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Brigitte Violier se raconte dans un livre

Brigitte violier se raconte dans un livre

Aujourd’hui, Brigitte Violier se raconte dans un livre qui sonne comme une lettre à l’absent.

© BENNY TACHE

Sur la porte d’entrée de son nouveau refuge, trois célèbres macarons s’alignent sur une plaque émaillée rouge, comme sur la façade d’un grand restaurant. Lorsqu’on le remarque au moment de se dire au revoir, la maîtresse des lieux relève avec un sourire malicieux: «On en a bien bavé pour elles, alors, autant en profiter!»

Ces trois étoiles Michelin, autrefois apposées sur l’imposante porte du restaurant de l’Hôtel de Ville de Crissier, ont, pendant quatre ans, couronné l’immense talent de celui qui en fut le maître. À ses côtés durant cette ascension, son épouse Brigitte. Pour le meilleur, comme la reconnaissance des guides, du public ou encore le titre de Meilleur restaurant du monde. Et pour le pire, le suicide, forcément incompréhensible, une froide journée d’hiver, de celui à qui tout semblait réussir.

Lorsqu’on retrouve BV, initiales indissociables de celles de son mari, elle nous attend souriante sur le perron de sa jolie maison. Située loin de l’agitation de Crissier, elle est à l’image de sa propriétaire: lumineuse, élégante, zen. Ici ou là, quelques objets sont autant de réminiscences: les couteaux de Benoît, aimantés sur une planche à découper usée, une horloge griffée comme on en croise dans les cuisines des plus grandes tables. Dans un coin de la salle à manger, un énorme coussin attend celui qui ne viendra plus s’y coucher. MacQueen, le compagnon de chasse de Benoît et celui des jours difficiles de Brigitte, est parti au mois de mai dernier flairer la bécasse au paradis des chiens.

Pour apprivoiser l’absence, quelle qu’elle soit, elle le sait: il faut laisser le temps au temps. Épouse du célèbre chef pendant douze ans, compagne de vie pendant presque vingt, elle aura laissé passer sept ans de réflexion avant de coucher son histoire sur le papier dans ce livre à paraître bientôt. Pourquoi, alors, y consentir maintenant, demande-t-on à cette personnalité réservée? «Parce que ce que j’ai vécu a été un tsunami. Et puis parce qu’en choisissant de partir comme il l’a fait, Benoît a quitté la table au milieu de la phrase. J’avais besoin de mettre un point final à cette conservation.»

Christelle Perret-Huwiler a été l’une de celles qui ont accompagné la femme brisée dans les mois qui ont suivi le décès de son époux. Lorsque, propulsée à la tête du restaurant, il a fallu gérer l’après. Chargée de la communication, elle est, depuis, devenue l’une de ses plus proches amies: «Elle a ressenti le besoin de raconter sa version. On dit toujours que derrière un grand homme, il y a une femme, et c’est vrai. Durant ces années, ce projet commun lui a demandé de nombreux sacrifices, elle s’est mise entre parenthèses pour servir l’excellence. Ensuite, elle a su se reconstruire. Aujourd’hui, après un grand travail sur elle-même, elle est apaisée, heureuse.»

Adepte des petits carnets

Silencieuse, malgré les sollicitations qui n’ont cessé d’affluer du monde entier dans les jours qui ont suivi le décès du charismatique chef, celle qui s’est dressée seule face à un abîme d’incompréhension a ressenti le besoin de raconter cette tranche de vie à travers son regard de femme: «Ma décision de faire ce livre a pu surprendre. Le suicide jette un voile interrogateur sur cette histoire, j’ai voulu avancer avec prudence pour nous raconter.» Pour son fils Romain, 20 ans, cela sonne pourtant comme une évidence: «J’ai toujours vu ma mère avec des petits carnets. Elle notait toujours un tas de trucs, que ce soit son journal intime ou des choses moins personnelles comme des recettes, ou des activités à faire. Je pense qu’elle a un vrai message à faire passer au-delà de son expérience et de son parcours, et que d’autres femmes ainsi que d’autres personnes pourront s’y reconnaître et s’en inspirer.»

C’est en 1995, alors qu’elle travaillait dans une parfumerie à Courchevel, que cette native du sud de la France croisa celui qui allait devenir son mari. Et dont le talent de cuisinier précédait la réputation. Le coup de foudre ne fut pas immédiat. En l’écoutant évoquer la passion viscérale pour son métier, et en goûtant sa cuisine, la discrète fille unique tomba amoureuse de ce bouillonnant et ambitieux Charentais, benjamin d’une famille de sept enfants. Vite, elle le suit à Crissier où le prodige intègre la brigade de Philippe Rochat. S’ensuivent une ascension fulgurante et un changement de vie: «C’est par amour que j’ai embrassé le monde de la gastronomie». En 2003, le couple accueille leur fils Romain, puis se marie l’année suivante: «Moi qui redoutais de disparaître en tant qu’individu, voilà que je m’affirme en me mariant», confie la modeste, propulsée sous les feux de la rampe lorsque le couple reprend ensemble, et à la demande de Benoît, le temple de la gastronomie de Crissier tenu par Frédy Girardet, puis par Philippe Rochat.

«Je vivais avec une Formule 1 qui ne s’arrêtait jamais. Toutes ses idées, il fallait qu’il les réalise. Tout était pensé, réfléchi.»

Brigitte Violier

Désir absolu de perfection

En 2012, le duo dévoile le restaurant dont le chef rêvait. Une cuisine high-tech à la mesure de son talent, des salles aux tons doux et aux rondeurs boisées pensées par Brigitte pour recevoir au mieux les gastronomes venus parfois de très loin. Le couple partage alors les succès: la reconnaissance des guides, l’adhésion du public qui se presse à chaque nouvelle carte, le titre du Meilleur restaurant du monde. Mais les peines viennent aussi s’ajouter, dont le décès de Fernand, le papa de Benoît, puis quelques mois plus tard, celui, soudain, de son père spirituel, le chef Philippe Rochat.

En coulisse, Brigitte sent la pression, le vertige de la réussite, le désir absolu de perfection, la solitude du chef mais aussi les coups au moral de celui dont elle partage le quotidien. «Je vivais avec une Formule 1 qui ne s’arrêtait jamais. Toutes ses idées, il fallait qu’il les réalise. Tout était pensé, réfléchi.» Pour souffler un peu, Brigitte, elle, a ses échappatoires: elle s’isole quelques minutes dans l’appartement qu’ils occupent au dernier étage du restaurant. Parfois, une crêpe suzette que Louis Villeneuve ne manque jamais de lui mettre de côté lorsqu’il les flambe pour les clients suffit à lui redonner de la force. Benoît, lui, se plonge corps et âme dans la cuisine.

Cet univers qui lui a donné tant de joies et permis de belles rencontres, Brigitte Violier en reconnaît la beauté, la force. Sans jamais en taire les travers: «Benoît avait cette formation d’excellence, le compagnonnage, les concours, qui lui donnaient les moyens d’exprimer son talent. Mais il était aussi enfermé dans des pensées limitantes, qui l’empêchaient de vivre cette passion autrement, avec moins de pression, dans un environnement plus propice à l’être ultrasensible qu’il était.»

Aux mille et une questions qu’elle s’est posées, à l’inévitable sentiment de culpabilité, à la colère contre celui qui a choisi de «déserter», Brigitte Violier, aujourd’hui apaisée, répond à sa manière, à son moment. Les yeux toujours tournés vers les étoiles. Vers son étoile. La seule qui ait jamais vraiment compté.

Benoît Violier, Du cœur aux étoiles, Brigitte Violier, Éd. Glénat. Parution le 31 août 2023. Brigitte Violier dédicacera son ouvrage au Livre sur les quais à Morges les 2 et 3 septembre.

© BENNY TACHE

Crissier, en 5 souvenirs

Octobre 2012… Ma première interview, dans… Femina!
C’était la première fois que je parlais à la presse et qu’on s’intéressait à moi, à ce que j’allais accomplir aux côtés de Benoît. Et je tombais par hasard sur une journaliste qui avait grandi au même endroit que moi. J’y ai vu comme un signe.

2012… La création de la cinquième carte, L’estivale
Pour être au plus près des produits et coller à notre concept qui mettait en vedette les cinq sens, Benoît avait besoin d’une cinquième carte autre que celles des saisons telles qu’on les connaît. Je lui ai parlé de la tradition chinoise des cinq éléments. Nous avions trouvé notre idée et l’Estivale était née.

Septembre 2012… l’inauguration du restaurant
C’était un moment de folie, on redécouvre le restaurant dans son nouvel écrin. Il y avait du monde partout, les grands chefs étaient là, la presse, les clients… Quel tourbillon!

30 mars 2013… les 10 ans de Romain
Pour ses 10 ans, Romain a voulu un repas en salle, pendant un vrai service. Attablé avec sa meilleure amie, il a dégusté un menu spécialement préparé par son papa avec ses plats préférés, les cuisses de grenouilles, le gâteau à la fraise. Les gens autour étaient un peu surpris de voir ces deux enfants se régaler dans ce lieu.

31 janvier 2016… le décès de Benoît
C’est la rupture, le plus grand choc. Des moments qui resteront gravés en moi pour l’éternité.

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