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(in)égalité salariale: où en est-on en Suisse?

Egalité salariale: où en est-on en Suisse?
© Getty

L’an 2186. Si aucune amélioration n’est apportée, il faudra attendre 170 ans pour que les femmes gagnent le même salaire que les hommes. Ce chiffre est avancé par une étude publiée par le Forum économique mondial (WEF) en octobre 2016. Au niveau suisse, le constat n’est pas plus réjouissant: notre pays se classe au 11e rang, bien loin derrière l’Islande, les pays scandinaves, le Rwanda ou les Philippines.

Chaque année, l’Office fédéral de la statistique analyse les structures des salaires. Valérie Borioli, responsable de la politique de l’égalité pour Travail.Suisse, nous aide à y voir plus clair dans la «bataille des chiffres» que mènent régulièrement associations féministes et milieux patronaux:

Premier constat: les différences de salaires sont plus grandes dans le secteur privé (21,3% en moyenne de moins pour une femme, taux qui peut monter jusqu’à 30,3%) que dans le secteur public (16,5%). Sur ce pourcentage, il y a certes une part explicable et objective: les différences de formations, d’expériences, professionnelles, les niveaux de compétences y sont pour quelque chose. Elle représente environ 59% des disparités salariales. Les 41% restants sont inexplicables et donc imputables à une seule discrimination: le sexe.

«Au-delà des pourcentages, il est intéressant de noter la somme que cela représente, soit ce qu’il manque sur la fiche de paie des femmes chaque mois», poursuit la spécialiste. Entre 174 fr. dans la branche «production et distribution d’énergie» (2088 fr. par an) et 1089 fr. dans celle des «activités financières et assurances» (13 068 fr. par an). «Je vous laisse imaginer, après toute une vie professionnelle, ce qu’il manque sur le compte du deuxième pilier et sur celui de l’AVS!»

«Manipulées», les filles font des choix biaisés

Revenons à la part de différence explicable et, plus précisément, aux formations plébiscitées par les filles. Il est prouvé que leurs domaines de prédilection sont moins bien payés que ceux des garçons. Dans les soins ou l’éducation, des secteurs étiquetés comme attirant davantage les femmes, le salaire moyen est inférieur à celui que l’on obtient en travaillant dans des branches plus techniques. «C’est l’une des raisons qui explique qu’elles gagnent moins, résume Colette Fry, présidente de la Conférence romande de l’égalité. Elles travaillent plutôt dans des branches où les salaires sont bas, et sont sous-représentées dans les fonctions hautement qualifiées et aux postes de cadres.»

Très tôt dans leur parcours scolaire, les filles s’obligent à prendre des directions «réfléchies». Traduction: elles prennent des décisions, consciemment ou non, qui leur permettront de concilier leur future vie familiale avec leur carrière professionnelle. «En anticipant les difficultés à venir, les jeunes filles éduquées font des choix moins prestigieux, explique Koorosh Massoudi, docteur en psychologie et enseignant à l’Université de Lausanne. Une partie de l’inégalité homme-femme se reproduit, car elles regardent ce qui se passe autour d’elles, sont conscientes qu’il n’y a pas de véritable politique d’égalité ni d’aide à la parentalité en Suisse. Nous vivons dans une société qui estime que faire des enfants, c’est surtout l’affaire des femmes. Et ce sont très souvent ces dernières qui sacrifient leurs carrières.»

Le rôle des politiciens

Quant aux différences salariales injustifiables (et donc uniquement imputables au sexe), elles ne sont pas légales. La loi sur l’égalité (LEg), entrée en vigueur le 1er juillet 1996, interdit toute forme de discrimination entre femmes et hommes dans les rapports de travail. Pourtant, comme le prouvent les chiffres, elle n’est pas respectée. L’égalité salariale, inscrite dans la Constitution depuis trente ans (!), figurait dans la liste des objectifs du Conseil fédéral pour 2016. Simonetta Sommaruga (PS, Département fédéral de justice et police) a ainsi mis en consultation un texte enjoignant les entreprises de plus de 50 employés à se soumettre à un contrôle sur les salaires. Très peu contraignant, ce projet ne prévoyait aucune sanction, mis à part un éventuel dégât d’image, si la loi n’était pas respectée. Selon une source proche du dossier qui s’est confiée à la RTS, s’en était déjà trop:

Pour Ueli Maurer (UDC, Département fédéral des finances), l’Etat ne doit pas se mêler des salaires des entreprises privées, qui doivent pouvoir agir comme elles l’entendent sur cette question.

La conseillère socialiste devra présenter ces prochaines semaines un nouveau projet, probablement allégé. Une situation qui choque Martine Gagnebin, présidente de l’Association des Droits des Femmes: «Cette première proposition vise déjà le strict minimum: on parle d’auto-contrôle et d’aucune sanction en cas de manquements. Je suis toujours consternée de constater qu’en Suisse, on ne contrôle pas davantage l’application de la loi sur l’égalité. C’est comme si l’on n’encourait aucun risque en roulant à 80 km/h dans un village, si la loi sur la circulation routière ne prévoyait aucune sanction!»

L’analyse de Valérie Borioli va dans le même sens. «Les entreprises n’ont aucune obligation légale de contrôler les salaires qu’elles versent, explique-t-elle. Or, il est prouvé que la grande majorité d’entre elles n’ont tout simplement pas conscience que leur grille salariale comporte des discriminations. Près de la moitié de celles qui ont fait leur autocontrôle avec Logib, le logiciel gratuit qui permet d’analyser cela, ont spontanément corrigé leurs erreurs après.»

Faire changer les choses à son échelle

Les Islandaises sont descendues dans la rue le 25 octobre à 14h38 pour démontrer qu’en raison des disparités salariales, les employées travaillaient à partir de cette heure précise gratuitement jusqu’à la fin de l’année. En France, elles sont nombreuses à avoir éteint leur ordinateur le 7 novembre à 16h34 pour les mêmes raisons. Colette Fry invite les Suissesses à participer à l’Equal Pay Day, une journée dédiée à la lutte contre les écarts salariales qui se déroulera en février 2017 : «De plus, chaque femme devrait connaître ses droits, s’intéresser aux entreprises qui favorisent la transparence dans leurs pratiques salariales, encourager son employeur à aborder le thème de l’égalité.»

Lors d’un nouvel engagement, Valérie Borioli conseille aux femmes de se rendre sur le site Salarium pour estimer dans quelle fourchette formuler ses prétentions salariales et demander systématiquement un salaire masculin. «Quant à celles qui sont en emploi, je leur recommande d’en parler autour d’elles, de comparer leur revenu avec celui de leurs collègues, d’oser prendre la parole et de demander une analyse de salaire.»

Et si on négociait davantage?

Car les femmes ne négocient pas assez leur salaire. «Les différences de salaires ne sont pas injustes, elles sont inexplicables», martèle Kim Keating, directrice RH dans l’ouvrage «En avant toutes» de Sheryl Sandberg. Pour leur tout premier job, alors qu’elles ont les mêmes diplômes que les garçons, elles sont moins payées. Et l’écart s’accentue au fil des ans. «Nous devons apprendre à négocier nos salaires, à arrêter d’être de «gentilles filles» et de se réjouir de ce qu’on nous propose», note l’experte. En clair: remplacez «merci mille fois pour votre offre» par un «Je suis désolée, mais je mérite davantage que cela».

Vous êtes victime de discrimination salariale? «Procédez par étapes, recommande Colette Fry. Commencez par consulter les brochures éditées par le Bureau fédéral de l’égalité, puis nouez le dialogue avec vos supérieurs et contactez des spécialistes de la question. Recourez éventuellement aux services gratuits de l’office cantonal de conciliation avant d’entamer une procédure judiciaire.» Le site Infor.Maternité récapitule les différents procédés à suivre.


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