famille
Retours compliqués après un congé maternité
«Ça a vraiment été la douche froide, car durant ma grossesse, tout s’est très bien passé. Je suis retournée plusieurs fois faire le point avec mon employeur pendant mon congé maternité. Mais lorsque j’ai repris, j’ai découvert qu’une nouvelle personne avait été engagée pour me remplacer. On m’a parlé de restructuration, de calculs de budget, de réadaptation salariale… de plus, mon supérieur a déclaré que le travail que j’avais effectué ces 3 dernières années n’avait jamais été convenable. J’ai été tellement scotchée! Je ne me voyais pas travailler dans de telles conditions, j’ai donné mon congé.»
Le témoignage de Sophia illustre les difficultés qui attendent les jeunes mères à leur retour de congé maternité. En Suisse, 6% des femmes renoncent à leur emploi et 3% sont licenciées à cet instant charnière, relève une étude réalisée en 2018 par le bureau Bass pour l’Office fédéral des assurances sociales. «Une femme sur dix est discriminée après une maternité, résume Valérie Borioli Sandoz, responsable de l’égalité pour la faîtière syndicale Travail.Suisse. Et les chiffres prouvent que les femmes ayant un diplôme de degré universitaire renoncent encore massivement à faire carrière suite à une naissance. C’est un drame pour l’économie publique, car ce sont nos impôts qui ont financé leurs études. On a besoin de ces femmes sur le marché du travail, la situation actuelle est un véritable gâchis.»
Manque de représentativité politique
Comment expliquer qu’en 2019, de nombreuses employées se retrouvent encore dans une position professionnelle aussi précaire? «Notre pays, profondément conservateur, est à la traîne sur les questions sociales, analyse la Genevoise Lisa Mazzone, conseillère nationale et membre du parti des Verts. La société évolue, mais ces évolutions ont de la peine à traverser les murs du Parlement avec des décisions conséquentes.» Et la politicienne de 31 ans de rappeler que le Conseil national ne se compose que d’un tiers de femmes. La moyenne d’âge? 55 ans. «Ce manque de représentativité n’aide pas à modifier la situation des jeunes parents», regrette-t-elle.
En Suisse, une femme sur dix est licenciée après son congé maternité
Comme le démontre le témoignage de Sophia, les discriminations subies ne prennent pas forcément la forme d’un licenciement. «On propose à ces femmes un poste moins intéressant avec moins de responsabilités, une mise à l’écart, on les garde éloignées des projets captivants, on leur refuse des augmentations ou des formations, liste Colette Fry, directrice du Bureau de la promotion de l’égalité du canton de Genève.
Et ça commence souvent dès l’annonce de la grossesse. «Je m’attendais à ce que mon employeur soit heureux pour moi, qu’il me félicite, se souvient Carine. Au lieu de ça, je l’ai vu se décomposer et me dire: «Mais pourquoi tu me fais ça?». J’étais dépitée.» «Lorsqu’un homme annonce qu’il va être père, on sort le champagne. Si c’est une femme, on se demande comment on va faire, constate Sylvie Durrer, directrice du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. Beaucoup d’employeurs n’accueillent pas cette nouvelle de façon réjouissante, ils voient cela comme un problème pour l’entreprise. On pense que les mères vont beaucoup s’absenter pour s’occuper de l’enfant, tandis que le père, lui, va davantage s’investir car il a désormais la charge d’une famille.» Pour l’experte, il est urgent de déconstruire les préjugés: «Les femmes ne perdent pas leurs neurones avec la grossesse»!
Comment anticiper les éventuels problèmes?
La responsabilité est clairement du côté des employeurs. «En général, les futures mères annoncent la nouvelle lorsqu’elles sont enceintes de 3 mois, note Sylvie Durrer. Ca laisse grandement le temps de prévoir et d’anticiper. Des solutions existent, il y a toutes sortes de possibilités.» Afin d’accompagner les futures mères et leur hiérarchie, Travail.Suisse a mis en place un outil nommé Mamagenda. «Cette plateforme permet de co-gérer ensemble le déroulement de la grossesse, explique Valérie Borioli Sandoz. Elle propose notamment des rencontres régulières, des thématiques à aborder, etc.» L’idée: aller au-devant des éventuels problèmes.
Mais parfois, être pro-active et proposer des solutions ne suffit pas:
Que faire, comment réagir? «Si on a les moyens financiers et le courage, il faudrait se lancer dans une procédure judiciaire», estime la conseillère nationale vaudoise Rebecca Ruiz. Mais la politicienne socialiste est bien consciente que la situation n’est pas propice à de longues batailles juridiques: «Dans cette période fragile, il n’est pas évident de trouver l’énergie nécessaire pour faire valoir ses droits. Toutefois, c’est en dénonçant ces pratiques illégales et discriminatoires que l’on sensibilise et que l’on dissuade les employeurs de s’y adonner.»
#VieDeMère, le hashtag qui lutte contre les discriminations au travail
Une analyse de la jurisprudence relative à la Loi sur l’égalité (LEG) a été effectuée en 2017. Sur les 130 cas étudiés, 41 concernaient la grossesse ou la maternité et les jugements rendus n’étaient jamais en faveur des parties plaignantes. À ce jour, un seul cas a donné raison à l’employée, mais l’employeur a annoncé vouloir faire recours au Tribunal fédéral. Pourtant, la LEG allège la victime du fardeau de la preuve. Si la discrimination liée au sexe est rendue vraisemblable, c’est à l’employeur de prouver qu’il n’a pas exercé de discrimination. «Pour améliorer la situation, on constate qu’il est nécessaire de sensibiliser les juges à la LEG et aux droits que celle-ci confère aux victimes», estime Colette Fry. Lisa Mazzone, quant à elle, plaide pour une facilitation des formalités:
© Getty
«Les sanctions ne changent pas les cultures»
Françoise Piron, coach spécialisée dans les questions d’égalité, ne croit pas forcément aux seules vertus du dépôt de plainte. «Il s’agit avant tout de mentalités à faire évoluer, souligne-t-elle. Les sanctions ne changent pas les cultures. Je crois davantage à la sensibilisation qu’à la simple punition des employeurs.» Licenciée à son retour de maternité, il y a 25 ans, l’experte se déclare «choquée et surprise que ces pratiques d’une autre époque soient encore en vigueur. Les femmes subissent une telle pression culturelle! On ne leur laisse pas le choix, on imagine immédiatement ce qui est mieux pour elles.» C’est le cas du recours au temps partiel, «quasiment systématique, mais cela ne convient pas à toutes les mères, ni à toutes les configurations familiales», estime encore la coach. Si réduire le temps de travail des mamans reste souvent la seule solution de conciliation pour les familles, c’est également un piège. Les femmes sont alors défavorisées du point de vue de la prévoyance professionnelle et risquent de se retrouver dans une situation financière précaire en cas de séparation. «Au-delà du temps partiel, c’est comme si, en devenant mère, on faisait automatiquement une croix sur sa carrière», estime-t-elle.
Dès lors, faudrait-il étendre le délai de protection, qui se termine actuellement avec la fin du congé maternité? L’initiative parlementaire du conseiller national socialiste valaisan Mathias Reynard, déposée à Berne le 7 mars 2019, va dans ce sens. Toutefois, Valérie Borioli Sandoz n’est pas convaincue que cette solution soit la meilleure:
Pour que les risques professionnels liés à l’arrivée d’un enfant soient enfin partagés de manière équitable au sein du couple, la solution lui semble évidente: «Nous souhaitons l’instauration d’un congé paternité de 4 semaines. Ce serait déjà un premier pas qui induirait un rééquilibrage. L’étape suivante, c’est d’avoir un vrai congé parental, afin que les risques soient répartis équitablement entre le père et la mère. Pour l’employeur, il n’y aurait ainsi plus de différences entre le fait d’engager un homme ou une femme.» Une réponse qui séduit également Lisa Mazzone: «Le congé paternité est essentiel, martèle la politicienne genevoise. Dès le départ, durant ce moment où se cristallisent les tâches, les rôles, la charge mentale, les deux partenaires doivent être impliqués équitablement.»
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Sophia: «J’ai totalement perdu confiance en moi»
«J’ai travaillé jusqu’au jour du terme et tout s’est très bien passé durant ma grossesse. Il avait été convenu qu’à mon retour, je reprendrais à 70%, mais rien ne s’est déroulé comme prévu. J’ai appris par une collègues que mon travail avait été totalement réorganisé. C’est quelques jours avant de recommencer à travailler que je découvre qu’il n’est plus possible de m’engager à 70%, ni de discuter ma rétribution salariale, ce que nous avions pourtant prévu de faire à ce moment-là. «Si tu n’es pas contente, tu peux partir», m’a-t-on alors dit, ajoutant que mon travail n’avait de toute façon jamais donné satisfaction. J’ai pesé le pour et le contre, mais je ne me voyais plus travailler dans de telles conditions. J’ai donné ma lettre de congé.
Mon compagnon a eu du mal à me soutenir, car j’étais d’une humeur exécrable. J’ai même remis mon rôle de jeune maman en doute. Si je n’étais pas à la hauteur professionnellement, comment le serais-je pour ma fille?»
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Anne-Sylvie: «J’ai mis 3 ans à retrouver du travail»
«J’étais responsable de la logistique dans une entreprise vaudoise et, pas de chance, j’étais la deuxième personne à être enceinte… le patron n’a pas du tout apprécié la nouvelle. Mais j’ai aussi senti que ça l’arrangeait: le courant n’est jamais passé entre nous, il avait enfin trouvé une façon de se débarrasser de moi. Pourtant, durant ma grossesse, je ne me suis jamais plainte et j’ai continué de porter des charges lourdes. J’avais de la peine à tirer la sonnette d’alarme quand ça n’allait pas…
J’ai été licenciée pendant mon congé maternité. C’est illégal, mais la date des papiers avait été modifiée pour qu’ils ne soient pas embêtés. Je suis allée demander conseil à une spécialiste juridique, mais on m’a déconseillé de porter plainte. Selon elle, je n’avais aucune chance de gagner. J’ai mis 3 ans à retrouver du travail. Lors des entretiens d’embauche, on me disait clairement qu’on redoutait que je tombe enceinte et qu’on préférait ne pas prendre de risques. J’ai fait une dépression post-natale et mes finances étaient désastreuses.
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«Enceinte, les choses se sont bien passées. J’étais membre de la direction d’une banque privée genevoise. Je ne rencontrais pas de problème particulier, que ce soit avec mes collègues ou ma hiérarchie. À mon retour de congé maternité, j’ai repris mon travail à 100%. Une des personnes en charge de mes tâches avait laissé des dossiers incomplets, j’ai dû jongler pour récupérer le retard et assurer de nouveaux projets. J’ai passé 7 mois sans prendre de congé, m’épuisant à tenter de tout rattraper. À Noël, j’ai fait un break de deux semaines et à mon retour de vacances, on m’a convoqué pour m’annoncer que mon poste était supprimé et qu’une réorganisation allait avoir lieu.
Afin de payer mon silence, un montant d’environ 6 mois de salaire m’a été versé. Avec le recul, je regrette de ne pas avoir fait valoir mes droits et osé dénoncer cette situation illégale. Mon message à toutes les mamans qui vivent cela? Surtout, ne culpabilisez pas, vous n’y êtes pour rien.»
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«J’avais un contrat à durée déterminée qui devait aboutir à un contrat fixe lorsque j’ai appris que j’étais enceinte. Évidemment, ce n’était pas le moment rêvé, j’en ai d’ailleurs pleuré en le découvrant. Ce n’était pas ce que j’avais prévu, mais j’étais tout de même confiante: l’entretien avec mes supérieurs pour rediscuter de la suite de mon parcours dans la multinationale était déjà agendé. Les deux femmes qui menaient ce dernier ont commencé par faire l’éloge de mon travail. C’est ensuite que je leur ai annoncé que j’étais enceinte de quelques semaines. Instantanément, leur expression s’est transformée. «On n’a pas vocation d’engager des femmes enceintes», m’a lancé l’une d’entre elles. «Une grossesse, ça se prévoit», a renchéri la deuxième. Toutes les deux étaient mamans, je n’en revenais pas qu’elles me traitent ainsi. D’autant plus que dans de telles structures, il me paraît aisé de trouver une alternative, ce n’était pas une petite PME de trois employés…
On m’a proposé de prolonger mon contrat de quelques semaines pour me donner le temps de me retourner. J’ai refusé. Depuis, je suis devenue indépendante, car je ne veux plus revivre ça. À l’époque, je n’avais pas l’énergie pour me battre davantage, ni les ressources financières. J’avais également peur des répercussions que cela pouvait avoir sur ma carrière.
Cet épisode s’est déroulé il y a neuf ans et l’une de mes proches, qui travaille pour cette entreprise, a subi la même chose récemment. Je n’en reviens pas qu’on en soit toujours là…»
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