entre flirt virtuel et romance digitale
Le blues des premières rencontres au temps du Covid
Être célibataire en temps de crise? La double peine pour certains, qui vivent de plus en plus mal cette solitude imposée. Amanda, 31 ans, est éducatrice de la petite enfance. «Je dois faire très attention à ne pas attraper le virus, contaminer les collègues et les enfants n’est pas une option, témoigne la Genevoise. J’ai très peu de contacts sociaux, je ne vois mes amis que virtuellement. Alors, faire de nouvelles rencontres en cette période, c’est juste totalement impensable.» Pour Esther-Amélie Diserens, psychologue spécialisée en psychothérapie et sexologue basée à Lausanne, le Covid a rendu la vie dure, voire impossible au flirt et à la légèreté qui l’accompagnait:
Plus sérieux qu'avant, les célibataires?
Divorcée depuis 2007, Laurence* a préféré vivre totalement recluse lors de la première vague. «Ma maman était malade et j’étais vraiment paranoïaque, se souvient-elle. J’allais jusqu’à désinfecter mes légumes! J’ai vécu comme une nonne jusqu’au mois de juin.» Mais le manque de contacts l’a poussée à redonner une chance aux applications de rencontre. «J’ai toujours adoré faire la connaissance de nouvelles personnes, j’en avais besoin!» Au fil du temps, la Lausannoise de 52 ans est devenue experte et pose un regard sans fard sur le monde des célibataires: «Lorsque je lis que ces derniers sont devenus plus sérieux avec le Covid, ça me fait doucement rigoler. Selon mes observations, le nombre d’hommes mariés a triplé sur les sites. Ça me rend folle, car ils mettent plusieurs personnes en péril avec un tel comportement. La crise n’a rien amélioré, elle a même empiré les choses. Jamais un homme avec lequel je chattais ne m’a dit: Attends, on va prendre la peine de se connaître, de se parler durant très longtemps et de recevoir nos deux doses de vaccins avant de se voir en vrai!»
Pour Laurence, «il faut vivre cette réalité pour la comprendre. Franchement, qui a envie de passer un premier rendez-vous en raquette, avec un bonnet sur la tête et le nez qui coule? Même prendre un café dehors est totalement désagréable durant cette période hivernale.» A plusieurs reprises, elle a ainsi rencontré de nouveaux partenaires, chez elle ou chez eux. «La solitude, je n’en peux plus, j’ai besoin de contacts. Toutefois, je mesure toujours les risques, je suis prudente.» Emmanuelle, pour sa part, n’a pas encore osé franchir le pas. La jeune célibataire vaudoise de 29 ans rentrait d’un long voyage à l’étranger lorsque la crise sanitaire a débuté. «Je suis très bien seule, mais la possibilité de pouvoir rencontrer de nouvelles personnes, d’élargir mon univers et de vivre de petites histoires, aussi bien amicales qu’amoureuses, me manque terriblement. J’ai toujours adoré sortir, faire du sport. Ça me permettait de m’évader, de me vider la tête.»
Inédite et anxiogène, la situation sanitaire «met à mal beaucoup de choses qui facilitaient autrefois la rencontre, comme le fait d’évoluer en soirée, de danser, de s’embrasser, observe Romy Siegrist, sexologue et psychologue FSP au Mont-sur-Lausanne. La spontanéité est plus compliquée, mais j’ai la conviction que le flirt peut également s’exercer à distance, de façon textuelle.» Et l’experte de mettre en évidence l’un des aspects positifs de la crise, le fait que cette dernière nous pousse à mettre à nu nos peurs, nos incertitudes. «On assiste à une certaine exacerbation des valeurs, poursuit-elle. On rencontre moins de gens, mais on les rencontre sans doute mieux. En cette période, il est parfois difficile de cacher ses insécurités, car la crise peut nous décompenser.»
C’est l’expérience que vit Claire* actuellement. La Genevoise de 34 ans a récemment matché sur Tinder avec un jeune homme dont elle se sent déjà très proche, sans même l’avoir rencontré. «Je ne sais pas ce que ça va donner, mais nous entretenons une conversation très profonde.» C’est en avril que la jeune femme s’est inscrite pour la première fois sur Tinder. «Et franchement, j’ai trouvé ça génial! Durant l’été, je me suis beaucoup amusée. J’avais du temps libre et j’ai fait de jolies rencontres. Cette application a vraiment eu un impact positif et surprenant dans ma vie.» Toutefois, en octobre, elle attrape le Covid, probablement suite à un de ses matches. Cette expérience l’a totalement refroidie. Désormais, elle refuse toute rencontre réelle. «Même une promenade, ça m’angoisse. Bien sûr, les contacts me manquent, mais je refuse de reprendre le risque, j’ai trop peur.»
Franchir la barrière du masque
Les rencontres fortuites, dans la rue, semblent dater d’une autre époque, un temps révolu où on pouvait apercevoir le visage de l’autre sans que ce dernier soit dissimulé derrière un masque chirurgical. «J’adore le regard, mais j’aime encore plus le sourire, confie Laurence. Je me faisais régulièrement aborder lorsque je faisais mes commissions, mais depuis le début de la pandémie, ça ne m’est plus arrivé. Il faut dire que je suis tellement en mode commando lorsque je me rends au magasin, à faire attention à bien désinfecter mes mains, à respecter les distances, que l’homme de ma vie pourrait se trouver à 2 mètres que je ne le verrais même pas!» Toutefois, pour Esther-Amélie Diserens, cette nouvelle réalité nous pousse à expérimenter la lenteur et à définir de nouveaux rituels. «Ce n’est plus du tout au goût du jour, mais on est forcé de prendre son temps, on avance étape par étape. On échange par écrit, puis on s’appelle ou on organise un Face Time, avant d’oser peut-être se voir en vrai puis de décider d’ôter son masque. Dans notre société consumériste, on a tendance à négliger toutes ces étapes: il faut toujours aller très vite, trop vite.»
Rencontrer l’âme sœur, faire preuve de romantisme, est-ce toujours possible? Absolument, martèlent les psychologues FSP Julie Dubost Suchet et Céline Lador, toutes deux exerçant au cabinet Pattern Psy, à Yverdon. «Ce n'est pas l'amour qui est impossible, mais les opportunités de contacts sociaux qui ont diminué, nuancent-elles. Même durant les guerres et les plus grandes crises, les gens tombent amoureux! En revanche, il est vrai que le télétravail et la diminution des conférences et des formations professionnelles ne favorisent pas les échanges sur le lieu de travail.» Depuis 2020, chacun d’entre nous a été contraint de modifier ses habitudes, ce qui a pour conséquence de remettre en question certains schémas, ouvrant alors sur de nouvelles perspectives. «On redéfinit ses priorités, poursuivent les spécialistes. Un point très positif, étant donné qu’une bonne connaissance de soi et de ses besoins est, à terme, un point important dans notre lien aux autres, notamment au sein d’une relation amoureuse.» Et de signaler également que le télétravail, de plus en plus pratiqué, a de bons côtés pour les célibataires: «La pratique peut amener une baisse du niveau de stress et permettre, notamment, d’être plus disponible psychiquement pour vivre une nouvelle relation amoureuse, virtuelle ou non.»
Témoignage: «Notre rencontre a eu lieu dans la clandestinité»
Amelia*, 35 ans, assistante sociale
«J’ai fait la connaissance de mon amoureux durant le premier confinement. Ce n’était pas une situation facile à gérer, car je venais de me séparer de mon compagnon et père de mes deux enfants en bas âge. Par curiosité, j’ai décidé de créer un profil sur une application de rencontre. Je n’avais plus dragué depuis si longtemps! Il a été l’un de mes premiers matches. On s’est écrit durant un mois, on s’est appelé et on a tout de suite senti qu’il se passait quelque chose, outre notre nouvelle passion commune pour le levain! On a donc décidé de se rencontrer en vrai, dans la clandestinité la plus totale. Je n’en ai parlé à personne, mes parents m’auraient tué s’ils avaient su! On avait vraiment l’impression d’enfreindre toutes les lois. On s’était mis d’accord pour un pique-nique mais, manque de chance, il pleuvait des cordes ce jour de mai. Il m’a alors invité à prendre un verre chez lui, pour faire du pain. J’étais morte de peur. J’ai tout de même envoyé la géolocalisation à une amie, mais tout s’est très bien passé et, 9 mois après, on est toujours ensemble. J’ai mis du temps avant d’oser en parler puis, durant l’été, le climat a changé, il n’y avait plus tous ces soupçons, cette délation qui planait. Je me rends compte aujourd’hui de la chance que j’ai eu de le rencontrer dans un contexte si particulier.»
Témoignage: «Au premier date, ça a été le coup de foudre»
Lucie*, 25 ans, enseignante
«Mon ex et moi nous nous sommes séparés au mois d’avril, en plein confinement. En juin, lorsqu’on a recommencé à pouvoir sortir un peu, je me suis inscrite sur une application de rencontre. Très rapidement, j’ai matché avec le profil de celui qui fait battre mon cœur aujourd’hui. Je ne pensais pas tomber amoureuse si rapidement, je trouvais juste sympa de faire des rencontres en-dehors des cercles habituels. On a échangé quelques messages, puis on s’est retrouvé un soir sur une terrasse. Très vite, j’ai eu le déclic, ça a été le coup de foudre! On ne vivait pas dans la peur au mois d'août, les chiffres des contaminations étaient bien descendus, on avait l’impression que c’était derrière nous. On ne s’est pas fait la bise, mais pour le reste, c’était un premier rendez-vous tout à fait normal. Par contre, par la suite, tout est allé très vite dans notre relation. J’ai l’impression que c’est une évidence, qu’on se connaît depuis toujours. On passe énormément de temps tous les deux, mais on n’a jamais eu l’occasion d’aller au cinéma main dans la main par exemple. On va emménager ensemble, mais je n’ai pas encore fait la connaissance de certains de ses amis, et lui des miens. Avec le Covid, les choses ne se font pas dans un ordre naturel.»
* Noms connus de la rédaction
3 questions à Géraldyne Prévot Gigant
Psychopraticienne et autrice de La Force de la rencontre (Ed. Odile Jacob)
FEMINA Chez les célibataires, constatez-vous une tendance à moins papillonner, en raison des risques encourus?
Géraldine Prévot-Gigant Il y a ceux qui ont peur et les téméraires. Le repli sur soi s’observe chez les plus âgés, la fougue chez les 20 - 40 ans. Ceux-là parlent de l’amour, de la séduction, des relations, de la même façon qu’avant la pandémie, comme si de rien n’était. Ils ne sont pas dans le déni mais, selon eux, la rencontre est plus importante que le reste. Certainement parce que ce point de vue leur permet d’entretenir le mouvement de vie en eux. C’est une forme de survie psychique pour ces résistants de l’amour.
La légèreté appartient-elle désormais au passé?
En effet, il ne s’agit plus de l’insoutenable légèreté de l’être, mais de l’insoutenable poids de la situation sanitaire. Dans une société aux messages anxiogènes, il faut une sacrée dose d’optimisme et de vitalité pour garder le cap et ne pas plonger dans des pensées dépressives. Avec les années sida, nous avions déjà perdu en légèreté par rapport aux générations précédentes, mais la pandémie mondiale vient en rajouter.
Comment improviser un rendez-vous galant en ces temps de semi-confinement?
Il est indispensable d’anticiper un peu en réfléchissant en amont à tous les endroits possibles de rencontre. Certains optent pour des voyages en train ou les parcs et jardins, par temps sec. Un jour, alors que je promenais mon chien dans le joli jardin de mon quartier, j’ai vu un couple, assis sur un banc, tout joyeux, sabler le champagne. La contrainte nous oblige à être créatif, c’est préférable au renoncement. Ce contexte lourd donne lieu à des situations cocasses et romantiques qui vont contribuer à ce que j’appelle la légende de la rencontre. Cette légende participe aux fondements d’une belle histoire d’amour.
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