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Monde agricole

Témoignages: Cinq paysannes racontent leur quotidien

Temoignages cinq paysannes racontent leur quotidien 3

Edwige Steulet, 34 ans, est cheffe d’exploitation à Bourrignon (JU) et élève des vaches allaitantes.

© CAROLINE RAEMY

Quelle est la place des femmes au sein du monde rural ? Cette question s’est toujours posée et met en lumière un combat important qui se joue dans les campagnes face aux inégalités rencontrées par les paysannes. Comme dans tous les domaines de notre société, le rôle essentiel des femmes doit être visibilisé et une reconnaissance tant économique que sociale est demandée.

Parmi les principales problématiques dénoncées, on retrouve l’absence de rémunération des épouses d’agriculteurs et le travail de l’ombre qu’elles réalisent au sein des exploitations. Des schémas conservateurs autour du rôle des femmes subsistent également. Tout cela s’ajoute aux difficultés générales existantes au sein du monde agricole, mises en lumière depuis le début de l'année 2024 lors d’une révolte paysanne ayant éclaté en Suisse et dans d'autres pays européens. Une diminution des charges administratives, une simplification des contrôles et une politique agricole adéquate sont notamment demandées.

Plusieurs études de l’Office fédéral de l'agriculture (OFAG) s'intéressent à cette thématique. La dernière a été réalisée en 2022 auprès de 778 femmes de toutes les régions du pays. Il en ressort que 55% des sondées «reçoivent un salaire ou génèrent un revenu par le travail qu’elles accomplissent dans l’exploitation». Parmi elles, «un bon tiers déclarent être propriétaires ou copropriétaires». Le pourcentage de femmes qui dirigent seules leur exploitation a quant à lui augmenté depuis 2012, passant de 5 à 9%. Et selon le rapport de l’OFAG, «le pourcentage de femmes sans couverture sociale ni prévoyance a diminué (12% en 2012 contre 4% en 2022).

Pour mettre en lumière leur quotidien, leurs difficultés et les évolutions positives du milieu, cinq agricultrices et paysannes de Suisse romande témoignent.

Edwige Steulet, 34 ans, cheffe d’exploitation à Bourrignon (JU), présidente de l'Association des paysannes jurassienne

@ CAROLINE RAEMY

«J’ai d’abord obtenu un bachelor en soins infirmiers, un domaine où je pensais faire carrière, mais j’ai finalement passé mon brevet de paysanne. Puis, en 2020, j’ai repris l’exploitation de mes parents où j'élève désormais des vaches allaitantes. Je continue également de travailler comme infirmière à la Haute École Arc Santé à 50% et j’occupe le poste de présidente des Paysannes Jurassiennes.

Concernant la place des femmes dans l'agriculture, il y a une prise de position plus affirmée des agricultrices, et c’est vraiment quelque chose de positif. Cependant, il y a encore trop de situations où les femmes ne bénéficient pas d’un revenu et de couvertures sociales, ce que je regrette beaucoup. Il n’est pas toujours simple d’être cheffe d’exploitation. Les préjugés persistent chez certaines personnes malgré une évolution des mentalités.

J’ai l’impression de devoir prouver ma légitimité beaucoup plus qu’un homme, car il y a moins de tolérance à l’égard des femmes.

Je suis aussi quelqu’un de très féminine, je suis toujours maquillée, d’ailleurs, le premier geste que je fais le matin est de mettre du rouge à lèvres, ce qui entraîne certains jugements. On ne me prend pas toujours au sérieux.

Les femmes paysannes doivent oser se mettre davantage en avant, montrer qui elles sont. Souvent, je remarque que certaines restent encore très en retrait, consultant leur mari pour tout et pour rien. Elles manquent de confiance en elles et ne valorisent pas leurs compétences, alors qu’elles en ont plein. Les exploitations ne pourraient pas tourner sans elles, elles y occupent de nombreux rôles et sont toujours en train de courir d’un bout à l’autre pour aider, mais ce n’est pas assez reconnu.»

Mireille Ducret, 58 ans, co-exploitante à Renges (Ecublens, VD), présidente de l'Association des paysannes vaudoises

@ CAROLINE RAEMY

«J'ai été enseignante pendant 20 ans, mais j'ai fini par me laisser séduire par l'appel de la terre. Il était assez clair que j'allais continuer à être rémunérée lorsque je travaillerais sur l'exploitation en tant que salariée afin de ne pas perdre mes privilèges. Puis, je suis devenue co-exploitante.

Sur notre domaine, je m'occupe volontiers des travaux agricoles avec le tracteur. Je prépare également les repas, y compris pour les employés ou apprentis qui mangent avec nous, et je m’occupe de tout ce qui touche à la gestion du ménage. Il est intéressant de noter que lorsque je ne suis pas responsable des repas, mon fils n'hésite pas à cuisiner pour tout le monde, ce que j'apprécie.

Assurer une visibilité et une rémunération équitable pour les femmes au sein du monde agricole représente une lutte de longue haleine. Il est important de faire évoluer les mentalités. Bien que je constate certains changements avec la nouvelle génération, il reste encore des obstacles à surmonter.

Selon moi, il serait important de diversifier davantage les compétences enseignées lors du brevet des paysannes et d'intégrer des aspects liés à la production agricole, car de nombreuses tâches proposées sont encore fortement genrées. Je trouve même que cela nous dévalorise, en quelque sorte.

Il existe également des débats inutiles, comme celui concernant la force physique, alors que des solutions existent et que les machines agricoles sont désormais plus accessibles. De plus, il y a d'autres signes révélateurs du caractère patriarcal de notre société, comme le fait de toujours parler de patrimoine, et trop rarement de matrimoine.

Je suis également très heureuse d'avoir relevé le défi de devenir présidente des Paysannes Vaudoises. Cependant, il faut dire qu’on ne parle pas beaucoup des problèmes liés à la condition des femmes dans l’agriculture, même si je relaie toutes les informations à ce sujet. L’agriculture est un milieu de taiseux, au masculin mais aussi au féminin, et il peut être difficile de se livrer.»

Anne Challandes, 55 ans, salariée dans son exploitation à Fontainemelon (NE), présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales

© CAROLINE RAEMY

«J’ai fait des études de droit pour devenir avocate, mais finalement je n'ai pas continué dans ce domaine. Je suis salariée au sein de l'exploitation agricole où je vis avec mon mari, depuis de nombreuses années. Je suis actuellement responsable de la gestion du foyer, de la comptabilité, de l’administration et des ressources humaines.

La reconnaissance des femmes dans le monde rural est une thématique très importante pour moi, même si je n’ai personnellement pas de problèmes à ce niveau. Ce combat est lié à mon engagement en tant que présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales, poste que j’occupe depuis 2019. J’apprécie énormément mon rôle auprès des femmes paysannes et la solidarité qui existe entre nous.

Si je peux donner un conseil aux femmes, c’est de s’intéresser aux aspects qui peuvent sembler rébarbatifs, d’oser poser des questions et formuler leurs demandes. Le risque est de réaliser l'importance de ces aspects trop tard, comme après un accident, une maladie, un décès, ou lors d’une séparation ou d’un divorce. Malheureusement, lors des séparations notamment, ce sont souvent les femmes qui doivent alors faire face à d'importantes difficultés.

Donner de la visibilité au travail accompli à l’intérieur des foyers est crucial pour toutes celles qui accomplissent ces tâches, qu'elles vivent à la campagne ou en ville.

Je me souviens également avoir dû faire face à des commentaires déplacés de mères quand j’allais chercher mes enfants à l’école. Elles me disaient à quel point j’avais de la chance de ne pas travailler, comme si je ne faisais rien de mes journées, alors que c’était faux.

J’ai commencé à m'impliquer dans les associations paysannes en 2012 lors de la participation d'une enquête menée par l’Office fédéral de l’agriculture et Agroscope afin d'analyser la situation des femmes dans l'agriculture en Suisse. Les conclusions ont montré qu’il restait encore beaucoup à faire concernant la rémunération des femmes et la reconnaissance de leur travail. Malgré des améliorations significatives, ces problèmes persistent encore aujourd'hui.»

Sandra Baudet, 51 ans, salariée dans son exploitation à Céligny (GE), présidente de l’Association des paysannes genevoises

«J’ai commencé à travailler à 100% sur l’exploitation en 2015, quand nous avons décidé de construire un grande poulailler où nous accueillons aujourd’hui 18’000 poules. Avant cela, mon mari et moi avions chacun notre métier et je travaillais en tant qu'employée de commerce entre 20 et 40%. Et je me suis également occupée de nos trois enfants.

J’ai voulu m’impliquer sur l’exploitation quand le projet du poulailler est arrivé. C’était quelque chose de nouveau pour nous et le fait de se lancer à deux en étant novices me rassurait. C’est comme cela que j’ai d’abord été employée par mon mari, avant que nous ne changions nos statuts il y a deux ans. Nous avons créé une SA, donc nous sommes désormais tou-te-s les deux salarié-e-s. Depuis près de 10 ans, je m’occupe des tâches administratives, des livraisons d'œufs, de la gestion de la clientèle et de la gestion du foyer.

Pour moi, le fait de travailler et d’être rémunérée a toujours été quelque chose d'important, car ma mère m’avait toujours dit d’être indépendante financièrement.

Quand j’ai commencé à travailler sur l'exploitation, je ne voulais pas perdre mes acquis et pouvoir continuer à cotiser. Parfois, j’apprends que des amies paysannes n’ont pas de revenu et cela me surprend beaucoup. Mais je ne leur jette pas la pierre, ni à leur mari, car c’est quelque chose auquel on ne pense simplement pas. C’est aussi lié au fait qu’on ne réalise pas le travail effectué par les femmes. C’est quelque chose qui se produit dans de nombreux foyers, à la ville comme à la campagne. Elles effectuent un travail immense, mais cela paraît évident.

Heureusement, la situation évolue, la jeune génération agit différemment, et je le constate notamment à travers mes filles. Les changements se font lentement, mais l’important est de ne pas régresser et de continuer d'aller dans le bon sens.»

@ CAROLINE RAEMY

Vanessa Renfer, 46 ans, salariée dans son exploitation à Enges (NE), secrétaire politique à Uniterre

«Je ne viens pas du milieu agricole, j’ai grandi à Lausanne, mais dès l’adolescence, j’ai commencé à travailler dans des fermes. J’ai ensuite envisagé de faire des études dans l’agriculture, mais j’ai finalement opté pour un cursus d’infirmière sage-femme. Puis, quand j’ai rencontré mon conjoint, j'ai décidé de lâcher mon métier pour travailler sur l’exploitation.

Par contre, il était très clair que je serais rémunérée et il était, d’ailleurs, tout à fait d’accord avec ça. Cela comportait de nombreux avantages, notamment pour avoir accès au congé maternité qui venait d’être instauré en Suisse. Et cela représentait aussi une reconnaissance importante de mon travail. Au sein de la ferme, je participe aux soins du bétail, je m’occupe de l'administratif, de la vente directe et de la gestion de l'abattage des poulets ainsi que de la clientèle. Personnellement, je n’ai jamais rien eu à redire sur ma place en tant que femme, tout se passe bien.

Je constate une évolution favorable au sein du milieu, mais il faut évidemment que cela continue ainsi car ils restent encore des préjugés ou des situations inégalitaires que je vois parfois dans d’autres fermes.

Certaines de mes connaissances m’ont déjà dit qu’elles n’oseraient pas demander un salaire, donc j'apprécie de pouvoir parler sans tabou de mon cas pour donner l’exemple et montrer que c’est tout à fait bénéfique d’être employée dans une ferme.

Quand je pense au manque de visibilité des femmes, je suis assez étonnée car s'il y a bien un milieu où elles ont toujours mis la main à la pâte, c’est celui-ci. Je ne sais pas dans quelle situation serait le monde agricole aujourd’hui sans elles. D'ailleurs, de nombreuses activités annexes à l'agriculture extrêmement favorables pour les exploitations sont créées sous l’impulsion des femmes, comme l'accueil à la ferme et la vente directe.»

© CAROLINE RAEMY

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