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Longtemps assimilés à des «no man’s land» de la «love story» ou à des repaires pour pervers putatifs, les sites de rencontre semblent s’être refait une virginité. Du coup, les voilà imprégnant nos mœurs contemporaines. Comment ces lieux virtuels de drague ont-ils restauré leur image pour se hisser en tête de gondole de nos histoires de cœur? Explication.

Quand Patricia, une Fribourgeoise de 30 ans, a commencé à surfer, elle était convaincue que les hommes qui croiseraient sa route virtuelle ne seraient tentés que par une aventure, évidemment sans lendemain. Elle-même dit «s’être inscrite pour le fun et pour doper son ego raplapla». Et alors? En août 2016, elle épousera l’homme qui l’a conquise sur un site de rencontre. Patricia n’est pas la seule à avoir révisé son appréciation quant aux e-rendez-vous galants. «Internet est devenu l’un des premiers lieux vecteurs de rencontre, après le travail et les amis», assure Kevin Pineau, responsable marketing du site be2. Parmi les personnes qui s’inscrivent figureraient d’abord les femmes divorcées ayant des enfants en bas âge. La méthode leur permet en effet de présélectionner leurs prétendants depuis la maison. Les promoteurs de plates-formes suisses ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en multipliant les portails dédiés aux parents en solo.

Des attentes comblées

Résultat, en Suisse aujourd’hui, un ou une célibataire sur deux s’est déjà inscrit sur des sites. Selon une étude d’Online Experten datée de 2013, plus de 600 000 personnes dans le pays utilisent les sites traditionnels. «Depuis son lancement en 1999, Swissfriends a vu passer un million de clients environ», indique son directeur Yvan Vuignier. Ces dernières années, les plates-formes ont en effet affiné leur profil, travaillé à corriger leur image négative. «Il est vrai, dit Kevin Pineau, qu’il y a eu au début des situations où les hommes et les femmes inscrits sur un même site n’avaient pas du tout les mêmes intentions, ce qui causait de nombreuses déceptions de part et d’autre. Désormais, l’offre est plus ciblée et mieux adaptée.» Eh non, les femmes ne se révèlent pas toutes en quête du prince charmant, même devant leur écran.

La sociologue française Catherine Lejealle, spécialisée dans les comportements sur internet et auteure de «J’arrête d’être hyperconnecté!» (Eyrolles, 2015), estime que «la première rupture par rapport à cette image un peu glauque remonte au lancement du site AdopteUnMec (ndlr: en 2007), qui a mis du ludique dans la démarche et redonné le pouvoir de décision à la femme. Une autre rupture a été celle de l’application Tinder (ndlr: lancée en 2012 par des Américains, elle s’inspire notamment de Grindr, une app destinée aux homosexuels). Il faut mettre une photo, indiquer sa géolocalisation, et voilà, ça démarre en deux minutes.» Selon la sociologue, si Tinder a d’abord marché auprès des plus jeunes, friands de rencontres légères, l’application fonctionne aujourd’hui très bien chez les quadragénaires.

Vers un boom générationnel

Les jeunes justement, qui déboulent avec beaucoup moins de complexes que leurs aînés, sont en train de modifier encore le paysage virtuel des rencontres amoureuses. Pour reprendre les termes du sociologue Olivier Voirol, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne, «on assiste à un phénomène générationnel clair relatif à l’usage du net. Pour celles et ceux qui ont grandi avec le net, tous les types de plates-formes sont plus «praticables» et évidents, y compris les sites de rencontre.»

Yvan Vuignier, directeur de Swissfriends, fait le même constat: «Les nouvelles générations n’ont aucun scrupule à se dire «célibataire en quête d’âme sœur» sur leur profil Facebook, par exemple, alors que les plus âgés restent discrets.» Ces usagers biberonnés au net représentent un nouveau défi pour les sites. «Comme en ce qui concerne la culture, les médias, ils ne sont pas prêts à financer un abonnement. Dans dix ou quinze ans, par leur biais, le paysage des rencontres en ligne aura encore énormément évolué, et il m’est absolument impossible de vous dire comment…» Pour l’instant, la croissance fulgurante des sites de rencontre vécue dans les années 2000 s’est calmée. «Le marché est devenu mature, s’est normalisé, avec une progression annuelle qui tourne autour des 5%», résume Yvan Vuignier.

Sur le fil de la romance

Sandra, Valaisanne, avait 25 ans lorsqu’elle s’est inscrite sur Meetic, puis celibataire.ch. Une démarche qu’elle décrit, quelques années plus tard, comme un «coup de folie». Qui lui a réussi, puisqu’elle a rencontré celui qui est devenu son mari et le père de son enfant. Malgré tout, elle reste un peu empruntée sur l’origine de son couple. «J’aurais préféré tomber sur lui lors d’un concert ou chez des amis. C’est gênant, mais cela fait partie de notre histoire.» Si le tabou a été dépassé, il reste donc des a priori, et certains célibataires se refusent à sauter le pas. «Nombre d’entre eux sont encore réfractaires, rebutés notamment par le côté consommation et impersonnel», admet Yvan Vuignier.

Comment expliquer ces résistances qui perdurent? Selon le sociologue Olivier Voirol, «elles ne relèvent pas forcément de la morale. Plutôt de réserves face à la dépense d’une somme d’argent non modique pour un résultat aléatoire, de réticences à remplir un profil ressemblant en tout point à une postulation professionnelle, de la peur de laisser des informations personnelles dans les mains de n’importe qui, de la crainte de tomber sur des proches ou des connaissances…» Elles seraient ainsi à la hauteur des espoirs que fait naître l’activité en ligne, avec l’impression de se retrouver dans un univers de possibles illimités, dans lequel on trouvera forcément des satisfactions relationnelles, et qui semble promettre toujours mieux et toujours plus. Qu’en est-il alors du jugement sans appel que portent encore certains? Pour le sociologue, si le poids de l’image s’avère si fort ici, c’est parce qu’on se trouve face à des pratiques relationnelles relativement neuves: «Comme toute nouvelle pratique, elles réveillent notre aptitude à évaluer et notre jugement: est-ce juste de faire cela, de procéder ainsi, etc.? Si la rencontre en ligne provoque ces appréciations et est matière à débat, c’est bien qu’elle pose problème. Elle révèle des questions sur les transformations de la vie affective et des relations amoureuses dans la société actuelle.»

Alors certes, les plus romantiques d’entre nous continueront à rêver au coup de foudre, là, au coin de la rue, ou lors d’un dîner entre amis. Pourtant, amour rimera bel et bien toujours davantage avec virtuel. «Les gens sont peut-être plus pragmatiques quant aux sites de rencontre, mais comme avant ils rêvent du grand amour, de trouver LA personne, peu importe par quel biais», insiste Yvan Vuignier. La sociologue Catherine Lejealle évoque également l’émergence de l’économie du partage («sharing economy» en anglais), qui passe par des sites de covoiturage comme BlaBlaCar ou de logement tel Airbnb, et qui devrait, elle en est persuadée, donner lieu à des rencontres inattendues. «Enfin, n’oubliez pas le nombre croissant de sites et d’applications comme Shuffle ou AroundYou, qui proposent de se retrouver en vrai et qui s’avèrent autant de supports d’activités propices aux rencontres. Peut-être que dans dix ans un couple sur deux se sera rencontré sur le net», glisse-t-elle. Une vision qui, si elle en effraiera certains, donnera sûrement des idées à d’autres.

Pourquoi vivre et aimer dans un univers virtuel?

Amaranta Cecchini, sociologue, s’est penchée sur les relations nouées dans le monde virtuel Second Life, où chaque participant a un avatar. Sa récente thèse – «Intimités amoureuses à l’ère du numérique. Le cas des relations nouées dans les mondes sociaux en ligne» (Ed. Alphil) – nous aide à décoder une réalité nouvelle.

Pourquoi avoir choisi d’étudier Second Life plutôt que des sites de rencontre «traditionnels»?
Contrairement aux sites de rencontre, Second Life n’est pas directement conçu dans le but de favoriser la rencontre amoureuse. Pourtant, des usagers y trouvent des partenaires amoureux/sexuels, parfois parce qu’ils découvrent cette possibilité à mesure qu’ils utilisent le dispositif, parfois parce qu’ils l’utilisent avec cette motivation première. J’ai voulu comprendre leur expérience.

Les gens qui y jouent vivent-ils des aventures qu’ils ne peuvent ou ne veulent pas vivre dans la vraie vie?
Les motivations sont extrêmement diverses. Certains espèrent tomber sur une personne avec qui ils pourront poursuivre une relation hors ligne, d’autres «testent» des relations qu’ils n’expérimentent pas dans leur vie «réelle», par exemple homosexuelles ou des trios amoureux. D’autres encore vivent des échanges qu’ils s’interdisent hors ligne, comme «tromper» leur conjoint(e). Enfin, il arrive qu’ils soient attirés par le côté «virtuel» des relations. Et la liste de ces motivations, ou usages, n’est pas exhaustive…

En analysant cette problématique, qu’est-ce qui vous a le plus surprise?
On a tendance à penser qu’avec internet tout change et que les manières d’envisager l’intimité et de faire couple aussi. Or, les références au modèle amoureux romantique sont omniprésentes sur Second Life: les usagers flirtent sur des pistes de danse, ils se mettent «en couple», ils se marient, construisent une maison, certains ont des enfants, ils s’appellent «mon cœur», «ma chérie», etc. Mais ces pratiques sont souvent décrites comme un jeu, voire une parodie, ce qui induit une forme de distanciation avec ce modèle de conjugalité. Ainsi, si les usagers s’y identifient, ils le critiquent et, parfois, cherchent à le réinventer en expérimentant des relations plus libres et dans lesquelles ils veulent concilier des idéaux romantiques à leur liberté individuelle.

Ces femmes qui aiment aussi la légèreté: le cas «C-date»

Toutes les célibataires ne cherchent pas l’Amour avec un grand A sur le net, certaines ont aussi envie de s’amuser. C’est fort de cette idée qu’est né le site C-date, qui propose des «rencontres passagères et sensuelles», du «casual dating» dans le jargon.

Lancé en Allemagne en 2008, il compte aujourd’hui 40 millions de membres dans 37 pays. La Suisse arrive en deuxième position avec plus de 1,2 million de membres, dont 45% de femmes. Après Zurich, Berne et Bâle, la Suisse romande se classe 4e (canton de Vaud) et 5e (Genève) en nombre d’inscrit(e)s. Selon Tanja Ballabio, responsable de communication, «la société actuelle reste fixée sur les représentations relationnelles classiques qui, notamment, légitiment les rapports sexuels uniquement dans le cadre d’une relation de couple établie. Or, beaucoup de célibataires ne sont pas prêts à renoncer ni à leur célibat ni au sexe. D’où notre site.»

Les plus actives? «Les 30-40 ans, établies sur le plan professionnel mais pas prêtes à s’engager ou à fonder une famille, et qui ne veulent pas renoncer à leur sexualité. Pour elles, le site est un accessoire.»

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