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Proche-Orient

Maternité: À Gaza, des grossesses dans le chaos de la guerre

Gaza des grossesses dans le chaos de la guerre 1

La sage-femme Rita Botelho da Costa (à gauche) ausculte le nouveau-né d'une patiente à l’hôpital El Emirati à Rafah, dans le sud de Gaza.

© MSF/MARIAM ABU DAGGA

La guerre a éclaté dans la bande de Gaza il y a plus de 100 jours et les bombardements israéliens ne faiblissent pas. Selon des chiffres communiqués le 22 janvier 2024 par les autorités sanitaires de Gaza, plus de 25'000 personnes ont été tuées depuis le 7 octobre 2023. Sur place, les Palestinien-ne-s se retrouvent sans toit, dans des conditions d’hygiène déplorables, avec un accès très difficile, voire impossible à la nourriture, l’eau potable, les soins médicaux ainsi qu’à l’aide humanitaire.

De nombreuses femmes enceintes, ainsi que de jeunes mères et leurs nouveau-nés, doivent survivre dans ces circonstances. Le 19 janvier 2024, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) a déclaré que près de 20’000 bébés étaient nés dans l’enclave palestinienne depuis le début du conflit opposant Israël au Hamas. Le Directeur exécutif adjoint de l’ONG, Ted Chaiban, a également rappelé que, parmi les personnes tuées, «70% sont des femmes et des enfants». En décembre 2023, ONU Femmes signalait que 50’000 Palestiniennes étaient enceintes à Gaza.

Pour les humanitaires, accompagner les grossesses, les accouchements et le suivi des nouveau-nés représentent un défi de taille. «Les femmes enceintes font face à de nombreuses craintes. Elles ne savent pas de quoi demain sera fait et c’est très effrayant pour des futures mères», témoigne Rita Botelho da Costa, sage-femme portugaise pour Médecin sans frontières (MSF), revenue en janvier 2024 d’une mission à Gaza qui a duré environ un mois.

Accouchement à l'hôpital Emirati à Rafah
La sage-femme Rita Botelho da Costa porte un nouveau-né à l’hôpital El Emirati à Rafah, dans le sud de Gaza. © MSF/MARIAM ABU DAGGA

Vivant à Lisbonne et travaillant pour l’ONG depuis six ans, Rita Botelho da Costa s’est rendue à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Elle a travaillé auprès des femmes enceintes à la maternité de l’hôpital El Emirati, ainsi que dans la clinique Al Shaboura - rouverte par MSF - qui propose en renfort des consultations et autres aides médicales avant, durant et après la grossesse.

Pas d’accès aux soins

«Les femmes que nous recevons n’ont pas reçu de soins depuis le début de la guerre. Elles n’ont pas eu accès à des traitements, leur grossesse n’a pas été surveillée et les risques n’ont pas été évalués», détaille la soignante, qui regrette l’engorgement de la maternité El Emirati. Ce manque d’assistance engendre des risques d’infections, et le nombre d’accouchement prématuré est très élevé.

«Des bébés naissent très petits et vulnérables et ils doivent déjà affronter le premier défi de leur vie.»

Cet hôpital de Rafah délivrait des soins «pour 3000 personnes avant la guerre, mais il y a désormais 1,8 millions de déplacé-e-s qui se trouvent à Rafah, ce qui augmente considérablement le nombre de patient-e-s et fait grimper celui des accouchements d’une quinzaine à une soixantaine par jour». Rita Botelho da Costa ajoute qu’«il n’y a pas la place, ni le temps de soigner tout le monde».

De nombreuses femmes ont ainsi accès à des soins uniquement une fois que le travail débute, alors que certaines «ne peuvent pas atteindre un hôpital pour accoucher et doivent le faire sous une tente». À nouveau, face au nombre accru de patientes, les lits et le matériel manquent et «il n’est pas possible de monitorer correctement tous les accouchements ce qui augmente les risques de complications», poursuit la sage-femme.

Accouchement à l'hôpital Emirati à Rafah
Une jeunes mère et son bébé à l’hôpital El Emirati à Rafah, dans le sud de Gaza. © MSF/MARIAM ABU DAGGA

De jeunes mères sous les tentes

Même après l’accouchement, les difficultés demeurent: «Elles sortent très rapidement de l’hôpital, deux à trois heures après leur accouchement, pour se retrouver dans une tente en plein milieu de la rue. Là où il fait froid et où elles ne disposent pas du matériel adéquat pour recevoir un nouveau-né. Comme pour toute la population, il n’y a pas assez à manger, et sans nourriture pour les mères, pas de lait maternel pour les bébés».

La soignante met en lumière d’autres problématiques, comme l’arrêt des programmes de vaccination à Gaza à cause de la guerre.

«Nous sommes très inquiets que les nouveau-nés et les enfants de moins de cinq ans ne soient pas totalement vaccinés. Cela va représenter un énorme défi à l'avenir.»

Médecins sans frontières a mis en place au sein de sa clinique des consultations postnatales avec un-e pédiatre afin de proposer un suivi aux mères: «Nous essayons de voir le maximum de nouveau-nés mais cela représente une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux millions de personnes à Rafah», dénonce Rita Botelho da Costa.

«Des conditions inhumaines»

Outre les chiffres sur les naissances à Gaza, UNICEF a également fait part de son effroi face au quotidien des femmes enceintes dans une prise de parole en conférence de presse de l’une de ses spécialistes de la communication, Tess Ingram, qui s’est rendue sur place.

«Les mères sont confrontées à des difficultés inimaginables pour accéder à des soins médicaux, à une alimentation et à une protection adéquates avant, pendant et après l’accouchement», décrit-elle, ajoutant que «les femmes enceintes, les mères allaitantes et les nourrissons vivent dans des conditions inhumaines: abris de fortune, alimentation pauvre et eau insalubre.» Ce qui les expose à de graves risques «de fausse couche, de mortinatalité, d’accouchement prématuré, de mortalité maternelle et de traumatisme émotionnel», s’offusque Tess Ingram.


«Voir des nouveau-nés souffrir, tandis que certaines mères se vident de leur sang, devrait nous empêcher de dormir. Savoir que deux très jeunes enfants israéliens enlevés le 7 octobre 2023 n’ont toujours pas été libérés devrait également nous empêcher de dormir», lâche-t-elle.

Rappelons que le massacre perpétré par le Hamas en terre israélienne a fait quelque 1200 morts et plus de 200 personnes - dont des dizaines d’enfants - ont été prises en otages. Après une libération de 110 otages fin 2023, 132 d’entre eux et elles se trouvent toujours à Gaza, dont 28 seraient mort-e-s, selon les autorités israéliennes.

Tess Ingram conclut sa déclaration sur Gaza en assurant que «l’humanité ne peut plus accepter comme normale cette version dévoyée du quotidien. Les mères et les nouveau-nés ont besoin d’un cessez-le-feu humanitaire».

Mortalité maternelle et néonatale

«Il est habituel dans toutes les guerres que des naissances se produisent, explique Karl Blanchet, professeur et directeur du Centre d’études humanitaires Genève, un centre conjoint de l’Université de Genève et de l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID). Mais à Gaza, 90% des hôpitaux ont été ciblés et détruits intentionnellement. Cela remet en cause toute la qualité des soins et donc des accouchements», ajoute-t-il.

Une telle situation engendre énormément de stress et d’anxiété chez les Gazaouites: «elles ne savent pas où et dans quelles conditions elles vont pouvoir accoucher. À cause de cet état psychologique et nutritionnel grave, il y a des risques de plus en plus accrus qui pèsent sur les femmes enceintes et les bébés», analyse le spécialiste.

Selon Karl Blanchet, les soins à Gaza étaient, avant la guerre, «d’une qualité raisonnable et fonctionnaient relativement bien avec une couverture sanitaire importante». Mais, désormais, «tout un catalogue de soins qui existaient auparavant ne sont plus disponibles».

Ce contexte difficile met en danger les femmes enceintes et les bébés:

«Il est fort probable que la mortalité maternelle et néonatale augmente de manière drastique à Gaza».

Le professeur précise que même dans l’hypothèse que la sécurité soit à nouveau assurée dans la région et qu’il soit à nouveau possible d’accéder aux hôpitaux, «ces derniers devront d’abord être décontaminés à cause notamment de bombes non explosées à l’intérieur. Cela prendra beaucoup de temps avant d’assurer à nouveau le système de santé».

«Émotions contradictoires»

Vivre une grossesse et des naissances en temps de guerre provoquent des émotions contradictoires. «Je suis chanceuse de travailler avec la vie et d’accompagner des femmes dans ce moment particulier, c’est un sentiment plutôt positif, lance Rita Botelho da Costa, mais de les laisser partir dans de telles circonstances me brise le cœur». La soignante met en évidence le fait qu’un «cessez-le-feu est la chose la plus importante actuellement». Il reste difficile pour les humanitaires d’aider la population avec des risques sécuritaires aussi importants.

La sage-femme se souvient tout de même de très jolis moments, comme lorsque «les patientes apprennent qu’elles sont enceintes ou lorsqu’elles entendent le cœur de leur bébé grâce à une échographie. La plupart d’entre elles ont déjà affronté de nombreuses pertes et le fait d’avoir un enfant amène un peu d’espoir au milieu du chaos».


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