Décryptage
Micro-féminisme: Une tendance TikTok contre le sexisme
La lutte féministe se déploie de mille et une manières. Pour preuve, une tendance baptisée micro-féminisme, récemment née sur TikTok. Le concept? Des femmes partagent toutes les petites actions qu’elles aiment mettre en place pour combattre le sexisme.
Le néologisme a surgi dans la sphère médiatique fin mars 2024, grâce à la productrice télé américaine Ashley Chaney. Dans une vidéo qui a généré plus de deux millions de vues et des milliers de commentaires, elle explique ainsi placer le nom de l'assistante en premier (si le poste est occupé par une femme) avant celui de son patron (quand celui-ci est un homme) lorsqu’elle envoie un e-mail professionnel.
Ashley Chaney demande ensuite aux autres femmes quelle est leur forme de micro-féminisme préférée. Et c’est après la publication de cette sorte de vidéo fondatrice que la parole s'est libérée, incitant de nombreuses utilisatrices de réseaux sociaux à partager, elles aussi, les petits gestes qu’elles réalisent au quotidien dans le but d’apporter davantage d’égalité au sein de la société.
Rapidement, une vague de vidéos mises en ligne a permis aux autres femmes de témoigner de leurs stratégies de tous les jours pour s’en prendre au sexisme. Florilège: ne jamais s’arrêter de parler quand un homme nous coupe la parole lors d’une réunion, mentionner en premier le nom de la femme lorsqu’on écrit à un couple ou dans des documents administratifs, lire des autrices et regarder des films de réalisatrices, écrire et parler de manière inclusive, lutter contre le manspreading dans les transports publics en prenant autant de place que l’homme concerné, laisser les femmes goûter le vin au restaurant… Les situations évoquées, on le voit, sont aussi créatives qu’amusantes.
Un mouvement micro?
«Il est intéressant d’avoir choisi le terme micro, car même si l’on peut voir ces actions comme mettant le focus sur des détails, ceux-ci sont en réalité révélateurs de la dimension structurelle des inégalités de genre», commente Marylène Lieber, professeure de sociologie à l’Université de Genève.
Cette lutte est, dès lors, «révélatrice d’un mouvement qui n’a rien de micro», ajoute-t-elle.
Mais la sociologue spécialisée dans les études genre pointe le fait que ces petites techniques du quotidien se heurtent souvent à des normes tenaces. Exemple? Si l’on choisit de mettre le nom de l’épouse en premier dans des papiers administratifs, comme dans la déclaration d’impôt, il n’est pas rare que l’administration, ensuite, inverse volontairement l’ordre en faveur de l'homme. «Même si ces actes sont qualifiés de micro, nous faisons souvent face à une importante résistance en retour», constate Marylène Lieber.
Banalisation du sexisme
Les détracteur-rice-s de ce mouvement de micro-féminisme assurent d’ailleurs que les combats mis en lumière par ces vidéos TikTok seraient trop anecdotiques pour être pris au sérieux. «Ces situations peuvent apparaître comme anodines, mais elles représentent des rappels constants à l’ordre de genre, qui sature l’espace social et viennent réaffirmer le principe selon lequel le masculin l’emporterait sur le féminin», note la sociologue.
Des réactions conservatrices cherchant à minimiser ces pratiques, et qui révèlent une banalisation du sexisme toujours à l’œuvre:
«Elles sont parfois moins perceptibles désormais car on pourrait penser que nous avons atteint l’égalité. Pourtant, de nombreuses situations – notamment celles décrites par ces femmes – restent fortement inégalitaires.»
Raison pour laquelle ces gestes décrits comme petits ne doivent ainsi pas être moins considérés que d’autres formes de combat: «Le sexisme est un phénomène complexe et fortement ancré, qui demande des réponses multiples, et ce à plusieurs niveaux», affirme Marylène Lieber. Il est donc important de ne pas «hiérarchiser ces actions, car chaque personne agit comme elle le peut, à son échelle».
Au fait, l’apparition d’un nouveau terme était-elle vraiment nécessaire? «Cela fait partie d’une stratégie de communication propre aux réseaux sociaux, mais créer et rassembler autour d’un nouveau mot permet de marquer les esprits», relève la sociologue. Et l’experte pointe, en outre, l’importance des situations dans lesquelles ces femmes se mettent en scène sur TikTok.
Ces dernières sont en effet, souvent, en pyjama chez elles, démaquillées, en train de boire un café, bref, des contextes ordinaires de la vie quotidienne: «L’initiatrice du mouvement parle alors qu’elle se trouve dans son lit, et cela démontre qu’on peut agir même en restant chez soi. Le buzz que cela a engendré n’a, encore une fois, rien de micro», conclut-elle.
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