Société
Garages: Des équipes féminines pour briser les stéréotypes
Le but des garages aux équipes 100% féminines? Mettre en confiance les clientes, et aussi casser les préjugés.
© ISTOCKPHOTO/MASTER1305Visualisez la scène: Maurice, un peu macho sur les bords (nous l’avons nommé ainsi arbitrairement), doit aller au garage pour faire réparer son auto, qui péclote. Il s’attend à voir son cher bolide analysé, ausculté, dépecé puis remonté par un team de men at work en salopette grise et aux muscles noircis par les heures de travail en atelier. Parce que les voitures, bon, c’est quand même une compétence de mecs, pense-t-il depuis toujours.
Mais là, c’est le cauchemar. Du moins pour lui: ce sont des femmes qui l’accueillent, des femmes qui l’écoutent, ce sont encore des femmes qui partent avec sa voiture et ce sont à nouveau des femmes qui la lui rendent en lui faisant tout le topo de ce qui a dû être changé. Encore plus étonnant, du moins, là aussi, pour lui: sa voiture est réparée et ronronne comme si elle sortait de la chaîne de fabrication. De la science-fiction? Pas forcément, car cette situation pourrait déjà arriver. On voit poindre cette année en Suisse un nouveau phénomène chez les concessionnaires et dans les garages: des équipes 100% féminines, autant dire un bouleversement dans un univers automobile qui a longtemps été le pré carré quasi exclusif des hommes et où les employées sont surtout visibles dans les postes d’accueil et de secrétariat.
Milieu automobile plus égalitaire
C’est notamment le cas du garage Audi AMAG à Bulle, qui, depuis juin dernier, a choisi de n’avoir que des collaboratrices de vente pour conseiller les clients et clientes, les orienter et parler des détails techniques.
«C’est un changement radical, puisque, auparavant, l’équipe était entièrement masculine, nous explique Robert Andonovski, directeur du site. J’ai mis en place ce projet car j’avais envie de casser les stéréotypes sur l’automobile comme étant un monde de mecs.
La société évolue heureusement dans le bon sens sur la question de l’égalité et il ne faudrait plus que des personnes se disent qu’elles n’ont pas leur place dans tel ou tel domaine à cause de leur genre. Nous ne sommes plus dans les années 80, le milieu automobile doit lui aussi s’ouvrir.»
Quelques dizaines de kilomètres plus au nord, c’est le garage Autonova de Payerne qui s’apprête à inaugurer un concept un peu différent, mais quand même similaire dans l’esprit: la possibilité, pour les clients et clientes, de bénéficier d’un service 100% féminin s’ils le souhaitent. De l’accueil à la réception, en passant par la vente, le conseil après-vente, la magasinerie et jusqu’aux postes de mécanos, il sera bientôt possible de n’avoir affaire qu’à des femmes.
Un projet proposé et porté par Rachel Fasel, secrétaire de direction, qui a imaginé cette approche après avoir constaté que les clientes ont souvent l’impression d’entrer dans un monde hostile lorsqu’elles pénètrent dans un garage: «Je réponds souvent au téléphone et j’ai beaucoup de discussions avec des femmes qui disent vouloir regarder avec un homme de leur entourage, leur père, leur partenaire, leur frère, avant de prendre telle décision, comme si elles n’avaient pas assez confiance en elles dès qu’il s’agit d’automobile.
J’ai aussi remarqué que les femmes préfèrent souvent parler à une femme quand elles savent qu’une interlocutrice est présente, comme si elles se sentaient davantage à l’aise et avaient moins l’impression qu’elles allaient se faire un peu avoir.
Un jour, tracassée par tout ça, j’ai commencé à chercher sur internet si des choses concrètes existaient autour de cette problématique, et je suis tombée sur le site d’un garage entièrement féminin en France. J’ai trouvé ça génial!»
De femmes à femmes
Cet exemple, c’est celui d’Only Girls, projet pionnier lancé dans la région de Montpellier en 2008, puis près de Paris six ans plus tard. Le concept? Des garages aux équipes 100% féminines, qui vont même jusqu’à proposer un salon d’onglerie pour patienter. «Only Girls crée l’innovation en donnant aux femmes l’envie d’être l’unique maîtresse de leur véhicule, relate leur site web. Nous sommes un garage de réparation automobile dédié aux femmes. Dont le but est de proposer un service adapté et transparent, dans un cadre élégant, chaleureux et féminin.»
Aux États-Unis, dans la banlieue de Philadelphie, un garage lui aussi entièrement féminin a vu le jour en 2013. Depuis peu, un salon de beauté s’y est installé pour accueillir les clientes. Sa créatrice, Patricia Banks, ingénieure et mécanicienne, a ainsi voulu créer Girls Auto Clinic en réaction au sentiment fréquent d’être traitée comme un pigeon en tant que femme.
«J’avais toujours l’impression qu’il fallait qu’un homme vienne avec moi chez le mécanicien, sinon, on m’arnaquait», explique-t-elle dans une interview relayée par le journal La Dépêche. «Je vois en effet que les clientes sont souvent rassurées d’être en contact avec des femmes chez les concessionnaires et dans les garages», note de son côté Robert Andonovski.
Près de 90% des clientes amenant leur voiture à réparer confient d’ailleurs avoir le sentiment qu’on les regarde comme des personnes plus faciles à entourlouper, selon un sondage cité par le journal Le Télégramme en 2021.
Et 70% pensent que cette attitude envers elles disparaît dès lors qu’elles se présentent accompagnées d’un homme. Ont-elles vraiment raison de se montrer méfiantes dès qu’elles s’aventurent chez le garagiste?
Tous les professionnels du milieu vous assureront que les femmes ne sont pas traitées différemment des hommes et que le personnel n’essaie pas de leur facturer des travaux inutiles. La plupart sont probablement de bonne foi, et de plus en plus mènent une politique se voulant transparente en la matière: caméras filmant les opérations en atelier, appel au client ou à la cliente pour confirmation avant de procéder à des travaux non spécifiés au départ, du moment qu’ils s’avèrent utiles. Reste que certains doivent continuer à parier sur l’hypothèse d’une moindre connaissance des femmes en matière de mécanique automobile, comme le prouvent plusieurs études.
Condescendants envers les clientes
En 2023, une enquête menée par le média belge DHnet a notamment permis de révéler cette différence de traitement. En envoyant un homme puis une femme faire réparer la même voiture pour les mêmes problèmes, les auteurs se sont aperçus que le véhicule amené par la conductrice ressortait en moyenne avec une facture 5% plus salée que lorsqu’il était conduit par un homme. Un phénomène similaire était constaté selon que ce soit un homme ou une femme qui appelait le garage au téléphone pour demander un devis.
De l’avis des personnes ayant initié les services féminins, avoir affaire à des conseillères et des mécaniciennes serait donc un facteur positif pour faire diminuer la peur d’être prise de haut dans un secteur encore majoritairement masculin. Les chiffres en la matière le montrent: selon l’Office fédéral de la statistique, on compte par exemple 25’000 mécaniciens pour seulement 1000 mécaniciennes en Suisse.
Au-delà de la volonté d’améliorer l’expérience des clientes, ces projets d’équipes 100% féminines visent également à changer l’image d’un domaine qui serait par défaut masculin. «Les clients hommes sont souvent surpris positivement par leur expérience, certains rapportent qu’ils ne pensaient pas pouvoir parler un jour avec une femme de données très techniques, témoigne Robert Andonovski. C’est très satisfaisant de contribuer à faire tomber les clichés.» L’envie de combattre les préjugés était aussi au cœur de la démarche de Rachel Fasel lorsqu’elle a voulu lancer un service 100% féminin chez Autonova.
«Les réactions de certains hommes me font parfois dresser les cheveux sur la tête, on en voit régulièrement qui, d’abord orientés vers notre mécanicienne, reviennent vers moi en insistant pour parler à un vrai mécanicien, raconte-t-elle.
D’autres patientent dans un coin en attendant qu’un mécanicien se présente enfin, alors qu’une mécanicienne est disponible à son bureau juste devant eux. Si la plupart se laissent finalement convaincre de lui faire confiance, j’ai déjà eu des clients qui ont catégoriquement refusé qu’une femme s’occupe de leur véhicule… Ce service 100% féminin, c’est aussi une manière de bousculer ces croyances d’une autre époque.»
Part de femmes dans la branche automobile en augmentation
S’il est encore trop tôt pour affirmer que ces initiatives permettront de donner envie aux jeunes filles de se lancer dans des filières autour de l’automobile, l’espoir est permis. Hervé Malige, le fondateur d’Only Girls, a notamment constaté une émulation grâce à ses garages aux équipes féminines. «Mon métier, c’est de former des mécaniciens dans notre centre de Vendargues. […] Cette expérience nous a permis de faire voler en éclats un mur, celui des préjugés. Depuis, le nombre de filles inscrites dans des filières de mécanique a augmenté de 8% dans l’académie», se félicitait-il dans la presse. En attendant, les choses sont sur la bonne voie.
«La part de femmes dans la branche automobile ne cesse d’augmenter. Ces chiffres nous réjouissent, mais il est clair que le potentiel d’augmentation de la part de femmes reste important, notamment en ce qui concerne la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, qui touche également la branche automobile», informe Yves Schott, responsable de la communication pour l’UPSA, l’Union des professionnels suisses de l’automobile. On surveillera donc de près les effectifs dans les filières concernées en Suisse.
