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Fête des mères: Doit-on encore célébrer cette journée?
Pour ou contre la Fête des mères? Voilà une drôle de question qui se pose pourtant dans une société qui mise sur le décloisonnement des rôles au sein des foyers et dans les entreprises, sur l’égalité entre les sexes et sur l’abolition des tâches strictement réservées aux mères. D’autant qu’en 2024, rares sont les femmes en Suisse à n’endosser que le rôle de mère de famille. Elles sont aussi actives professionnellement et pratiquent des activités de loisirs hors de la sphère familiale. En d’autres termes, elles ne sont plus reléguées uniquement derrière les fourneaux ou l’aspirateur. Et pourtant, célébrer les mères reste une tradition importante, même si elle prend peut-être des formes plus variées que le traditionnel repas du dimanche au restaurant, bouquet de fleurs en sus.
Pas de fête des «gens qu’on aime»
En avril 2024, une école primaire de Lully (GE), qui souhaitait remplacer la Fête des mères par celle des «gens qu’on aime», a dû faire machine arrière tant les réactions négatives ont été fortes. Indéboulonnable donc, cette célébration printanière? «Dans la société actuelle, la question de l’égalité des genres est très présente.»
«Visiblement, cette tradition du mois de mai, pour les mères, reste prioritaire», explique Joëlle Darwiche, professeure à l’Institut de psychologie de l’Université de Lausanne et spécialiste du couple et de la famille.
Si importante que les différentes maîtresses d’école interrogées à ce sujet ne songent pas une seconde à abandonner le traditionnel bricolage pour les mamans, accompagné de la poésie de circonstance. «Les enfants en bas âge ne comprennent pas le déséquilibre qu’une telle fête véhicule, ils se réjouissent simplement de pouvoir faire plaisir à leur maman. Même si, en tant que parent, on ne cautionne pas cette célébration, il ne faut pas brimer les plus petit-e-s. À l’instar de la croyance en l’existence du Père Noël, l’adulte ne va pas décevoir l’enfant qui y croit», poursuit la spécialiste.
Difficile en effet d’expliquer à son bambin de 4 ans que maman n’apprécie pas de recevoir un bricolage qui renforce l’idée selon laquelle, c’est à elle et elle seule de s’occuper des enfants et des tâches ménagères! «Du point de vue des parents, la Fête des mères peut nous mettre dans une situation de double contrainte, continue Joëlle Darwiche. Si rien n’est fait au sein de la famille, cela équivaut à ne pas reconnaître le rôle de maman comme important pour les enfants. Si, au contraire, une célébration ou un cadeau sont prévus, cela risque de confirmer la femme dans son rôle de mère uniquement. Difficile de savoir comment faire pour bien faire!»
Comme arrêter de célébrer Noël?
Alors, faut-il marquer le coup ou pas? Comment trouver une attitude qui puisse à la fois montrer que les mamans sont importantes, sans pour autant dénigrer tout ce que ces femmes font, en plus de leur rôle éducatif et de pourvoyeuse de soins et des câlins? «Il n’est peut-être pas utile d’abolir cette tradition. Certaines familles sont plus traditionnelles que d’autres.»
«Rendre également plus visible la Fête des pères est positif pour montrer aux petits que les deux rôles sont importants», explique la professeure Darwiche.
Pour Isabelle*, doyenne dans une école de l’Ouest lausannois, cette fête n’a pas la même importance selon le niveau socio-économique dans lequel les mères évoluent. «Dans le collège où je travaille, il y a beaucoup de mamans qui élèvent seules leurs enfants. Parfois, le père n’est pas présent du tout. Pour elles, la Fête des mères est certainement bien plus importante que pour une femme d’un niveau économique supérieur et qui ne porte pas tout, toute seule, sur ses épaules. Pour mes élèves et leurs mamans, arrêter de célébrer la Fête des mères, ça équivaut à arrêter Noël!» conclut la doyenne.
Le bricolage scolaire pour maman et papa
Si le bricolage de la Fête des mères fait partie des activités qui rythment l’année scolaire depuis des décennies, celui de la Fête des pères (célébrée en juin en Suisse) est – depuis quelques années – également à l’agenda. «Mes élèves sont surexcités lorsque l’on commence à réaliser le cadeau de la Fête des mères. Certains ont de la peine à garder le secret ou à patienter jusqu’au dimanche pour l’offrir à leur maman», explique Louise*, enseignante en 1re et 2e H dans une école de l’Est lausannois. Depuis plus de vingt ans, cette maîtresse et mère de famille rivalise d’ingéniosité pour fabriquer quelque chose de joli «que la maman ne s’empressera pas de cacher dans un carton», ironise-t-elle.
Véronique* enseigne aux petit-e-s dans une école valaisanne, depuis plus de quarante ans. Elle a toujours célébré les mamans avec un bricolage, une poésie et une chanson.
La composition des familles varie désormais fortement (parent solo, couple homosexuel, famille recomposée), les maîtresses s’adaptent. «J’avais des jumelles dans ma classe dont la mère était décédée. J’ai donc proposé qu’elles réalisent un bricolage pour leurs grands-mères», précise Véronique.
Même constat pour Louise: «Aujourd’hui, la famille, ce n’est plus un papa, une maman et les enfants. Lors de situations particulières, je m’adapte et je discute avec le parent et l’enfant pour qu’il ait du plaisir à offrir un cadeau à une personne qui compte pour lui.»
Afin de ne pas faire de jaloux et de simplifier l’organisation, Béatrice*, maîtresse à Fribourg, prépare avec ses élèves deux cadeaux, un pour maman et un pour papa. «Je préfère procéder ainsi car certaines familles ne savent pas que la Fête des pères existe. J’explique aux parents qu’elle tombe en juin et je précise qu’ils recevront un cadeau chacun lors de celle des mères en mai. Libre à eux d’attendre juin pour ouvrir le leur.» Au bricolage s’ajoutent également une poésie et une carte pour chaque parent. «Pour les enfants dont les pères sont absents, je leur demande s’ils ont envie de donner le cadeau à quelqu’un d’autre. Un de mes élèves a choisi de donner les deux bricolages à sa maman qui l’élève seule en me disant: «Parce qu’elle prend bien soin de moi!» Pour conclure, Béatrice tient à préciser que le collier de nouilles a fait long feu: «En trente-cinq ans de carrière, je n’ai jamais proposé à mes enfants d’en réaliser un.» De quoi rassurer les fashionistas!
D'où vient la Fête des mères?
Difficile de trouver des informations précises sur l’origine de cette célébration de printemps. Elle serait liée à l’Américaine Anna Jarvis, qui, au début du XXe siècle, s’est démenée pour créer une Journée du souvenir dédiée aux mères. Éplorée par le décès de la sienne, elle a voulu une fête pour penser à toutes les mères, vivantes ou pas. Dès les premières éditions, les fleurs étaient de la partie car Anna Jarvis a suggéré qu’un œillet rouge soit porté à la boutonnière des hommes ayant encore leur mère ou la même fleur blanche si la maman n’était plus de ce monde.
Dès 1914, la fête se répand en Europe et devient de plus en plus populaire grâce notamment aux politiques natalistes de l’entre-deux-guerres. L’arrivée des nazis au pouvoir, avec l’idéologie qui pousse les femmes à enfanter de futurs soldats, donne une aura et une célébrité grandissante à leur version de cette fête. Suisse, Allemagne, Canada, Italie, Belgique et États-Unis ont bloqué le 2e dimanche de mai (le mois de Marie) pour fêter leurs mères. La France a opté pour le dernier. L’Espagne pour le premier de ce joli mois.
Témoignages
Marie-Claire Fagioli, 77 ans, mère d’une fille de 55 ans et d’une autre de 42 ans
Marie-Claire Fagioli se souvient des fêtes familiales incontournables: au même titre que Noël, Pâques, les anniversaires… «C’était une tradition familiale importante, à laquelle ma mère tenait. D’ailleurs, jusqu’à mes 47 ans, c’est moi qui organisais chaque année une rencontre en famille pour fêter ma maman. Après son décès, j’ai cessé de prendre l’initiative et plus rien n’a été fait depuis.»
«J’ai même tenté de réunir la famille, une année ou deux, sans déclencher suffisamment d’enthousiasme pour que la tradition renaisse.» Pas de sortie au restaurant ni de bouquet de fleurs pour Marie-Claire Fagioli. De son propre aveu, ni elle ni ses filles ne sont attachées aux traditions. «Elles m’envoient juste un SMS ou pas… En revanche, depuis quarante-deux ans mon mari y pense systématiquement et il ne manque pas de me remercier par un petit mot. Cela me touche énormément.»
Nuria Gazquez, 30 ans, mère d’une fille de 5 ans
D’origine espagnole, Nuria Gazquez ne célèbre pas la Fête des mères une fois, mais bien deux. Une fois le premier dimanche de mai (date fixée en Espagne) et une autre fois la semaine suivante. «Quand j’étais petite, mon père ramenait toujours des roses à ma mère à l’occasion de cette fête. Je trouve important que l’on célèbre les mères. Qu’une femme puisse donner la vie, c’est si beau que ça mérite d’être fêté.»
La jeune maman, séparée du père de son enfant, profite de cette journée pour passer du temps avec sa fille, faire des activités ensemble et manger dehors. «Grâce à l’école, je reçois toujours quelque chose de sa part. Parfois, c’est sa marraine qui se charge d’acheter un petit cadeau pour moi. Ces attentions sont précieuses car elles rappellent aux mères que leur enfant pense à elle.» Même lorsque sa petite de 5 ans ne reviendra plus avec un bricolage scolaire, Nuria est sûre qu’elles continueront à célébrer cette journée, tout comme elle continue de souhaiter une bonne Fête des mères à la sienne.
Simone Baudat, 92 ans, mère d’une fille de 60 ans
Edit du 14 mai 2024: Simone Baudat est décédée juste avant le dimanche de la Fête des mères. Nous sommes honoré-e-s d’avoir pu partager son ultime témoignage. Nous présentons nos sincères condoléances à sa fille unique, Laurence Torriani Rochat ainsi qu’à toute sa famille.
La nonagénaire se souvient des Fêtes des mères qu’elle organisait, avec sa sœur, pour leur maman et pour elles-mêmes… «Nous nous réunissions chez l’une ou chez l’autre et nous nous mettions les trois aux fourneaux, pendant que les hommes prenaient l’apéro au salon. Dans certaines familles, cela n’a pas beaucoup changé», ironise Simone Baudat. Pour cette arrière-grand-mère, cette célébration est un moment convivial important. «Les mamans méritent bien une petite fête. Il est vrai cependant que les choses ont changé et que désormais, les papas s’occupent tout autant de leurs enfants que les mères. Il est donc normal qu’ils aient aussi leur propre fête.»
Cette année, le repas du 12 mai est particulièrement important car il devrait réunir trois générations de mamans. «Mon unique petit-fils vient d’être papa pour la première fois. J’espère que sa compagne et lui seront présents ce midi avec le bébé. Comme mon gendre adore cuisiner, c’est souvent lui qui prépare le repas de la Fête des mères. Je reçois également toujours des fleurs. Quand ma fille était petite, elle me rapportait des bricolages de l’école que j’ai gardés pendant de nombreuses années.»
Virginie Diserens, 48 ans, mère d’une fille de 14 ans
Quand Virginie Diserens était petite, jusqu’à ses 11 ans, sa mère ne travaillait pas. «Le jour de la Fête des mères, notre père faisait tout pour que notre maman ait un jour de repos. Elle n’avait rien le droit de faire, nous en profitions pour lui donner congé des tâches du quotidien et pour la chouchouter.»
La quadragénaire n’y attache aucune importance. «Désormais, on fait une fête de tout: des voisins, des amis, etc. Ce n’est pas lors d’une seule journée qu’un enfant peut prouver son affection pour sa mère. Le plus beau cadeau que ma fille puisse me faire, c’est de s’épanouir, de trouver quelque chose qui la passionne tout en faisant preuve de gratitude et de respect.» Virginie se souvient des premiers bricolages scolaires fabriqués par sa fille, alors petite, pour la Fête des mères. «Elle était tellement fière que je me voyais mal lui expliquer que cette journée n’était pas importante pour moi. J’y attachais de l’importance uniquement en raison du plaisir qu’elle avait eu à me fabriquer un cadeau. Aujourd’hui, nous ne faisons rien de spécial ce dimanche-là.»
*Noms connus de la rédaction
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