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Le célibat: mieux assumé, mais encore dénigré
Une espèce rare et dépitée? Pas vraiment. Si le fait d’être célibataire est encore souvent mal perçu, c’est surtout par la société. Pour la majorité des personnes concernées, c’est un choix assumé ou, en tout cas, une situation qui leur convient. Et ceux qui le vivent le mieux ne sont pas forcément ceux que l’on croit.
Une récente étude a scruté la question du célibat selon l’âge, le genre, le statut socio-économique. Rien d’inhabituel. Pourtant, les résultats réservent quelques surprises. L’une d’entre elles concerne les femmes de milieux relativement modestes. Ouvrières et employées affichent, en effet, une certaine satisfaction quant à la vie de célibataire. «Elles sont plus nombreuses que les femmes cadres à déclarer que leur célibat du moment est un choix, elles rapportent aussi moins d’impacts négatifs sur leur vie quotidienne», confirme Géraldine Vivier, chercheuse à l’Institut français d’études démographiques (Ined), qui co-signe l’étude.
Pour compléter les données statistiques, les chercheuses ont mené des entretiens individuels qui en disent un peu plus long sur cette sérénité. Et ce qui revient fréquemment chez ces femmes, c’est qu’avec le célibat, leur charge de travail – à savoir le fait d’assumer une vie professionnelle, mais aussi les tâches ménagères, l’éducation des enfants, etc. – ne change guère. Avec ou sans conjoint, elles continuent à pratiquement tout gérer, tout organiser. Alors forcément, une fois célibataires, elles n’ont pas l’impression d’y perdre grand-chose.
«En revanche, ce qui change et qu’elles relèvent, constate Géraldine Vivier, c’est que, sans partenaire, elles n’ont plus de compte à rendre, que ce soit sur le budget ou sur l’éducation des enfants. Elles ont, finalement, beaucoup moins à négocier.
Une sociabilité modifiée
A l’inverse, les femmes d’un niveau socio-éducatif plus élevé, qu’on aurait pu imaginer plus affranchies des contingences affectives, acceptent moins bien leur célibat. «Leur moindre satisfaction s’exprime sur d’autres plans que la notion d’indépendance ou d’autonomie, éclaire Géraldine Vivier. Dans les milieux plus favorisés, le célibat est moins fréquent que dans les milieux plus modestes. Pour ces femmes, la sociabilité s’en trouve modifiée. Elles constatent qu’elles sont moins invitées que lorsqu’elles étaient en couple. Il leur arrive plus souvent de se sentir exclues du fait de leur célibat. Bien évidemment, l’expérience et la perception que chacun peut avoir est personnel, mais ces appréciations sont liées à un environnement social donné.»
C’est un fait, la façon de vivre son célibat est influencée par l’entourage, notamment la proportion de personnes en couple qui gravitent autour de soi. Plus il y en a, plus le célibat risque d’être pesant. Ça vaut pour tout le monde mais, comme le souligne Géraldine Vivier, «on peut penser que la norme conjugale est plus forte parmi les classes supérieures» où le couple constitue un élément important de réussite sociale. Dans certaines tranches d’âge également, la pression de l’entourage semble plus encombrante. «On l’observe chez les célibataires autour de la trentaine, dont les amis se sont mis en couple et commencent à avoir des enfants, poursuit la sociologue. Ils n’ont plus les mêmes priorités, les mêmes contraintes, les mêmes disponibilités.»
Au-delà des différences, un élément transcende les catégories. Quels que soient leur âge, leur sexe, leur milieu social et même leur passé conjugal, les célibataires se rejoignent sur un point: leur situation n’est pas valorisée socialement, contrairement à la vie en couple. Et ça, ils le perçoivent très clairement à travers les regards, les remarques ou les questions de leur entourage. Tous véhiculent la même attente, la même incitation à se mettre ou à se remettre en couple. Même si les encouragements sont la plupart du temps perçus comme plutôt bienveillants, ils suggèrent forcément que le célibat ne peut pas être la clé du bonheur, que cette situation n’est pas normale et donc pas supposée durer.
En couple ou non, on ne renvoie pas la même image sociale. Même si l’archétype de la vieille fille ou du vieux garçon appartient désormais à une autre époque, le célibat reste déprécié et souvent associé à une certaine solitude, alors que la réalité est plus nuancée. Preuve en est la proportion de célibataires ne vivant pas seuls. Ils sont 42% à cohabiter, avec des enfants ou des colocataires.
La condescendance de la société semble d’autant plus anachronique qu’une majorité des célibataires déclarent l’être par choix ou se satisfaire très bien de cette situation. «Il y a une forme de banalisation du célibat par le nombre, observe Géraldine Vivier. Finalement être célibataire, ce n’est pas quelque chose de rare. Avec les séparations, les divorces, beaucoup de gens se trouvent dans cette situation.» Et de rappeler que s’il peut s’agir d’un choix à un moment donné, il ne s’agit pas forcément d’un choix de vie: «Quand le célibat se situe dans un parcours amoureux marqué par une rupture potentiellement douloureuse, il y a une période durant laquelle les gens peuvent aspirer à souffler un peu et ne pas vouloir se remettre en couple trop vite.»
Des femmes plus réalistes
En tout cas, ceux qui pensaient que les femmes avaient une vision du couple plus fleur bleue que les hommes en seront pour leur frais. Quelle que soit leur classe sociale, ce sont plus souvent elles qui se disent satisfaites de leur célibat.
Les femmes sont aujourd’hui plus diplômées que les hommes, plus diplômées que leur conjoint aussi, souvent. Elles sont également très présentes sur le marché du travail où elles ont gagné en responsabilités. Il y a eu, de manière générale, un gain en autonomie. Toutefois, les femmes endossent également plus souvent la garde des enfants suite à une rupture et sont donc peut-être aussi moins idéalistes, ou plus réalistes. Il y a sans doute des contingences, des priorités qui affectent plus, en ce qui les concerne, une remise en couple.»
Ce qui est certain, c’est que la vie de célibataire laisse des traces. Se débrouiller par soi-même, prendre toutes les décisions seul raffermit forcément l’autonomie et modifie la vision qu’on se fait du couple. S’ils se projettent dans un futur à deux, les célibataires ne semblent pas prêts à renoncer à leur espace personnel. Vivre à deux d’accord, mais en cohabitation plutôt que mariés ou sans même cohabiter, au moins pendant un certain temps: voilà comment ils envisagent leur retour à la conjugalité. D’ailleurs, les ex-célibataires tissent, au sein de leur couple, des relations en général moins fusionnelles, à entendre Géraldine Vivier. On ne sort pas systématiquement avec sa nouvelle moitié pour retrouver des amis, on ne part pas forcément en vacances ensemble… les rôles s’assouplissent. Sauf en ce qui concerne la répartition des tâches ménagères. Dans ce domaine, les vieux réflexes ont la vie dure. Devinez quoi? La remise en couple correspond à une augmentation du temps consacré aux tâches domestiques pour les femmes. Et à une diminution pour les hommes…
Quelques chiffres
21% des 26-65 ans ne sont pas en couple, selon les chiffres français*.
En Suisse, selon les données publiées par l’Office fédéral de la statistique, 24% des 18-80 ans sont dans cette situation.
42% des célibataires ne vivent pas seuls, mais partagent leur toit avec des enfants ou des colocataires.
46% des femmes déclarent que leur célibat est un choix, contre 34% des hommes.
25% des femmes affirment que le célibat leur convient, contre 28% des hommes.
*Etude des parcours individuels et conjugaux, Ined
«J’aime cette liberté, peut-être un peu égoïste, de ne devoir rendre de comptes à personne»
Whitney Toyloy, ancienne Miss Suisse, responsable communication et marketing chez Cocooning biocosmetics
2020 aura été son année de célibat, un célibat bien vécu, même si elle se dit désormais prête à retrouver quelqu’un. «L’idée de passer la soirée seule chez moi, j’adore ça, confie Whitney Toyloy. Je fais ce que je veux. Là, je suis en train d’organiser des vacances avec une copine, je ne me demande pas si ça embêterait mon mec, s’il ne voudrait pas plutôt qu’on parte ensemble. En ce moment, je ne pense qu’à moi. J’aime cette liberté, peut-être un peu égoïste, de ne devoir rendre de comptes à personne.» La solitude? Elle ne connaît pas. «Je suis quelqu’un de très actif, j’ai beaucoup de projets, je vois beaucoup mes amis. En réalité, j’ai rarement une soirée ou un week-end de libre. Du coup, pour moi, ne rien avoir le dimanche, ne voir personne, ce n’est absolument pas déprimant. En revanche, il me manque peut-être quelqu’un avec qui partager un projet de vie, échanger de l’affection.»
Ne pas être en couple lui a offert l’opportunité de réaliser une sorte d’introspection. «J’ai beaucoup lu, je me suis remise en question, raconte-t-elle. J’ai dû compter sur moi, et uniquement sur moi, et j’ai réalisé que j’étais bien plus forte que ce que je pouvais penser. La famille, les amis sont des piliers, mais le pilier fondateur d’un individu c’est lui-même. Si vous ne possédez pas cette fondation solide, vous ne pouvez rien construire dessus.»
A tout juste 30 ans, Whitney Toyloy se voit tout de même bientôt fonder une famille: «Ça fait partie de mes projets de vie. Je respecte tout à fait ceux pour qui ce n’est pas le cas, mais si tout va bien, j’aimerais avoir mon premier enfant d’ici quatre ans. J’ai pris le temps de me réapproprier mon espace et là, je me sens prête à rencontrer quelqu’un. Mais, c’est sûr, le jour où j’aurai à nouveau un copain, je vais devoir apprendre à réorganiser mon temps, car je ne suis plus habituée à faire les choses autrement que par rapport à moi.» Pas dupe, elle a conscience de la pression qui pèse sur les célibataires, même jeunes, séduisants et indépendants, comme elle.
Et cette question qu’on lui pose souvent: t’es encore célibataire? «Je la trouve horrible, comme si on était responsable à 100% de cette condition-là. Moi, c’est ça qui me met la pression.»
À lire:
Nadia Daam: «L’impression d’être à la fois Beyoncé et un cas social»
Si elle relève que, statistiquement, une célibataire de plus de 40 ans a plus de chances de mourir dans un attentat terroriste que de se marier, c’est pour mieux rappeler que l’affirmation a été relayée par le magazine Newsweek en 1986, «soit il y a un siècle», et pour mieux démonter les clichés qui collent à la femme seule.
Ni obsédée par la quête du prince charmant, ni désespérée, Nadia Daam raconte sa vie de mère célibataire approchant la quarantaine à une époque marquée de l’empreinte d’une Bridget Jones ou d’une Samantha de Sex and the City, archétypes avec lesquels on est passé d’un extrême à l’autre, selon elle: «De la quadra célib qui bouffe sa soupe Liebig en voyant sa vie défiler et qui désespère ses parents, à la quadra célib mais joviale, cougar ou MILF qui désespère ses parents ET ses enfants.» Humour et dérision sur les tares et les manies qu’on prête aux femmes seules, sur les soirées entre amis, les soirées en solo, les néologismes idiots (célibattante), inspirent cette mère célibataire agacée par la manière qu’on a de lui demander comment elle va: «Passé l’impression fugace d’être tout à la fois Beyoncé et un cas social, je réponds généralement que, oui, ça va.»
Comment ne pas devenir une fille à chat, l’art d’être célibataire sans sentir la croquette (Ed. Mazarine)