woman? Et cette personne m’a répondu: Non, c’est pour la mère de Wonder Woman.»

Le fait que Carey Mulligan, 35 ans, ait été choisie pour jouer le rôle d’une femme de 56 ans dans The Dig, sorti en 2021, montre que le chemin qui reste à parcourir est plus que semé d’embûches pour les femmes seniors. Au cinéma comme au quotidien.

La réalité des femmes sexagénaires au quotidien

Valeria Insarauto, chercheuse en sociologie à l’Université de Lausanne, nous répond.

FEMINA Voit-on une évolution de l’attractivité sur le marché du travail des femmes de soixante ans aux yeux des employeurs?
Valeria Insarauto L’employabilité des seniors reste une question complexe de manière générale, mais elle se traduit par des injonctions contradictoires notamment pour les femmes, puisque les recherches montrent comment les femmes seniors constituent un véritable angle mort des politiques d’entreprises d’égalité et de gestion des âges, en raison, aussi, du fait que le croisement des facteurs d’âge et de sexe a pour effet de les exclure de ces politiques.

C’est-à-dire?
L’accès aux mesures de gestion des âges dépend souvent étroitement de la valeur productive à court terme des travailleuses et des travailleurs, ainsi que de leur place dans la hiérarchie de l’entreprise. Or les femmes sont plus nombreuses à occuper des postes peu qualifiés, en bas de la hiérarchie, qui ne sont pas considérés comme stratégiques par l’entreprise. Quant aux politiques d’égalité, celles-ci, souvent, visent essentiellement les femmes dans des tranches d’âge plus jeunes, notamment les femmes en première partie de carrière, surtout si elles sont considérées à «haut potentiel».

Les femmes sexagénaires sont donc oubliées?
Les politiques focalisent leurs efforts sur les mesures de «conciliation travail-famille» pour venir en aide aux mères d’enfants en bas âge, et ne semblent pas adaptées à des besoins de care plus larges, impliquant d’autres destinataires de soins, qui concernent l’expérience des femmes seniors.

De même, quand on regarde les politiques de réorientations professionnelles du fait de l’âge, les femmes seniors n’y sont pas prioritaires non plus, puisque la reconnaissance de la pénibilité dans les métiers fortement féminisés est moindre par rapport aux métiers typiquement masculins. Il n’y a donc pas forcément une vraie reconnaissance, ou une désidérabilité de cette catégorie de femmes aux yeux des employeurs.

Vous voulez dire qu’on néglige encore tous les autres aspects inhérents à ces âges?
La question du care, c’est-à-dire de la prise en charge du soin des proches, est une raison fondamentale pour laquelle je ne dirais pas que les femmes sexagénaires gagnent aujourd’hui en visibilité et en reconnaissance dans notre société.

La majorité des personnes qui en aident d’autres dans les familles (que ce soient des conjoints âgés, des parents âgés, des petits-enfants etc.) sont des femmes, cela tout au long de la vie, et c’est souvent une charge multiplicatrice d’inégalités et de vulnérabilité pendant la vieillesse, où cette charge ne s’estompe pas.

Celle-ci reste encore largement invisibilisée et ne reçoit pas non plus de véritable reconnaissance, ni matérielle ni symbolique. Entre proches, ce travail se fait gratuitement. Il implique un travail émotionnel souvent méconnu et délaissé par les pouvoirs publics et la société au sens large.

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