témoignage
Mobilité réduite: Une balade en fauteuil avec Patrizia Mori
«Il y a beaucoup de choses qui m’ont fait comprendre que je devais m’engager en politique. La première: la place des personnes à mobilité réduite dans l’espace public. Et soyons honnêtes, ce n’est pas ce qu’on pourrait imaginer d’une UDC», me lance Patrizia Mori, un sourire malicieux aux lèvres et le regard perçant.
Nous nous sommes donné rendez-vous chez elle à Lausanne. Au menu: balade au centre-ville. «Tu verras, il va falloir pousser», m’avertit la brune de 34 ans. Voilà six ans et demi que Patrizia est en chaise roulante, après que sa maman lui a tiré dans le dos avec un Beretta 87 Target de calibre 22. Bientôt sept ans que la presse romande ressort parfois le fait divers dans ses pages…
Mais ce n’est pas le sujet de ce jeudi d’avril timidement ensoleillé. Aujourd’hui, Patrizia emmène Femina à travers les rues pentues et pavées de la capitale olympique. Le but: me sensibiliser, ainsi que les lectrices et lecteurs, aux difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap lors de leurs déplacements.
Plus qu’une personne à mobilité réduite
Notre promenade commence aux alentours de Chauderon en direction de Bel-Air. Prendre les transports en commun, pourquoi pas? Mais la Lausannoise d’origine italienne est catégorique:
«Il faut vraiment s’imposer pour que certain-e-s daignent libérer le passage pour monter ou descendre du véhicule une fois à l’arrêt, par exemple.»
Première épreuve: les passages piétons. Bien que les trottoirs soient abaissés, il reste parfois un petit centimètre qu’il faut anticiper lors de la traversée. Comme une certaine complicité s’installe entre nous, nous décidons de nous tutoyer: «Tu as déjà eu une poussette dans les mains, Valentina? Eh bien là, c’est pareil! Pour remonter sur le trottoir, il faut s’incliner vers le bas. Ça va aller?»
J’aurais besoin de plusieurs tentatives pour gérer la manœuvre et éviter les à-coups pas toujours agréables pour Patrizia. Je la sens d’ailleurs un peu angoissée. Heureusement, les passant-e-s nous offrent leur aide. Une initiative certes appréciable mais qui agace parfois la jeune femme.
«Je dois dire que cette façon de proposer de l’aide, de manière très suisse: tantôt gênée, tantôt polie… augmente ce malaise. En Italie, c’est plus détendu. On me lance des regards taquins, on agrippe mon fauteuil, on m’aide et on repart comme si de rien n’était.»
S’imposer encore et toujours
En parlant d’assistance, je constate que Patrizia n’hésite pas à s’imposer. Une qualité que j’admire beaucoup, même si je comprends vite qu’elle n’a pas le choix. Les «Excusez-moi!» «Est-ce que vous pourriez m’aider?» «Pardon, j’aimerais passer!» s’enchaînent à mesure que nous avançons. Et puis, un interlude interrompt cette symphonie d’un nouveau genre: «Tu n’aurais pas des mitaines? Je commence à avoir froid aux mains à force de les garder sur mes roues…» Heureusement, la photographe qui nous accompagne a pensé à tout. Elle propose gentiment à Patrizia ses gants en cuir.
Si la trentenaire préférait garder ses mains à l’extérieur pour avancer et pour m’assister au freinage lors des descentes, je ne pourrai compter que sur la force de mes bras (et de mes jambes) en montée. Nous voici en chemin pour le restaurant Via Valentino aux Giardini d’Italia, au Valentin. En plus d’être extrêmement pentue, la route n’est pas tout à fait lisse. Il faut donc éviter les trous. Après une petite minute qui me semble avoir duré des heures, nous arrivons enfin devant l’établissement. Toutefois, pour accéder à la porte d’entrée, il nous faudra gravir une poignée de marches… Heureusement, Fausto, le patron, est là pour nous aider. «Oh, mais c’est mon facteur là-bas?» me signale Patrizia. Ni une ni deux, ces messieurs la portent et montent les marches ensemble.
Le restaurant est censé être fermé puisqu’il n’est pas encore midi. Mais comme Fausto est un bon ami de Patrizia, il nous invite à prendre un café (à l’italienne, bien entendu!). Cela fait environ une heure que nous nous baladons et la jeune femme s’éclipse quelques minutes direction les toilettes. En revenant, elle m’explique que les établissements qui détiennent des WC adaptés sont rares. «En ville de Lausanne, on les compte sur les doigts d’une main! Enfin, il y a pire… Je ne te raconte pas l’enfer de Paris pour aller au petit coin ou juste se déplacer. En réalité, ce qui est embêtant ici, ce sont les pentes ainsi que les pavés. Enfin, on ne va tout de même pas raser la ville et l’aplanir juste pour mes beaux yeux», s’amuse-t-elle.
Face au constat de Patrizia et sachant que nous commençons à devenir copines, j’ose la provocation:
– Tu sais, je pense que ce n’est pas une si mauvaise idée de vouloir privilégier les vélos ou les transports en commun plutôt que les voitures qui, avouons-le, polluent…
– Ah! Enfin on peut débattre! Je n’ai rien contre cela, nous avons tous nos défauts.
– Ah…
– Je t’embête, ma belle! Pour revenir à ton argument. Décourager les automobilistes et leur donner moins de possibilités n’est pas un bon compromis. La solution se trouve plus dans les avancées technologiques, selon moi. Au-delà des préoccupations écologiques, je pense que ce serait bien que l’on donne la possibilité aux détenteurs de macarons handicap d’utiliser les voies des bus une fois que la personne et le véhicule sont inscrits à la commune. Pour le moment dans le canton, seul-e-s les Transport Handicap et les professionnel-le-s sont autorisé-e-s à le faire.
Il est bientôt 15 h et j’ai passé une bonne partie de la journée avec Patrizia, histoire de comprendre son quotidien. Si j’imaginais bien que cela ne devait pas être simple, vivre cette expérience avec elle, assister aux comportements d’autrui, l’écouter, discuter, mais aussi rire en sa compagnie m’a permis d’adopter un autre regard sur ce monde qui est le sien. Non, je ne ressens absolument pas de pitié, elle détesterait cela. Malgré nos vies et nos opinions si différentes, j’ai l’impression de la connaître depuis longtemps. Ce qui nous rassemble? L’humour! «Tu sais Valentina, lorsque les médecins m’ont dit que je ne remarcherais sans doute jamais, je me suis dit: chiche! Je sais qu’un jour, je ferai à nouveau usage de mes jambes. En attendant, on peut toujours faire un remake du film Intouchables, rien que toutes les deux!» [Rires.]