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«Becoming Giulia»: Danse et maternité dans un premier rôle

Becoming giulia danse et maternite dans un premier role

Giulia Tonelli, ici avec la nouvelle directrice du ballet et chorégraphe responsable du Ballet de Zurich, Cathy Marston.

© FIRST HAND FILMS

La danse et le cinéma ont toujours été essentiels à la vie de Laura Kaehr. À 13 ans, elle a quitté son Tessin natal pour étudier dans une académie de danse et de musique à Cannes. Elle y a obtenu son baccalauréat. «Je suis de Locarno, j’ai grandi avec le Festival du film, le cinéma a toujours fait partie de mon univers artistique.» C’est donc tout naturellement qu’elle s’est inscrite à la Zurich University of the Arts afin de devenir réalisatrice. Dès lundi 4 septembre 2023, elle présente en avant-première Becoming Giulia, son premier long métrage, au public romand.

FEMINA Comment vous est venue l’idée de Becoming Giulia?
Laura Kaehr
C’est Giulia Tonelli elle-même qui m’a inspirée. Je l’ai vue danser sur scène et je lui ai écrit sur Facebook en lui disant: «Félicitations! Tu es l’artiste la plus intéressante qu’il y a à Zurich, je vais voir quand tu fais d’autres spectacles, venir te voir et suivre un peu ta carrière. En tout cas, bravo.» Elle m’avait répondu: «Merci. Qu’est-ce que tu fais? Prenons un café.» Et on a commencé à se voir une fois par an.

Comme elle savait que j’étais une ex-danseuse devenue réalisatrice, nous avions des échanges artistiques très intéressants, de femme à femme. Et je me rappelle en particulier de l’une de nos rencontres, en janvier 2019, où elle m’a lancé: «Ah, oui, au fait, je viens d’avoir un enfant.» Ça été un choc car je ne l’avais pas vue enceinte. «Qu’est-ce qui va se passer? se disait-elle. Vont-ils me laisser continuer ma carrière?» J’ai partagé ses craintes. Je connaissais cette peur, je l’avais aussi ressentie dans le monde de la danse.

«Dans la société, le fait qu’une femme ait un bébé, j’ai l’impression que c’est toujours une excuse pour la mettre de côté. Cette histoire aurait pu se dérouler dans n’importe quelle autre sphère que la danse.»

J’étais dans une période où j’essayais de conjuguer vie familiale et carrière. J’ai dit à Giulia: «J’aimerais te suivre dans ton quotidien. Je prends une caméra. Je ne sais pas ce qui va se passer, si on va en faire un film, mais je trouve que ce que tu vis en ce moment, c’est super important et, surtout, beaucoup de femmes le vivent.» Elle a très bien compris d’où ça venait, ma vision et mon désir, et elle était complètement d’accord. À cet instant, on a su toutes les deux que c’était quelque chose d’important à faire.

Dans l’univers de la danse, que veut dire tomber enceinte et devenir mère?
Comme le dit Giulia dans le film, il y a vingt ans, ce n’était même pas envisageable pour une danseuse de tomber enceinte. Le monde de la danse vient d’une époque où les femmes ne pouvaient pas imaginer danser et avoir des enfants. Le célèbre chorégraphe George Balanchine ne permettait pas à ses danseuses d’avoir des copains ou d’être mariées. Je crois que cet art a vraiment une vision arriérée des femmes: on ne les laisse pas grandir. Leurs corps doivent être très minces, comme ceux des adolescentes. Autant de règles établies par des hommes.

Quand j’ai arrêté la danse, en 2008, il n’y avait pas beaucoup de danseuses qui avaient des familles. «Ça a évolué, m’a dit Giulia. De plus en plus de danseuses se montrent avec un ventre.» Les choses changent, mais pour ce qui est de l’après-bébé, il y a encore du travail. Dans la pratique, les compagnies de danse ne font pas grand-chose pour aider les danseuses qui ont une famille. Les répétitions sont toujours très longues, le week-end, et tard le soir.

«Les institutions sont loin d’adapter les horaires. C’est ce qu’on voit dans le film, on vit ce stress où Giulia doit courir à droite, à gauche. Personne ne se rend compte que ce n’est pas juste.»
Laura Kaehr a terminé ses études de réalisatrice en 2014 à la Haute École d'art de Zurich. © FIRST HAND FILMS

Ce film transmet-il un message d’espoir?
Ce film parle d’espoir, complètement. Ce message est apporté par l’arrivée de Cathy Marston – nouvelle directrice du ballet et chorégraphe responsable du Ballet de Zurich – à partir de la saison 2023-2024. Si on intègre plus de femmes dans des rôles à responsabilité, qui plus est des femmes qui ont des enfants, alors il y aura peut-être un espoir de faire progresser le monde de la danse.

Souvent, les gens de ce milieu ne pensent même pas aux contraintes d’une maman. Si ça ne se passe pas dans ta vie, tu n’y penses pas, c’est comme ça. Cathy Marston a deux enfants. Elle sait ce que veut dire jongler entre une carrière et des enfants. Giulia s’est sentie comprise par cette femme qui est devenue sa directrice.

Giulia a donné naissance à Jacopo, son premier enfant, en décembre 2018. Elle est devenue maman pour la seconde fois en septembre 2022 avec l'arrivée de Leon. © FIRST HAND FILMS

Vous avez déjà présenté votre film en Suisse alémanique et au Tessin. Comment a-t-il été accueilli?
C’est un grand succès, c’est vraiment incroyable. Le public des deux régions l’a beaucoup, beaucoup, beaucoup aimé. Il y a énormément d’émotion, chez les femmes et chez les hommes. Ce qui est génial, c’est que ça parle aux deux de ce droit qu’on a tous d’avoir de l’ambition. Tous me disent qu’ils et elles se reconnaissent en Giulia. Ça me touche toujours énormément quand les gens arrivent en larmes vers moi. J’ai l’impression de faire un voyage avec eux.

Rencontrer mon public me conforte dans l’idée que j’ai trouvé une façon de communiquer avec lui et me donne le courage de continuer. C’est beau et ça vaut le coup de poursuivre ce dialogue. Quelque part, c’est un dialogue que j’ai lancé en tant que jeune danseuse il y a trente ans, alors que je performais devant ce même public.

Vous présentez votre film pour la première fois en Suisse romande cette semaine. Que ressentez-vous?
C’est toujours un mélange d’émotions. On ne peut jamais vraiment se préparer. Je suis très nerveuse! Je me demande comment mon film va être reçu, si le public va aimer. Ce n’est pas parce que c’est mon premier film, je pense que ce genre de sensation est inévitable. J’ai un peu l’impression de m’ouvrir intimement à plein de gens. Ce n’est pas anodin.

Certains jours de tournage ont-ils été plus difficiles que d’autres?
Ça n’a pas toujours été facile pour Giulia et moi. On a dû aller tellement profond, et pour y parvenir, il faut être très proche de la personne, qu’elle devienne comme un membre de la famille. Il fallait qu’on ait une confiance aveugle l’une envers l’autre. Mais ça a porté ses fruits. Et tout ce qui se passait dans sa vie, je ne pouvais pas le prévoir. Mais c’est ça, la vie de documentariste. Les choses qui ne se déroulent pas comme on voudrait, bien au contraire. J’étais surprise quand elles se passaient comme je les avais anticipées. Là, je m’inquiétais. Il faut savoir gérer son tournage de façon cool parce que sinon, on ne tient pas quatre ans (ndlr: la durée du tournage de Becoming Giulia).

Un moment vous a-t-il marquée pendant la création de Becoming Giulia?
Quand j’ai vu Giulia dans le premier rôle de The Cellist, le ballet de Cathy Marston, à l’Opéra de Zurich, le 29 avril dernier. À la fin du spectacle, Giulia est venue saluer. Je me suis levée, j’étais la seule debout à ce moment-là. J’ai applaudi, j’ai crié son nom. J’avais l’impression d’être seule avec elle, même si 2000 personnes nous entouraient. Je pleurais. Tous les directeurs de l’Opéra étaient juste à ma droite et me regardaient. Cela n'avait pas d'importance.

«C’était un moment si personnel à un moment si public… J’avais l’impression que cet opéra nous appartenait et, qu’avec cette histoire, on avait réussi à faire quelque chose d’incroyable.»

Becoming Giulia, en salles le 6 septembre 2023. Retrouvez cet article dans Le Matin Dimanche du 3 septembre 2023.

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