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Ce que la «Revenge Song» révèle de la rupture post-MeToo
«Tu as cru me blesser et tu m’as endurcie. Les femmes ne pleurent plus, les femmes facturent.» En 2023, les choses sont claires: fini les Ne me quitte pas qui supplient à genoux, oubliés les Someone Like You dégoulinants, au placard les envolées lyriques des With or without you. La douloureuse chanson de rupture a fait place à la revenge song, celle qui écorche l’être aimé et brandit son scalp, histoire de mettre en lumière ses tares.
Trompée et quittée par son époux Gerard Piqué après plus de dix ans de mariage, Shakira a ainsi choisi de régler directement ses comptes avec celui qui est désormais son ex par une chanson en mode arme de destruction massive. Le clip de son missile vocal, BZRP Music Session #53, mis en ligne sur YouTube le 12 janvier 2023 enregistre déjà plus de 200 millions de vues, preuve que le message n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. «Tu as changé une Ferrari contre une Twingo, une Rolex contre une Casio», balance la Colombienne, dont les métaphores automobiles et horlogères désignent sans la nommer la jeune compagne avec qui le footballeur roucoule aujourd’hui.
Messages très personnalisés
Quelques heures plus tard, le 13 janvier 2023, c’était au tour de Miley Cyrus de dégainer sa colère et d’étriller son ex-mari, l'Australien Liam Hemsworth, lui aussi pris en flagrant délit d’infidélité, dans la vidéo de sa chanson Flowers. «Oui, je peux m’aimer mieux que tu ne le peux», déclame-t-elle avec aplomb et revenge body plein écran. La compo comptabilise quelque 110 millions d’écoutes sur YouTube et Spotify. Et Miley Cyrus et Shakira sont loin d’être des cas isolés: Billie Eilish, Mylène Farmer, Taylor Swift, Olivia Rodrigo, Ariana Grande, Lorde ou Lana Del Rey ont elles aussi récemment succombé aux satisfactions de la revenge song qui dézingue les histoires d’amour passées.
Cette dernière a même rôdé son plan marketing de façon... très, très ciblée. L'interprète de l'inoubliable Summertime Sadness a ainsi annoncé l'imminence de son nouvel album via un unique mais immense panneau publicitaire dressé à Tulsa, Oklahoma, le 7 décembre 2022, soit dans la ville où habite son ex Sean Larson, et le jour de son anniversaire... Autant dire un message très personnel à ce sergent de police qui a partagé sa vie entre 2019 et 2020. Miley Cyrus, quant à elle, a sciemment tourné son clip Flowers dans la superbe villa que son ex Liam utilisait comme garçonnière de luxe pour batifoler avec ses maîtresses.
Pourquoi ce changement de cap de la chanson mélancolique à la gifle musicale en direct? Peut-être parce que l’écosystème des réseaux sociaux l’autorise.
J’aurais voulu que tous ceux qui m’aiment puissent comprendre ce que je traversais et se rangent de mon côté. Je crois que cela m’aurait fait du bien que l’autre paie devant tout le monde pour son mauvais comportement lorsque nous étions en couple.»
Rompre à l’ère de MeToo
Mais cette vogue de l’expédition punitive menée depuis le micro d’un studio d’enregistrement semble aussi trouver ses racines dans les évolutions récentes de la société. Elle s’inscrit dans l’ADN de notre époque post-MeToo, où les dénonciations publiques des dérapages masculins dans la sphère amoureuse et sexuelle sont acceptées et discutées dans l’arène médiatique. Plus question de regretter, de garder pour soi, ou de subir. Il faut parler. Voilà pourquoi nombre de ces chansons sont portées par des femmes.
On pouvait déjà voir pointer ce phénomène il y a quelques années, mais plutôt par le biais de la littérature. En 2016, l'écrivaine française Justine Lévy, fille du philosophe Bernard-Henri Lévy, publiait Rien de Grave, un roman dans laquelle elle torpillait le comportement de son ex Raphaël Enthoven, parti du jour au lendemain pour vivre avec Carla Bruni. En 2012, on se souvient aussi du livre acide de l'ex-première dame Valérie Trierweiler, conçu comme une gifle littéraire voulant révéler toutes les facettes peu flatteuses de François Hollande, qui venait de la larguer pour l'actrice Julie Gayet, bien plus jeune. Même Dominique Strauss-Kahn y avait eu droit un an plus tard avec Belle et Bête, un roman trash où son ex amante Marcela Iacub le dépeignait comme mi-homme, mi-cochon...
«Nous vivons une ère de confession, de déballage de tout ce qui a besoin d’être dit en matière de relation entre les sexes, c’est une sorte de phénomène cathartique, constate le psychanaliste et auteur franco-suisse Saverio Tomasella.
Dans ces revenge songs ou books, on voit qu’elles veulent dire publiquement le mal qu’elles pensent de ces hommes, souvent pour de bonnes raisons: beaucoup d’entre eux n’ont pas été suffisamment éduqués à vivre la relation amoureuse à la hauteur de ce qu’elles attendaient.»
Trouver la force en soi
On comprend mieux, dès lors, pourquoi ces titres cartonnent autant en dépit de leur dimension très intime et personnelle. Même Gloria Gaynor, interprète du tube I Will Survive en 1978 - regardé comme l’une des premières revenge songs de l’histoire de la pop - a salué ces parutions qui tirent sur les ex peu glorieux. «Je suis à Nashville en train de travailler sur une nouvelle musique et je viens juste d’entendre Flowers pour la première fois, écrit l’icône américaine sur les réseaux sociaux à propos de la chanson de Miley Cyrus. Ton titre porte le flambeau de l’empowerment et encourage tout le monde à trouver la force en soi de persévérer et de réussir. Bien joué Miley!»
En effet, «être reconnu dans sa souffrance est également ce qui permet d’avancer et de guérir», souligne la psychologue Adèle Zufferey. Car pour faire son deuil après une relation qui s’est mal terminée, on a besoin d’en parler, fait remarquer de son côté Saverio Tomasella: «On veut exprimer tout ce qui n’a pas pu être verbalisé pendant que le couple existait encore, toutes les émotions aussi, la colère contenue, comme une lettre en souffrance confiée à la poste. Cela est quelque chose de sain et libère du poids des non-dits.
Pousser à l’autocritique
Sauf que pour l’ancien ou ancienne partenaire pointé du doigt dans une chanson ou un livre, s’entendre ainsi publiquement attaqué n’est-il pas une revanche disproportionnée? «Si les ex se sont comporté-e-s sans aucun respect, voire ont eu une attitude perverse, manipulatrice, caractéristique des sociopathes, il n’est finalement pas si mal de les mettre face à eux-mêmes pour qu’ils ou elles adoptent éventuellement un regard critique sur la manière avec laquelle ils ou elles ont conduit la relation dans le mur et ont brisé psychologiquement leur partenaire», note Saverio Tomasella.
Même si le spécialiste perçoit quelques bémols possibles dans la revenge song ou book: «On ne peut cependant pas trop en vouloir à quelqu’un qui a essayé sincèrement de s’impliquer dans une relation amoureuse et qui n’a pas réussi, pour diverses raisons. Le risque de ce genre de déballage est tout de même de vouloir se convaincre que c’est l’autre qui est responsable de tout, alors que dans nombre de situations de rupture, c’est un peu plus compliqué que ça, avec parfois des responsabilités de l’échec qui sont partagées. On peut vite basculer dans le champ de la haine et ce n’est pas très constructif».
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