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Métiers de la mobilité: Pourquoi il faut plus de femmes

Métiers de la mobilité: Pourquoi faut-il plus de femmes

Sophie Aymon est devenue, en mars 2024, la première capitaine à naviguer sur le Léman. Une petite révolution.

© KEYSTONE/LAURENT GILLERON

Un siècle et demi. Autant dire qu’il a fallu patienter longtemps pour que la CGN, fondée en 1873, accueille sa première femme aux commandes d’un bateau. Sophie Aymon est en effet devenue, en mars 2024, la première capitaine à naviguer sur le Léman. Une petite révolution, mais qui rend encore plus flagrant le déséquilibre des effectifs dans les métiers de la mobilité.

Comme le soulignait une étude Eurostat Labour Force en 2021, 83% des personnes travaillant dans le secteur des transports dans les pays européens étaient des hommes en 2019. Certes, la Suisse se hisse dans la fourchette haute par rapport à ses voisins avec 26% d’emplois féminisés et les courbes suivent une légère tendance haussière ces dernières années.

Mais même en 2024, les femmes demeurent très minoritaires, en particulier dans les entreprises des transports publics: elles composent 20% de tous les collaborateur-rice-s aux CFF, ou 16% dans les Transports publics genevois ou lausannois.

Peu de candidatures féminines

Comment expliquer une telle disparité, alors que la société voit nombre de ses secteurs se féminiser? Aux yeux des spécialistes, les métiers de la mobilité véhiculeraient encore une image de bastion masculin, celle d’un monde d’hommes baignant dans la technique et vivant au rythme d’horaires et de conditions de travail difficiles, voire hostiles.

«C’est un milieu qu’on a longtemps associé à l’idée de force physique, il passait donc pour l’apanage des hommes», observe Patrick Rérat, professeur de géographie des mobilités à l’Université de Lausanne.

«Les tâches de planification, axées sur des approches techniques et quantitatives, avec les grandes infrastructures au cœur des réflexions, ont, en outre, souvent valorisé les profils d’ingénieurs, des métiers qui avaient tendance à être très genrés.»

Les transports continuent ainsi d’être considérés comme un secteur «où les femmes n’ont pas leur place», notait ainsi un rapport du Bureau international du travail en 2013. Avec, pour conséquence, une certaine rareté des vocations féminines comme le constate Marc Antoine Messer, urbaniste et chercheur à l’EPFL: «À voir les volumes de postulation, on voit que ces métiers attirent peu les femmes, les employeur-euse-s reçoivent parfois très peu de candidatures féminines, ce qui pose des problèmes puisque nombre d’entreprises cherchent à atteindre une certaine égalité dans leurs effectifs.»

Des ONG s’en saisissent

Les CFF connaissent bien le phénomène. «C’est vrai qu’on revient de loin, car pendant longtemps l’entreprise proposait surtout des métiers très techniques, accessibles après des apprentissages aux effectifs historiquement peu féminisés, notamment dans le domaine de la mécanique, relève leur porte-parole Jean-Philippe Schmidt. L’ouverture progressive des postes à des candidat-e-s sortant d’une matu fédérale a permis de faire évoluer les choses. Cela a pris du temps, mais on voit que l’entreprise compte de plus en plus de femmes.»

Pour encourager et accélérer ce processus, plusieurs initiatives ont vu le jour dans différentes régions d’Europe. En France, cinq expertes des transports ont notamment fondé Femmes en Mouvement en 2015, un collectif se donnant «pour mission de promouvoir les femmes dans la mobilité et la mobilité des femmes», comme l’indique leur manifeste. Aujourd’hui, ses 130 membres travaillent en collaboration avec une trentaine d’entreprises, parmi lesquelles des géants du secteur.

Même type de projet au Royaume-Uni, où l’ONG britannique Women in Transport milite pour une plus grande présence féminine . Elle met en avant des offres d’emploi, constitue un réseau et organise régulièrement des événements. Quant à l’Allemagne, elle n’est pas en reste, puisque TUMI (The Transformation Urban Mobility Intiative), une autre ONG, met en lumière le parcours des collaboratrices dans ces secteurs, publiant tous les 8 mars une soixantaine de portraits de «femmes remarquables».

Les usagers sont des usagères

La surreprésentation masculine persistante dans les métiers de la mobilité est d’autant plus contradictoire que la majorité des usagers des transports sont des usagères: en moyenne 60% des personnes utilisant les transports en commun sont des femmes, indique la société multinationale Transdev sur son site internet. Or un environnement majoritairement conçu par des hommes peut-il répondre aux attentes d’une clientèle en grande partie féminine?

La réponse est non pour de nombreux spécialistes, qui, au-delà de l’exigence d’obtenir une certaine égalité dans les effectifs des entreprises pour des questions d’inclusivité, appellent à une meilleure parité pour améliorer le fonctionnement et l’offre des secteurs de la mobilité. «Parce que nous nous déplaçons toutes et tous, parce que la moitié des voyageurs sont des voyageuses, parce que les projets de mobilité ont un impact considérable sur nos sociétés, parce que des politiques de transport plus inclusives seront bénéfiques à l’ensemble de la société, nous avons la conviction que les solutions de mobilité doivent être définies par toutes et tous», plaide l’association Femmes en Mouvement dans son manifeste.

Même les hommes en profitent

Qu’est-ce qu’une plus grande présence féminine dans ces professions pourrait changer concrètement? Les progrès, en premier lieu, concernent les conditions de travail. Pour attirer plus de femmes, qui portent sur leurs épaules davantage de tâches liées au care, de plus en plus d’entreprises de transport acceptent désormais d’accorder des temps partiels, des solutions de job sharing ou du télétravail.

«Parce que les femmes ont des besoins différents en termes d’horaires et de conditions de travail, leur arrivée est une chance pour la profession», pointait le Journal des Syndicats des transports en 2019.

«En effet, en remettant en cause ce qui paraît intangible – la structuration des horaires, la pénibilité, la fatigue – la féminisation des métiers des transports a aussi un effet bénéfique sur les conditions de travail… des hommes!»

Cette politique, mise en place aux CFF, porte clairement ses fruits, confirme Jean-Philippe Schmidt: «Tous ces dispositifs favorisent une meilleure balance entre vie privée et vie professionnelle, et cela profite aux femmes comme aux hommes.»

Uriner dans une bouteille

L’envie de faire venir davantage de collaboratrices amène également à faire évoluer certains environnements de travail inchangés depuis des décennies. En France, par exemple, les cabines de pilotage des TGV sont désormais équipées de toilettes.

«Dans le passé, les conducteurs devaient uriner par la porte ou dans une bouteille, ils s’en satisfaisaient car ils n’avaient pas vraiment le choix, commente Marie-Xavière Wauquiez, cofondatrice de Femmes en Mouvement. Mais la SNCF compte maintenant sept conductrices sur 1500 conducteurs. L’absence de toilettes n’était pas concevable pour elles pour des raisons qu’on imagine aisément, sans parler des situations où elles doivent travailler alors qu’elles ont leurs règles…»

En Suisse, des trains grandes lignes comme les ICN permettent un accès aux toilettes des voyageur-euse-s pour les conducteur-trice-s, «mais pour les locomotives plus anciennes, conçues il y a plusieurs décennies, ce n’est pas encore le cas», reconnaît le porte-parole des CFF.

Pas que les heures de pointe

Une plus grande féminisation des secteurs des transports pourrait même améliorer l’expérience des usagers, et en particulier des usagères, dans leurs voyages au quotidien. La raison? La population féminine n’a pas exactement les mêmes utilisations des transports que les hommes. Déplacements plus courts mais plus nombreux, horaires de parcours ayant tendance à commencer plus tard et à finir plus tôt dans la journée, plus grande diversité des modes de transport…

«Cela s’explique, là encore, parce que les femmes ont un rôle social plus marqué dans le care, s’occupant plus souvent des enfants ou des proches nécessitant un accompagnement, analyse Patrick Rérat. Or ces comportements peuvent différer des modèles théoriques ayant traditionnellement servi pour concevoir les réseaux de transports en commun dans le passé, à savoir de grandes structures entre les centres urbains et les périphéries, et dont les pics d’utilisation se situent vers 7 h-8 h et 17 h-18 h. Davantage de femmes à des postes de direction et de planification aiderait donc à mieux prendre en compte des besoins différents.»

Poussette pas repliable

Pour Marie-Xavière Wauquiez, «la mixité amène en effet d’autres points de vue et est l’opportunité d’apporter des solutions nouvelles auxquelles on ne pensait pas forcément». La cofondatrice de Femmes en Mouvement met également en lumière l’intérêt d’une meilleure féminisation des métiers de la mobilité pour faire progresser les choses en termes de bien-être dans les transports: «Les usagères ont des attentes souvent plus importantes dans le domaine de la sécurité. Les hommes ne comprennent pas toujours l’importance de disposer d’éclairages de qualité, de miroirs convexes pour bien voir autour de soi… Sans parler des véhicules qui ne sont pas vraiment conçus pour se déplacer avec de jeunes enfants. Les écriteaux Veuillez replier les poussettes me font toujours tiquer, les gens qui les imaginent savent-ils qu’il y a des enfants dedans?» À bon entendeuse…

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