santé
La Dre Aude Fauvel œuvre à visibiliser le rôle des femmes médecins
Femina Alors qu’elle est parmi les derniers pays occidentaux à avoir donné le droit de vote aux femmes, la Suisse était le premier pays à ouvrir les portes de ses universités aux femmes dès les années 1860. Un paradoxe qui vous étonne?
Dre Aude Fauvel La Suisse était le seul pays qui permettait aux femmes de suivre les mêmes études que les hommes, avec exactement les mêmes conditions de formation. Avant la Première Guerre mondiale, la Suisse se fait une réputation au niveau universitaire de pays ouvert aux idées avant-gardistes, aux étrangers et aux femmes. Exactement le contraire de ce que font les autres pays.
Les Suisses tiennent bon et se vantent même de leur promotion des femmes. Ce qui est assez fou quand on sait que ce sera ensuite parmi les derniers pays à leur donner le droit de vote.
Comment expliquer que plus de femmes que d’hommes étaient inscrites en faculté de médecine?
En 1906, toutes les Facultés médicales suisses dépassent la parité, on est même à plus de 70% d’inscrites à Genève. A titre de comparaison, en France voisine, le second pays à avoir accepté les étudiantes, le pourcentage n’est alors que de 20%.
Le monde entier vient s’y former, que ce soit les Américaines, les Allemandes ou les Britanniques.
Aujourd’hui, les femmes sont les oubliées de la recherche médicale. Pourtant, dans l’histoire, les femmes médecins ont contribué à l’innovation. Que s’est-il passé?
C’est une question qui m’interroge beaucoup car avant 1914, on dit de la Suisse - avec la France - qu’elle est le pays du «féminisme médical». C’est le terme de l’époque. César Roux ou Auguste Forel, pour ne citer que les plus fameux, se disaient féministes. Tout ça a été complètement oublié. J’aimerais comprendre dans ce projet pourquoi cette histoire est passée à la trappe.
Avez-vous des pistes à ce stade?
Les historiens qui ont travaillé sur ce sujet y sont surtout venus car ils s’intéressaient aux premières femmes médecins d’autres pays qui sont passées par la Suisse. Notamment les Américaines et les Russes.
Pourquoi? Déjà parce qu’il est difficile de suivre le parcours de ces femmes, elles voyageaient beaucoup, elles étaient polyglottes, elles changeaient de noms… Ensuite, en Suisse et en France l’histoire de la médecine a longtemps été écrite par des hommes, qui se sont peut-être moins intéressés aux femmes. Même si le Prof. César Roux, par exemple, soulignait déjà à son époque qu’il fallait valoriser la contribution des femmes.
Pourtant, elles ne sont souvent mentionnées que dans les notes de bas de page…
Oui. A l’instar d’une Noëlle Chomé qui n’est mentionnée qu’en tant «qu’assistante de Jules Gonin», elles apparaissent souvent en note de bas de pages comme «assistantes de», «épouses de» alors qu’elles ont vraiment innové dans des domaines comme la chirurgie de l’œil par exemple. Il s’agit pour nous de voir dans ces collectifs de femmes ce qu’elles ont apporté concrètement.
Qu’entendez-vous par collectifs de femmes?
Certaines femmes, dont Charlotte Olivier qui a un auditoire à son nom au CHUV, ont fait l’objet d’études. Mais ce ne sont que quelques femmes alors qu’il y en a plein d’autres. Et justement toutes les autres ont contribué à changer la médecine, c’est ce que nous souhaitons mettre en lumière en étudiant ces collectifs de femmes.
C’est à creuser car c’est une innovation médicale typiquement franco-suisse.
Pourquoi disparaissent-elles dans les archives?
Ce qui pourrait expliquer pourquoi on perd leur trace, c’est qu’elles se marient, changent de noms, on perd leur trace. Pendant longtemps aussi certaines institutions ont été réticentes à accueillir des archives laissées par des femmes. De plus, en Suisse, les gens pensent rarement à léguer leurs archives. J’en fais d’ailleurs un peu la promotion: j’invite les personnes qui ont eu une grand-mère, une arrière-grand-mère qui aurait laissé des documents dans leur grenier à me contacter.
La visibilisation de ces femmes est donc au cœur de votre projet?
Oui. Le but du projet est de visibiliser les femmes dans l’histoire. Et l’enjeu n’est pas seulement historique, il est aussi actuel.
Or aujourd’hui en médecine ça reste très genré: il faut le dire, la Suisse n’est plus tellement en avance sur ce point. Les femmes continuent d’aller majoritairement en pédiatrie ou en gynécologie, tandis qu’elles hésitent à faire chirurgie. Une des ambitions du projet c’est de participer à changer le regard sur ce que les femmes ont fait et sur ce qu’elles peuvent faire pour la médecine, y compris aujourd’hui.
*«La médecine féminine. Une histoire des premières femmes médecins et de leur contribution à l’innovation médicale entre la Suisse francophone et la France, 1867-1939» (abrégé: MEDIF)
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