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«J’étais à Raqqa après la guerre contre l’État islamique»

«J’étais à Raqqa après la guerre contre l’État islamique»

«J’ai trouvé une société déchirée par la guerre, mais une société forte qui cherche à renaître.» - Souraya Haenni

© SANDRINE LAGNAZ

Entre 2015 et 2019, les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par une coalition menée par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, menèrent une guerre sans merci contre Daech, l’organisation terroriste. En 2019, la victoire est annoncée après une dernière bataille dans le village de Baghouz, dans l’extrême est syrien.

Menées par le mouvement nationaliste kurde syrien, les FDS contrôlent maintenant un territoire de la taille de la Suisse, du nord d’Alep jusqu’à la frontière irakienne, où vivent environ 5 millions de personnes. J’ai eu la chance de pouvoir m’y rendre il y a deux ans avec mon père, qui connaît bien la région pour y avoir travaillé de nombreuses années avec une ONG.

J’avais envie de découvrir la région et de discuter avec les gens. Et j’ai trouvé une société déchirée par la guerre, mais aussi une société forte qui cherche à renaître de ses ruines.

Après avoir été brièvement prise par la révolte armée des mains du régime en 2013, Raqqa tombe sous le contrôle de Daech quelques mois plus tard pour rester sous la domination de l’organisation radicale pendant presque quatre ans! En arrivant dans la ville, je sens que même sous la dictature de Daech la société n’a jamais totalement plié.

Survivre à la terreur

Doha, une mère de famille musulmane, me raconte que Daech imposait le voile intégral aux femmes, qui se couvraient l’intégralité du visage. Mais cela ne leur suffisait pas. Un jour en allant, couverte de la tête aux pieds, à l’épicerie, cette femme est interpellée par un commandant de Daech qui croit deviner ses yeux à travers le voile. Doha est sauvée par le docteur Kassar, son mari, qui, pour la protéger, a promis qu’il la punirait lui-même.

Le docteur Kassar n’est pas non plus à l’abri. Un jour qu’il s’occupe d’une patiente en soins intensifs, il manque la prière en public. Espionné, il reçoit la visite d’un commandant de Daech. Pour ce dernier, le risque que la patiente meurt compte moins que de rater la prière. Le docteur Kassar, choqué par ces propos, décide d’engager le rapport de force: il ferme son cabinet, empêchant tous les combattants de se faire soigner. Daech, face à cet ultimatum, a dû accepter un compromis: laisser les médecins prier dans l’hôpital pour leur permettre de continuer à s’occuper des blessés.

Un soir, alors que la guerre commençait dans la ville, les habitants de l’immeuble coururent dans les caves à l’occasion d’une alerte à la bombe. Doha et son mari s’y sont précipités sans qu’elle prenne le temps de se couvrir. Un commandant de Daech qui squattait dans son immeuble a commencé à lui faire la morale. Heureusement une voisine n’hésita pas à l’insulter, lui reprochant de s’attarder sur un tel détail alors que leurs vies étaient menacées par des bombes.

Partout les gens se souviennent encore des exécutions publiques ou de la violence sur les femmes, souvent faites par des personnes qu’ils connaissaient.

Daech semait la haine et en paya le prix. À un checkpoint dans la campagne au nord de Raqqa, nous avons pris avec nous un jeune soldat en permission sur le chemin pour rentrer chez lui. En me voyant dans la voiture, il s’est rappelé ce commandant de Daech qu’il avait tué car celui-ci avait kidnappé et marié de force une fille plus jeune que moi.

Reconstruire et revivre après la guerre

Après tant de haine, un quasi-miracle a pourtant eu lieu: nous avons déjeuné avec un chef de tribu, Cheikh Lawrence. Il nous a raconté comment la reprise de la ville n’a pas conduit à des vengeances contre les anciens collaborateurs de Daech. La société a tellement souffert, tout le monde voulait tourner la page, repartir à zéro et éviter de nouveaux conflits tribaux interminables.

Après plus d’un mois de combats ininterrompus et une ville à 80% détruite par les bombardements de la Coalition, les Forces démocratiques syriennes sont finalement venues à bout de Daech et ont repris Raqqa. Leila Mustapha, la première maire placée à la tête de la ville, s’est rappelé comment ils ont été pris de court par la victoire: «Nous étions soudainement victorieux, sur la place principale de Raqqa, avec en tête cette question: que fait-on maintenant? Rien n’était vraiment préparé.»

Mais surtout il fallait apprendre à vivre sans État. Quand l’État n’est pas là, ce sont les ONG qui le remplacent, et c’est compliqué, comme l’expliquait le directeur de l’Hôpital national de Raqqa: «Nous collectons ce que nous pouvons d’aides, et chaque ONG vient avec une partie différente du nécessaire pour l’hôpital (un bloc opératoire, une section de construction de prothèses), ce qui nous empêche de l’organiser. Au lieu d’être une structure unique, notre hôpital est plus un puzzle avec beaucoup de pièces manquantes.»

La vie renaît

Malgré tout, la population est très vite revenue, en dépit des ruines et de l’absence d’infrastructures.

Les mines que Daech avait dispersées dans toute la ville, dans les maisons, les frigos et parfois même dans les corans, ont été enlevées maison par maison par des professionnels ou des experts improvisés.

Certains y ont laissé leur vie. Maintenant les mines ne sont plus que dans les campagnes environnantes, moins menaçantes, comme l’expliquait un expert français du déminage que nous avons pu suivre lors d’une opération de ratissage d’un champ au nord de la ville.

Progressivement, la vie renaît: des restaurants ouvrent, les familles reprennent leurs pique-niques le long des rives de l’Euphrate, les gens refont la fête, les mariages sont une occasion pour eux de réaffirmer leur besoin de normalité et l’occasion pour moi de m’amuser avec eux et de tester mes premiers hauts talons!

Le sport aussi réapparaît. À Raqqa, le champ de courses est restauré et les compétitions équestres viennent de recommencer. Le commerce de chevaux avec les autres zones de la Syrie reprend de plus belle. À Qamichli, c’est le foot, y compris le foot féminin qui s’émancipe. Ayanda, une jeune fille de 11 ans, est revenue victorieuse de Damas où elle avait marqué son premier but contre une équipe de la capitale. Sa vraie victoire ce jour-là, c’était d’avoir une enfance comme nous autres.


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