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Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, c’est regarder ensemble dans la même direction, disait Antoine de Saint-Exupéry. Ce que l’auteur du Petit Prince ne pouvait pas prévoir, c’est que la love story allait se corser quand les tourtereaux lèveraient ensemble les yeux en direction des hautes sphères. Pour ceux qui estiment possible de conjuguer à deux amour, carrière et nichée, la récente séparation des Brangelina est un coup dur – et pourtant ils disposent de nounous et de jets privés, eux! Sur le marché médiatique, il reste bien Amal et George, ou Kim et Kanye: on peut penser ce qu’on veut de leurs réalisations respectives, du moins ces dames et messieurs affichent-ils de concert des ambitions et un soutien sans faille à leur cher(ère) et tendre. Au point de réussir, ou presque, à faire passer les dual-career couples du rang d’image utopique à celui de modèle véritable.

Plus près de nous, en effet, lesdits couples à carrière duale sont une espèce en voie de développement. On ne parle pas ici, évidemment, des couples au sein desquels les deux partenaires travaillent – comme s’ils avaient le choix! – mais de ceux où les deux font carrière et occupent des postes importants, que ce soit en politique, dans les milieux économiques ou universitaires.

Une vie quotidienne organisée et remplie

«Il y en a de plus en plus, même s’il est impossible de chiffrer leur nombre», affirme la sociologue française Sandrine Meyfret, qui étudie ces brillants tandems depuis plus de dix ans. A la tête du cabinet de coaching Alomey, à Paris, l’auteure de travaux précurseurs entamés en 2006 évoque à leur sujet une «révolution silencieuse emmenée par des pionniers». Des pionniers et pionnières qui s’épaulent. Et dont le quotidien est aussi organisé et rempli qu’un colis de l’armée suisse.

Avocate spécialisée dans le droit du travail, la Genevoise Stéphanie Buchheim connaît bien la thématique. En 2012, «suite à des discussions avec des collègues avocates relatives au fait qu’il y a très peu de femmes associées dans les cabinets», naissait l’association Women’s Business Society, qui vise à promouvoir la carrière féminine, notamment dans les quinze premières années. Des fréquentes rencontres de l’avocate avec les dual career couples, un terme ressort: «celui d’équipe. Les deux partenaires comptent beaucoup l’un sur l’autre. Une des formules magiques, c’est d’être bien entouré, par la nounou, les proches, d’avoir un système de garde bien rodé et de savoir déléguer.»

Le modèle de la wonder woman, est un leurre. Ces couples préfèrent miser sur le quality time. S’ils ont des enfants, ils sont peut-être moins souvent avec eux en semaine, mais sont vraiment présents lors du temps effectif qu’ils leur consacrent. Une question souvent posée à ces femmes: et le temps pour vous, alors? Leur réponse, c’est qu’elles s’épanouissent justement dans leur travail!

Pas très romantique, peut-être? Mais «pour certains, l’ambition est si euphorisante qu’elle procure plus de plaisir que le sexe», affirmait voilà peu la psychanalyste Sophie Cadalen dans un magazine français.

Quoi qu’il en soit, le rôle du partenaire est fondamental. «Cela peut paraître un peu naïf, mais bien le choisir, ou en tout cas avoir la chance d’en avoir un qui vous soutient, est essentiel», insiste Stéphanie Buchheim.

Décalage flagrant

Amour et ambitions, duo de rêve? Sur le papier, peut-être. Car, dans les faits, ces candidats au dual career couple dont on observe la flambée ont à défricher un terrain semé d’embûches. Une étude réalisée en 2014 auprès de 25 000 diplômés de la Harvard Business School (HBS) issus de trois générations (baby-boomers, génération X et Millennials) conclut que les aspirations féminines continuent à se heurter à des inégalités bien ancrées, au travail comme à la maison – on l’avait à peine remarqué... Y compris en Suisse. Dans son dernier rapport d’évaluation, le programme fédéral Egalité des chances entre femmes et hommes dans les universités confirmait que les chercheuses rencontraient «des difficultés plus grandes que leurs collègues masculins pour concilier vie professionnelle, vie de couple et de famille – ce qui affecte leurs chances de poursuivre une carrière universitaire». D’où une batterie de mesures mise en place pour aider les femmes à grimper les échelons académiques.


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Pénalisé par son entreprise

Spécialiste en géographie sociale à Zurich, Patricia Felber a notamment étudié le parcours des femmes scientifiques du pays. Elle reconnaît les efforts consentis par les universités mais constate que, d’une manière générale, «la Suisse reste très conservatrice sur ces questions».

Responsable de la Gender Initiative à la HBS, Colleen Ammerman, de son côté, souligne que «si le partenaire a un fort salaire et des possibilités d’avancement, il semble logique à la femme de se mettre en retrait, en particulier s’ils ont des enfants». Hillary Clinton elle-même a dû attendre de nombreuses années pour atteindre le devant de la scène. «Avant, ces femmes renonçaient à la maternité, précise encore Patricia Felber. Aujourd’hui, certaines font encore ce choix, mais d’autres se disent qu’elles vont y arriver. Dans les faits, cela se traduit par des efforts et un stress énormes.» Pire, «celles qui ont le soutien de leur compagnon découvrent avec douleur que eux aussi vont avoir des problèmes». Car ces hommes «sont fortement marginalisés au sein de leur entreprise, qui les considère comme moins investis. Je peux vous citer le cas d’un homme qui occupait un poste important dans une banque à Zurich et qui s’est mis à 80%. Au bout d’un an, le message était clair: il revenait à temps complet ou il partait. Ou celui d’un cadre à la Confédération, époux d’une professeure, qui a subi des railleries pour avoir réduit son temps de travail. Il a fini par la suivre lorsqu’elle a été mutée à l’étranger.»

Ce triste constat, Stéphanie Buchheim le partage. «Les hommes de moins de 35 ans que nous rencontrons par le biais de l’association ont envie d’être plus disponibles, plus présents à la maison, plus flexibles au travail. Mais cela reste mal vu par les entreprises et par la société dans son ensemble. Ce qui me fait dire que, pour faire avancer les choses, les femmes et les hommes doivent agir ensemble, parce que c’est le même combat. Pas une lutte l’un contre l’autre.»

La génération Y changera-t-elle quelque-chose? «Pour les étudiantes qui baignent encore dans un environnement très égalitaire, le réveil pourrait être rude», prévient Patricia Felber. «Il est trop tôt pour dire comment les aspirations des Millenials vont se concrétiser», ajoute Colleen Ammerman. «Il restera sans doute très difficile pour eux de les implémenter au sein de compagnies largement influencées par les normes sociales en vigueur.»

Révolution en marche

Pour Sandrine Meyfret, toutefois, «il faudra sans doute des décennies, mais nous sommes en train de vivre une révolution sociétale et de nouveaux codes apparaissent. Je ne crois pas à un retour en arrière. Mais cela exige, insiste la sociologue, que les hommes soient conscients du rôle qu’ils ont à jouer. Il ne faut surtout pas les voir comme les méchants et les femmes comme les gentilles, mais considérer les uns et les autres comme des partenaires qui se font la courte échelle.» Ainsi, si l’espoir et l’optimisme se heurtent à des normes sociales conservatrices, c’est au couple de faire bouger les lignes, car tout comme la famille est un projet collectif, la carrière peut le devenir.

Nathalie Seiler-Hayez, directrice du Beau-Rivage Palace à Lausanne, mariée, 2 enfants

«Ma carrière s’est faite avec l’aide de beaucoup de nounous et de babysitters. Et évidemment de mon mari! Il n’y a pas de calcul dans notre parcours. C’est comme les films de Lelouch, on tombe amoureux… J’aurais pu rencontrer un autre homme que j’aurais suivi au gré de ses mutations, je ne le saurai jamais. Nous avons toujours réussi à trouver notre équilibre. Lorsque nous étions à Londres, lui faisait l’aller-retour de Paris en Eurostar chaque semaine, c’était sportif! Mes enfants comprennent très bien que leur maman a besoin de se consacrerà son travail, pour eux, c’est normal. Leur père est plus présent en semaine, et quand je suis avec eux, je suis vraiment présente. Bien sûr, il m’arrive de me remettre en question, mais je ne pourrais pas être épanouie sans ce travail. Et je pense que les futures générations ne se poseront même plus la question.»

Christine Schraner Burgener, 53 ans, ambassadeur de Suisse à Berlin, mariée, 2 enfants

«Quand je suis entrée en stage au DFAE, en 1991, j’étais l’une des rares femmes actives dans la diplomatie. Lorsque j’ai appris l’existence d’une directive fédérale interdisant aux collaborateurs transférables de travailler à temps partiel, j’ai voulu la changer au nom de l’égalité hommes-femmes. J’ai obtenu l’accord du conseiller fédéral Flavio Cotti. En 1997, il a accepté que mon mari (Christoph Burgener, aujourd’hui ambassadeur conseiller du chef de l’Audit interne auprès du Secrétariat général du DFAE, ndlr) et moi partagions en job-sharing le poste de conseiller/ère d’ambassade à Dublin. Ce projet-pilote a montré que l’employeur était gagnant: il a deux personnes motivées pour un seul salaire… Et nous avons toujours travaillé beaucoup plus que 50% chacun!

Dans les premiers temps, nous avons eu besoin de clarifier les rôles au sein du foyer. Mon mari pensait qu’être à la maison ne signifiait que jouer avec les enfants – ce qu’il faisait remarquablement bien. Au bureau, nous avons séparé les dossiers et réparti les responsabilités par pays. Ce strict partage des compétences nous a permis de travailler de manière indépendante. Aujourd’hui au DFAE, d’autres couples travaillent en job-sharing. Mais il n’y a toujours pas assez de femmes cadres supérieures. Mon conseil à celles qui veulent combiner famille et emploi? Choisissez l’homme qui accepte de vous soutenir – et n’hésitez pas à accepter une offre pour une position supérieure. Seules les femmes doutent d’elles-mêmes.»

Je Suis une Femme Femina: le choix de Stéphanie Buchheim

Suite de notre série d’articles rédigés dans le cadre de notre opération #JeSuisuneFemmeFemina. Cette semaine, la suggestion de Stéphanie Buchheim.

«La double carrière est un défi pour les femmes autant que pour les hommes. A cela s’ajoute la recherche de l’équilibre entre vie de famille et vie professionnelle, d’autant plus lorsqu’on a des enfants. Au fil des événements que nous organisons au sein de la Women’s Business Society, j’ai constaté que la carrière se construisait de plus en plus en équipe, avec son partenaire, à l’écoute des désirs et besoins de chacun. Malheureusement, la société ne garantit pas encore le libre choix dans la gestion des doubles carrières. Elle sanctionne, par exemple, les femmes qui travaillent à temps partiel et juge négativement les hommes qui aimeraient réduire leur temps de travail. Ainsi, il me paraît essentiel que femmes et hommes joignent leurs efforts pour définir de nouveaux modèles de carrière et de vie de couple.»

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