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Estime de soi, désir, orgasme... La «première fois» nous façonne

Estime de soi desir orgasme nous faconne

Selon une enquête réalisée en 2020, seulement 5% des filles ont atteint l’orgasme lors de leur premier rapport, contre 70% des garçons.

© LAURENCE MONNERET/GETTY IMAGES

Le premier rapport sexuel? On l’imaginait comme un grand film hollywoodien riche en sensations fortes. Mais dans la réalité, souvent, on découvre que c’est plutôt un nanar au scénario bâclé et interprété par des acteurs à la ramasse, qu’on préfère un peu oublier après l’avoir vu. Pourtant, même si la toute toute première fois – comme chantait Jeanne Mas dans les années 80 – figure rarement dans notre best of personnel des moments passés sous la couette, elle pourrait jouer un rôle beaucoup plus important qu’on le pense. En particulier pour les femmes. Dans des travaux publiés par le Journal of Sex Research en janvier 2022, des chercheurs canadiens avancent que les conditions dans lesquelles s’est déroulée la première expérience d’une jeune fille peuvent avoir une influence sur la qualité de toute sa vie sexuelle future.

En analysant les parcours de près de 900 personnes, les scientifiques ont ainsi pu constater que les femmes ayant associé ce moment à des émotions et des ressentis négatifs démontraient presque toutes un désir plus faible que les autres une fois devenues adultes. Chez les hommes, en revanche, aucune corrélation de ce type n’a été relevée. Cette fameuse première fois aurait-elle donc un pouvoir si déterminant, même des années, des décennies plus tard? «Dans sa manière et ses modalités, elle peut parfois conditionner de façon importante la vie sexuelle féminine», reconnaît Philippe Brenot, psychiatre, anthropologue à l’Université Paris-Descartes et thérapeute de couple.

Finalement assez logique, car les premières fois participent à toute évolution en tant qu’étapes fortes d’apprentissage, confirme la psychiatre et psychothérapeute Alessandra Duc Marwood, médecin adjointe au centre de consultation Les Boréales du CHUV: «C’est quelque chose qui nous renvoie à nos valeurs, à notre estime de soi, et si l’on en revient avec le sentiment d’avoir échoué, il faudra un peu de temps pour s’en remettre.

S’il nous arrive une expérience désagréable lors de notre premier voyage à l’étranger, on ne voudra peut-être pas repartir tout de suite. Avec les premières relations sexuelles, c’est un peu pareil.»

D’ailleurs, si dans le domaine de la sexualité, l’impact des expériences passées est encore plus significatif chez les femmes que chez les hommes, c’est souvent, justement, parce que le voyage initial n’a pas toujours été très convaincant.

En attente d’intensité

Côté jouissance, par exemple, il faudra repasser. Selon une enquête réalisée en 2020 par Les Nanas d’Paname et Terpan Prévention, seulement 5% des filles ont atteint l’orgasme lors de leur premier rapport, contre 70% des garçons. Parmi les causes de cette inégalité? Le stress, des douleurs, mais également un partenaire trop pressé ou trop brusque. «Mon copain et moi avions quinze ans quand on a voulu faire l’amour pour la première fois, se souvient Carla. On était novices tous les deux. Même si les conditions étaient tranquilles et sécurisantes, avec du temps devant nous, ça n’a pas été grandiose. Il a assez bien réussi à me pénétrer, mais son excitation était telle qu’il a joui en même pas deux minutes. Il a ensuite essayé de me masturber pour poursuivre notre rapport, mais ses gestes étaient encore trop inexpérimentés pour espérer m’envoyer au nirvana à mon tour.»

À en croire les auteurs de l’étude publiée dans le Journal of Sex Research, l’absence de jouissance lors du premier rapport serait même le facteur principal expliquant une influence négative sur la libido des années après.

«La première fois est souvent idéalisée, censée être intense, un grand moment de partage, note Philippe Brenot. Pourtant, elle génère très peu de jouissance féminine.

Il y a le sentiment que ça n’a pas été très riche en plaisir alors que pour l’autre c’était bien. Cette asymétrie crée de la déception et peut générer de la culpabilité, de la honte. On estime ainsi qu’environ un tiers des femmes ont eu un début de sexualité pouvant être qualifié de problématique.» L’impossibilité de connaître l’orgasme lors du premier rapport n’est malheureusement pas l’unique paramètre pouvant impacter négativement la trajectoire sexuelle future. Il y a aussi l’idée que, pour nombre de filles, cet événement survient souvent plus tôt qu’elles l’auraient véritablement souhaité.

«Les jeunes femmes sont plus susceptibles que les jeunes hommes d’être sous la pression de leurs partenaires pour avoir des relations sexuelles», soulignait la chercheuse britannique Melissa Palmer dans une étude parue en 2019. Les chiffres mis en avant étaient plutôt éloquents à ce sujet: les femmes interrogées étaient deux fois plus nombreuses que leurs homologues masculins à déclarer que leur première fois s’était déroulée plus tôt qu’elles l’auraient voulu.

Dans l’article Le premier rapport sexuel. Scénario idéal et réalités vécues, signé par les sociologues Didier Le Gall et Charlotte Le Van en 2011, on remarque d’ailleurs que l’une des conditions primordiales pour un passage à l’acte pleinement désiré chez les jeunes filles est le fait de se sentir en confiance et prête pour ce moment. Une certaine insistance du partenaire (les garçons étant généralement demandeurs plus tôt) ou l’effet d’une pression du milieu social peuvent donc empêcher d’y parvenir.

«S’il y a à cet instant une adhésion cognitive complète, c’est-à-dire à la fois un plaisir émotionnel, physique et l’envie sincère de ce moment, il y aura effectivement plus de chances d’avoir une sexualité positive par la suite, cependant si une femme a associé la relation sexuelle à la douleur ou à la contrainte lors des rapports récents, le désir réactif, celui qui naît d’un stimulus extérieur, sera peut-être rendu plus compliqué par la suite», observe Laurence Dispaux, sexologue et coauteure du livre Le désir de la femme (Éd. Planète Santé, 2022).

Patience et bienveillance

L’empressement du partenaire voire son absence de respect peuvent d’ailleurs donner lieu à un premier rapport pouvant clairement entrer dans le registre de l’agression sexuelle. Une situation pas si rare qu’on l’imagine.

«Pour 15 à 20% des femmes, la première relation sexuelle est vécue lors d’un abus, d’un viol ou d’un inceste, ce qui est un chiffre effrayant, pointe Philippe Brenot. L’entrée dans la sexualité peut ainsi être vraiment traumatique pour nombre d’entre elles, ce qui est quand même plus rare pour les hommes.»

On comprend dès lors pourquoi «une première fois difficile ou compliquée peut faire partie de ce que l’on appelle les attaques à la sexualité, comme peut l’être une agression, une maladie, une infidélité, une remarque blessante», explique Laurence Dispaux. Un partenaire véritablement respectueux, et patient si besoin, est l’un des facteurs les plus essentiels pour un rapport initial qui puisse être synonyme de vie sexuelle épanouie, aux yeux des sexologues.

Marie-Jo, 17 ans au moment de sa première fois, raconte avoir fait l’amour avec un garçon rencontré dans un camping lors de vacances dans le sud de la France. «Un soir, dans ma tente, nos baisers se sont progressivement transformés en caresses, puis nous avons décidé de le faire. Ce n’était pas mon petit copain, je ne le connaissais que depuis dix jours, mais il était sensible et à l’écoute, et puis nous avions le temps. Ce n’était pas si mal! Je ne l’ai jamais revu après cet été-là.» Est-il néanmoins préférable que cette première fois se déroule dans le cadre d’une relation amoureuse, comme le préfèrent souvent les parents?

«Le cadre affectif est important selon moi, car l’existence de sentiments réciproques permet de penser qu’il y aura de la bienveillance, argumente Philippe Brenot.

Évidemment, il n’est pas une garantie à 100%, pouvant aussi mener à un trop-plein émotionnel et lier sexualité à angoisses. Par ailleurs, on peut être victime de chantage affectif dans le cas d’un partenaire manipulateur et accepter le premier rapport par peur de lui déplaire ou de le perdre.» Mais certains ont besoin «d’être dans une sphère amoureuse sécurisante, d’autres sont plus aventuriers de nature», résume Alessandra Duc Marwood.

Si une première relation sexuelle est bien vécue, «c’est souvent parce qu’on avait les bonnes cartes en main, autrement dit un contexte favorable, une certaine connaissance préalable de son corps et un climat social véhiculant une vision positive des questions de sexualité, note Laurence Dispaux, car plus on craint cet instant, plus on se contracte, avec le risque d’avoir mal.» Une nuance quand même: une première expérience qui serait décevante voire traumatisante ne condamne pas automatiquement à une poursuite de la vie sexuelle sous le signe de l’insatisfaction et des émotions négatives. «Certes, la première fois est importante, mais pas définitive, tempère Alessandra Duc Marwood. Les expériences ultérieures, surtout si elles offrent de meilleures conditions, peuvent avoir une action correctrice.»

D’ailleurs, «la vraie première fois pour une femme est parfois quand elle peut se réapproprier sa sexualité et choisir de faire l’amour quand elle se sent bien et en a l’envie, remarque Laurence Dispaux. Il n’y a pas une, mais plusieurs premières fois.»

Et le premier «Je t’aime»?

De grands romantiques, les garçons? C’est du moins ce qu’on pourrait penser en découvrant une étude parue en janvier dernier dans le Journal of Social and Personal Relationships. Après avoir enquêté auprès de centaines de couples hétéros dans plusieurs pays du monde, dont la France, le Royaume-Uni, les USA, l’Australie, la Pologne et le Brésil, des psychologues ont constaté que les hommes étaient plus souvent les premiers à lâcher le fameux «I Love You» à leur partenaire.

Mais l’équipe de chercheurs reste sceptique, à la fois sur la sincérité et la réalité de ces déclarations. Contrairement aux femmes, ces messieurs auraient en effet davantage tendance à le dire avant la première relation sexuelle, ce qui laisse imaginer qu’ils attendraient quelque chose en retour. Autre biais possible: l’anecdote de l’homme ayant osé en premier ferait partie du récit que se fait le couple de sa propre histoire, afin de coller au stéréotype traditionnel du mâle déclarant sa flamme pour conquérir et rassurer sa belle.

La «première fois», concept avant tout culturel

«Même si ça peut paraître étrange, parmi les milliers de combinaisons humaines possibles, une seule est appelée «l’acte» avec un article défini», observait, non sans ironie, l’écrivaine et chroniqueuse Maïa Mazaurette dans un texte consacré à la première fois sur le site du Monde, en 2020. Bizarre, en effet, que notre conception commune du rapport sexuel se focalise sur un schéma incluant automatiquement, à un moment ou un autre, la pénétration d’un pénis dans un vagin. La première fois, bien sûr, n’y échappe pas. «Sa définition se limite généralement au coït vaginal, alors qu’avant cela, les partenaires ont souvent déjà eu des expériences sexuelles telles que fellations, masturbations, caresses, baisers, fait remarquer Laurence Dispaux. C’est une perception centrée sur le coït, or, en réalité, les premiers rapprochements, les moments d’excitation à deux, les autres contacts à connotation érotique, sont finalement eux aussi des premières fois.» La raison de cette vision réductrice remonte à des millénaires.

Car quand on pense à la première fois, il s’agit surtout de la première fois féminine, constate Philippe Brenot: «Cela ramène à l’idée de la virginité de la femme, qui était autrefois très importante, et qui le reste dans nombre de cultures. On parlait dans le passé du rituel du drap, censé être taché lors de la première pénétration par le mari et la rupture de l’hymen. Avant le milieu du XIXe siècle, d’ailleurs, les mariées n’avaient pas de robe blanche, mais rouge, pour symboliser le sang allant couler après l’union.» La fin d’une prétendue virginité, ayant trait à la pureté, à l’innocence pour les jeunes, et le début d’une ère valorisante pour les jeunes hommes, comme le rappelait le sexothérapeute Alain Héril dans Psychologies en 2021: «Pour le garçon, la première fois est presque le moment où il confirme qu’il est bien un homme. Il va souvent être très conquérant, un peu prédateur, malgré le stress.» Une définition très hétéronormée du début de la sexualité, phallocentrée, qui demeure le référentiel pour une majorité de jeunes gens. Une enquête de Santé Publique France, publiée en 2016, révélait ainsi que la première fois est presque toujours hétérosexuelle, quelle que soit l’orientation. 66% des hommes et 91% des femmes se déclarant homosexuels ont en effet eu leur premier rapport avec une personne du sexe opposé.


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