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Mariage: La cérémonie traditionnelle fait-elle encore rêver?

Mariage la ceremonie traditionnelle fait elle encore rever ok

Le lancer du bouquet de la mariée fait partie des rites ayant traditionnellement lieu lors des cérémonies de mariage.

© GETTY IMAGES/UNSPLASH

Dépassé, le mariage? Non, l’union maritale semble toujours séduire les Suisse-sse-s. Selon l’Office de la statistique, les chiffres sont relativement stables depuis les années 90 (sans prendre en compte le creux entre 2020 et 2021 expliqué par la pandémie). Pourtant, l’affaiblissement de l’influence de la religion et la remise en question de l’union en tant qu’institution inégalitaire auraient pu pousser les jeunes couples à refuser de passer le cap. «Le mariage reste une tendance forte en Suisse comparé à d’autres pays occidentaux, surtout lorsqu’on a des enfants, commente la sociologue Sabrina Roduit, chargée d’enseignement à l’Université de Neuchâtel. 50% de la population est mariée et 75% des enfants naissent de parents mariés.»

Pourquoi cet engouement? Distinguons l’attachement symbolique de l’aspect pragmatique.

«Les gens continuent de se marier, car c’est un rite de passage, une option facile pour faire comprendre qu’on est en couple aux yeux de la famille et de la société», explique Marta Roca i Escoda, maîtresse d’enseignement et de recherche au Centre en études genre de l’Université de Lausanne.

«Malgré une diversification des formes d’organisations familiales, se marier fait partie des valeurs ancrées pour une partie de la population, complète Sabrina Roduit. Notre pays est encore très traditionnel au sens des attentes sociales et dans son organisation de la vie familiale et professionnelle. Le couple tend à s’organiser au travers de rôles genrés qui généreront des inégalités dans le temps.» La sociologue précise que, selon des analyses féministes, le mariage institutionnalise le travail domestique des femmes, non rémunéré, comme une norme.

L’aspect administratif est aussi déterminant. «Le droit suisse ne permet pas d’autre reconnaissance qui protège l’union en dehors du mariage», souligne Marta Roca i Escoda. Héritage, achat d’une propriété, naturalisation, reconnaissance automatique de filiation, PMA ou adoption sont plus faciles. «Le mariage est la manière la plus simple de faire famille, mais aussi d’obtenir un statut de proche – sans démarche coûteuse auprès du ou de la notaire – ce qui n’est pas anodin en cas de maladie ou de décès», poursuit la sociologue, qui rappelle en outre que le droit du mariage s’est modernisé à la fin des années 80 lorsqu’a été introduite l’égalité dans le couple. «L’emprise patriarcale sur cette institution est donc moins lourde aujourd’hui que par le passé.»

Des rites conservateurs et rassurants

Difficile de savoir exactement comment les couples décident de marquer le grand jour. Si l’on en croit le succès des films, des émissions de télé-réalité ou encore des images sur réseaux sociaux mettant en scène des mariages occidentaux, bijoux de fiançailles, fleurs et pièce montée sont toujours en vogue. Et l’on retrouve certains rituels dans de nombreuses cérémonies: la robe blanche, l’escorte de la mariée par son père ou encore le lancer de bouquet. Sans compter les événements entourant la fête, comme la demande de la main de la future mariée à son père, les fiançailles surprises organisées par l’homme, les enterrements de vie de garçon ou de jeune fille et le changement de nom de famille en faveur de celui du marié.

Tous ces rites rappellent les racines patriarcales du mariage qui était, à l’origine, une alliance dans laquelle l’amour n’avait pas sa place.

«Historiquement, le mariage avait une fonction de reproduction et de transmission», rappelle Sabrina Roduit.

«Les anthropologues ont montré que les futurs époux, en particulier les femmes, avaient peu leur mot à dire. Il s’agissait plus d’un échange scellant une alliance entre groupes sociaux. C’est au tournant du XXe siècle qu’on a fait concorder l’idée de l’union maritale avec celle de l’amour. Ensuite, les médias ont participé à renforcer ces normes genrées qui peuvent se perpétuer au travers des rituels de célébration d’un mariage.»

Ces rites reproduits lors d’une cérémonie d’union ont sans doute un aspect rassurant. «Dans une société où beaucoup d’éléments provoquent de l’insécurité – l’emploi, les guerres, la pandémie –, les traditions peuvent apparaître rassurantes», note Sabrina Roduit. La sociologue avance aussi la question de la pression sociale: «Des injonctions ou des attentes concernant la cérémonie peuvent également provenir de l’entourage familial. Ou même amical, car on a tendance à adopter les attitudes des groupes de pairs.»

La célébration se modernise

Le mariage n’échappe pas au phénomène sociétal de l’individualisation. Ainsi, pour s’écarter des normes, des personnes font le choix de l’anticonformisme en optant pour un antiwedding (un thème non conventionnel), un elopement (la «fugue amoureuse») ou encore une love party (sans mariage civil). Or, malgré l’originalité de ces fêtes, la tradition n’est jamais loin. «Les gens essaient de se réapproprier les codes du mariage en trouvant des rites qui leur correspondent, c’est une manière de ne pas se conformer à la norme tout en s’y conformant», avance Sabrina Roduit.

Morgane Raposo est photographe. Basée à Bex, elle propose depuis 2021 un concept encore rare en Suisse pour célébrer des unions intimistes: l’elopement. Le mariage classique, très peu pour elle: «Je trouve ces journées de cérémonie stressantes et trop codifiées. L’elopement est un moyen de profiter du moment.» Tirant son origine des unions secrètes sans accord parental, l’elopement est apparu il y a une dizaine d’années aux États-Unis. L’idée? Se marier en minicomité lors d’une aventure où l’on met de côté les conventions. Fan de randos, Morgane Raposo emmène ses couples de client-e-s (surtout des Américain-ne-s) à la montagne pour célébrer leur union devant un panorama exceptionnel. Si la famille est parfois conviée, ce n’est pas toujours le cas et la photographe conseille sa clientèle sur la manière de l’annoncer à ses proches.

«Je crois qu’en Suisse il subsiste une forte tradition de mariage en famille. D’ailleurs, il arrive souvent que ma clientèle fasse un elopement, puis une célébration avec ses proches lors de laquelle elle montre les images de sa fugue amoureuse.»

Faire un mariage féministe?

Si même les cérémonies modernes incluent des codes traditionnels, à quoi peut ressembler un mariage féministe, dépourvu de rite genré? Sabrina Roduit observe que le mariage n’est pas forcément perçu comme un mécanisme générant des inégalités. «Certaines personnes le refusent en tant qu’institution patriarcale et choisissent d’autres modèles. Pour celles et ceux qui se marient, il y a souvent une volonté d’individualiser son modèle de cérémonie. En outre, la volonté de refuser d'adhérer à certains rites - comme la robe blanche parce qu'elle représente la virginité - est présente différemment selon les individus: certain-e-s veulent jouer le jeu des codes sociaux, avec lesquels ils et elles ont grandi, là où d’autres souhaitent briser les codes.»

D'après la doctorante à l'Université de Lausanne Lucrezia Perrig, dont la thèse porte sur le mariage pour toutes et tous, les personnes queers ayant une politisation féministe éprouvent une certaine ambivalence par rapport au mariage, entre les avantages juridiques qu'il confère et leur critique d'une institution hétéronormée et patriarcale. «Lorsqu’on sait ce que le mariage fait aux hommes (il accélère leur carrière et augmente leur salaire) et aux femmes (l’inverse), un mariage queer ou féministe apparaît comme un oxymore, explique la doctorante. Investir cette institution sans en reproduire l’asymétrie constitutive nécessiterait de lui ôter son verni d’amour romantique, car cette idéologie permet notamment de légitimer les violences économiques et conjugales.»

«Contrebalancer les inégalités structurelles qui précèdent et que génère le mariage demanderait donc de dévoiler sa dimension contractuelle pour discuter de l’organisation financière et de la division du travail domestique, par exemple.»

«Des mariages queers que j'étudie, je retiens l'identification des rapports de domination que certains rituels (comme la passation de la main de la mariée à son mari) vont visibiliser par leur différence avec la norme hétéro, précise Lucrezia Perrig. Dans ces cas, l'aspect genré du rite va être perçu et questionné.» Et si les discours (ou les présentations PowerPoint) sur la répartition des tâches ménagères dans le couple devenaient un nouveau rituel de cérémonie?

Témoignages

Ariane, 37 ans, et Bastien, 33 ans: une union intimiste et décalée

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© ARCHIVE PERSONNELLE

«Mon mari et moi nous nous sommes uni-e-s sur une île perdue à Bali. Nous étions pieds nus dans un temple coloré, je portais une robe rose pâle, et nous avons procédé à une cérémonie bouddhiste. Seuls trois ami-e-s de passage en Asie étaient présent-e-s. La raison?

Nous sommes deux personnes pudiques et nous n’avions pas envie de livrer une sorte de performance lors de notre mariage.

Même si nous avons fait un mariage civil par la suite, il faut dire que la grande cérémonie religieuse, les discours et la super-robe blanche, ce n’est pas pour nous. Cela nous aurait stressé-e-s et mis mal à l’aise, je pense. Pourtant, je trouve ces traditions mignonnes. Et puis, j’ai grandi avec les dessins animés de Disney, donc bien entendu que la robe de princesse réveille certaines choses en moi. Étant anthropologue de formation, je sais à quel point les rites sont importants et porteurs de sens. Ils permettent de passer un message au niveau social, de se positionner par rapport à un groupe. En revanche, on peut tout à fait réadapter certaines traditions plutôt classiques afin qu’elles nous correspondent. D’ailleurs, avant notre mariage, j’ai pris la décision de changer de nom de famille et une fois uni-e-s, c’est mon mari qui a pris mon nom. L’idée était de planter une nouvelle graine, histoire de faire pousser un nouvel arbre généalogique. Nous n’avions pas envie d’hériter de toute l’histoire familiale de l’autre, mais avoir quelque chose qui était à nous et rien qu’à nous.»

Marion, 31 ans, et Marie, 31 ans: un mariage arc-en-ciel presque traditionnel

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© DIANA BACCINI

«Qu’on se le dise: un mariage gay rebat forcément les cartes des traditions, quand on y pense! Qui demande la main de qui? Qui se vêt d’une robe? Qui porte la bague de fiançailles? Qui lance le bouquet? Qui prend le nom de qui?… Toutes ces questions, nous nous les sommes longtemps posées. Mais finalement, nous avons décidé de suivre nos envies. La demande: c’est Marie qui l’a faite, dans le parc du Sacré-Cœur à Paris et je crois qu’on peut difficilement faire plus romantique. Je dois dire que je l’ai attendue cette demande. Néanmoins, je l’aurais faite moi-même si j’avais dû patienter encore [rires]. La cérémonie quant à elle était laïque. Plus précisément, nous nous sommes d’abord mariées civilement en petit comité et nous avons ensuite procédé à une union officialisée par une amie, le tout dans le jardin de la propriété familiale.

En ce qui concerne les robes, il nous paraissait assez clair qu’il nous en fallait une chacune. Qu’est-ce qu’un mariage sans robe blanche?! Nous n’avions qu’une crainte, c’est que le style de robes ne matche pas… mais finalement, nous nous sommes retrouvées avec des pièces quasi identiques. C’était un pari risqué puisque nous nous sommes vues juste avant de nous unir. Nous étions toutes les deux très émues au moment de se découvrir. Mais il a vite fallu se reprendre car juste après, nos papas nous accompagnaient toutes les deux devant l’autel.

À l’image de la robe, nous avions chacune un bouquet de fleurs et un troisième pour le lancer. À cette occasion, pas question de faire participer uniquement les filles. Ce sont tous les célibataires qui ont pu se prêter au jeu!

La seule chose qui a fait débat au moment d’officialiser notre relation? Le nom de famille. Nous avons beaucoup discuté et n’étions pas prêtes à «abandonner» nos noms respectifs. Et puis, nous nous sommes finalement mises d’accord. En fait, il était important pour nous d’avoir le même nom de famille en tant que couple marié, mais surtout en tant que famille. En effet, nous allons avoir un bébé en août!»

Joana, 36 ans, et Adriano, 35 ans: un événement dans le respect des coutumes

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© ARCHIVE PERSONNELLE

«Robe blanche XXL façon princesse Disney, voitures ornées de rubans pastel, repas dans un domaine, union à l’église et officiée par un archevêque… Notre mariage aura des airs de conte de fées. Eh oui, il sera très traditionnel, et il y a plein de raisons qui expliquent ce choix. Tout d’abord, nous sommes tous les deux issu-e-s de familles portugaises, et les coutumes sont très présentes chez nous.

Ensuite, je suis la fille de parents divorcés. J’ai donc cette envie de combler ce manque, et ce, à la manière d’un film romantique. Mon père m’accompagnera à l’autel, et je pense que ce moment sera aussi émouvant pour lui que pour moi!

Il n’empêche que mon histoire d’amour n’est pas vraiment traditionnelle à la base. Voilà dix-sept ans que nous sommes en couple avec mon chéri et nous avons eu deux enfants. Ça n’a pas toujours bien passé, surtout auprès de ma belle-famille. Mais toutes ces années ensemble et le fait d’être devenu-e-s parents avant de nous unir pour la vie nous ont permis de traverser plein de choses. Nous en sommes sorti-e-s plus fort-e-s. Nous nous connaissons très bien et nous sommes convaincu-e-s que cela va durer encore longtemps. Le mariage est une sorte de cerise sur le gâteau pour lui et un rêve ultime pour moi. Côté nom de famille, vous imaginez bien que c’est moi qui prendrai le nom de mon mari. Je ne suis pas du tout contre l’idée de faire autrement. Cependant, je dois dire que porter le nom de mon compagnon de vie est une chose à laquelle je tiens beaucoup, et lui aussi. C’est généralement comme ça que cela se passe dans notre culture, et je suis attachée à perpétuer cette tradition, surtout dans un monde qui ne tourne pas toujours très rond [rires].»

Walid, 32 ans, et Noemi, 32 ans: fêter l’amour différemment

Mariage: La cérémonie traditionnelle fait-elle encore rêver?
© MARIE CONTRERAS

«Notre mariage était purement laïque. Nous avons célébré notre union dans les bois en France voisine et il y avait 120 invité-e-s au total. Une robe ultravoyante avec des froufrous et du tulle, un plan de table pensé des semaines à l’avance, de petits cadeaux et autres pochettes déposés sur les places de nos convives, cela ne nous représente pas. D’ailleurs, nous n’avons même pas envoyé de cartons d’invitation! En fait, nous avons repensé le mariage à notre image. Noemi portait une robe blanche, certes, mais il s’agissait de quelque chose de simple et sans prétention. Son papa l’a accompagnée vers l’autel, toutefois cela s’est décidé le soir d’avant et, surtout, il s’agissait d’une question pratique: avancer en robe dans la forêt peut s’avérer compliqué si on n’a pas un bras sur lequel s’agripper. Quant au bouquet, nous avons opté pour… un saucisson d’un mètre que les hommes devaient se charger d’attraper!

Certes, les traditions peuvent avoir du sens aux yeux des gens. Mais le plus important, c’est de faire des choses qui nous correspondent. À l’heure actuelle, nous ne nous voyons pas nous marier au civil pour la simple et bonne raison que nous avons d’autres priorités.

À l’époque de nos grands-parents ou même de nos parents, cela pouvait sembler logique de s’unir rapidement, quitte à dépenser beaucoup d’argent pour l’événement. Aujourd’hui, le mariage fait moins rêver… les jeunes veulent partir en année sabbatique, voyager, investir dans un projet, bref faire des expériences. Aussi, en parlant de sous, notons tout de même que se marier officiellement veut dire payer davantage d’impôts. Ce n’est donc pas au programme pour le moment nous concernant. Cela n’empêche pas de vouloir fêter notre amour à notre manière.»

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