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J’avais 17 ans lorsque, au cours d’un pèlerinage de jeunes à Rome, j’ai été prise d’un élan irrépressible. Nous sortions de la Basilique Saint-Pierre. Soudain, j’ai demandé à mes amis de m’attendre, je suis revenue sur mes pas et je me suis engouffrée dans l’église. Là, j’ai dit au Seigneur: oui je te suivrai.» Issue d’une famille non cléricale, sœur Colette, carmélite dans le canton de Fribourg, se rappelle cet instant décisif. Mais aussi les années suivantes, de latence, entre études et fêtes adolescentes. Jusqu’à sa décision d’entrer au Carmel. «Je me suis renseignée en cachette pour trouver une congrégation, ensuite j’ai averti mes parents. Ce fut un drame terrible.»

Ce témoignage parmi d’autres vient faire la nique à l’opinion communément admise selon laquelle «Dieu est mort». Bien que minoritaires, nombre de personnes en effet choisissent aujourd’hui encore de consacrer leur vie à leur foi. Parfois même de tout quitter pour la vivre pleinement. Qu’ils soient missionnaires chrétiens, moines bouddhistes, religieuses – contemplatives ou non – ou encore diaconesses, tous ont choisi l’éloignement de l’agitation du monde pour se rapprocher de leurs convictions les plus intimes.

Ils? Elles, surtout. Car, dans les faits, les femmes restent majoritaires à répondre à cet appel du divin. A travers le monde, le Carmel par exemple compterait actuellement près de douze mille sœurs, contre quatre mille frères. Et ce mouvement «féminin» s’accentue. Ainsi de l’Angleterre et du Pays de Galles où, en 2014, quarante-cinq femmes ont sauté le pas pour entrer dans les ordres, alors qu’elles étaient sept une décennie plus tôt.

Un long cheminement

Aux yeux de Mallory Schneuwly Purdie, sociologue des religions à l’Université de Fribourg, la tendance est peu surprenante: «D’une manière générale, on constate que les femmes sont plus religieuses, plus attirées par le spirituel que les hommes.» Et d’ajouter: «L’écart est encore plus grand dans les croyances de type alternatif ou ésotérique.» La raison en serait «la place même accordée aux femmes dans ces mouvances. Contrairement au catholicisme par exemple, on leur y accorde un rôle d’autorité et de leadership plus en adéquation avec l’image de la superwoman tant valorisée aujourd’hui.»

Si la dominante est féminine, chaque parcours, lui, est singulier. Si certaines de ces femmes nourrissent depuis l’enfance un goût pour la vie monastique, d’autres ont grandi loin de toute préoccupation religieuse. Leur engagement est alors le fruit d’un long cheminement intérieur, ou alors la réponse apportée à une crise personnelle. «Le décès d’un enfant, un divorce, une maladie ou une longue période de chômage sont autant de ruptures qui peuvent provoquer une remise en question», indique encore Mallory Schneuwly Purdie. «Survivre à un cancer ou à tout type d’accident ou d’attaque soulève beaucoup de questions, et ces situations engendrent par fois la volonté de se donner les moyens de vivre autrement.» Ce qui revient à dire que tout un chacun peut se sentir un jour appelé par «quelque chose» de plus grand que sa seule personne.

D’ailleurs, pour le psychologue de la religion Pierre-Yves Brandt, «l’engagement spirituel n’est à ce titre pas différent de l’engagement social, ou de celui d’autres encore qui consacreront toute leur vie à la recherche contre le cancer. Ces individus sont à l’image du sportif de pointe, du politique ou de toute personne qui a une passion et y consacre toute son énergie», expose-t-il. Dans tous ces cas, religieux ou pas, le jusqu’au-boutisme est l’affirmation concrétisée d’un système de valeurs. A l’instar du gendarme vaudois qui vient de démissionner pour rejoindre une école évangélique en Californie. Ou de sœur Véronique, Carmélite à Fribourg, qui se rappelle: «J’avais une vie riche, un métier qui me passionnait, des tas d’activités, l’indépendance – le rêve! Pourtant, une petite voix intérieure persistait à me murmurer qu’il me manquait quelque chose...»

Choisir le religieux? Et ce en dépit du rationalisme ambiant? «Une religion a pour prétention de donner un sens global à votre vie», pose le psychologue. Pour ambition de répondre à nos questions existentielles du genre «Qui suis-je, d’où viens-je, où vais-je?» Pour Mallory Scheuwly Purdie, l’insécurité de notre époque tend elle aussi à intensifier ce recours au spirituel: «Le message de la religion et des spiritualités remonte à loin. Parce qu’il est millénaire, on peut s’y ancrer, on se dit que s’il a perduré si longtemps c’est qu’il a une certaine valeur», estime-t-elle.

Alors que certains préfèrent mettre ces interrogations vertigineuses sous le tapis comme on essaie d’évacuer la question de la mort, d’autres choisissent ainsi de s’y confronter journellement. Assidûment, même, entre lecture de textes sacrés, séance de méditation, temps de prière, enseignement religieux ou autre forme d’oraison.

Responsable de l’accueil à l’Abbaye de la Fille-Dieu, à Romont, sœur Marie-Samuel est bien placée pour témoigner que cette quête métaphysique est loin de se cantonner à un simple besoin de tranquillité: «Ceux qui viennent faire chez nous des retraites spirituelles sont des gens en recherche. Ils s’attendent à recevoir le soutien et les prières de la communauté. S’ils ne visaient que le silence, ils pourraient simplement aller le chercher dans un chalet à la montagne

Cette dévotion qui dérange

Mais qu’est-ce qui explique que certain(e)s aillent jusqu’à renoncer à leur vie dans le monde pour s’enfermer dans un cloître, par exemple? Un choix assez radical, non? «Je vous ferai le parallèle avec ces femmes qui partent faire le djihad en Syrie, analyse la sociologue fribourgeoise. Elles aussi sont dans une rupture et décident de consacrer leur vie à un autre projet de société». Sans tomber dans l’amalgame, «on peut voir là une envie de décrocher d’une société dans laquelle on ne se retrouve pas. Lorsque l’on ne se reconnaît ni dans le mode de vie ni dans les valeurs véhiculées, on cherchera à articuler son besoin de spiritualité et son identité dans un autre projet de société. A pouvoir faire un contre-discours.»

Souvent aussi, l’engagement religieux va de pair avec le désir de se rendre utile aux autres, d’aider ceux qui en ont le plus besoin. De prendre part à cette société plus juste à laquelle on aspire de tous ses pores. Pourtant, malgré ces raisons plus acceptables de nos jours que l’inconcevable appel du divin, ce type de décision est souvent incompris par l’entourage. Les amis ricanent sous cape, les familles s’inquiètent…

Ce besoin de couper, de changer totalement d’environnement, apparaît souvent nécessaire pour ces croyant(e)s. «Certaines personnes très religieuses vont vouloir rejoindre une communauté où, précisément, elles n’auront plus à se justifier de cette appartenance. Et où elles pourront (se) construire à partir de cette identité, sans être acculées en permanence à un discours réactif, voire défensif», commente Mallory Schneuwly Purdie. Car «être bouddhiste ou vegan force toujours à l’autojustification.»


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Sur le terrain, la sociologue a souvent rencontré des jeunes filles musulmanes qui lui disaient qu’il était plus difficile de dire aux autres jeunes «je crois en Dieu» que «je suis musulmane». Et nombreuses sont celles qui lui rapportent le même témoignage: «C’est plus le fait que je croie en Dieu qui les fait rire, qu’ils trouvent absurde et ne comprennent pas. Ce n’est pas de mon voile qu’ils se moquent. Mais du fait que je le porte pour Dieu.» Ce que le psychologue de la religion confirme: «Il est probablement plus facile aujourd’hui d’affirmer son identité religieuse que par le passé. On s’est habitué à la variété et à la tolérance.» Mais, comme l’expriment ces jeunes femmes, c’est l’idée même d’amour et de dévotion pour un «Dieu» qui dérange. Une incompréhension qui peut contribuer à pousser certaines personnes vers un groupe humain partageant précisément cet élan impartageable ailleurs.

Résolument personnel

Toutes les religions ne valorisent cependant pas cette forme de «radicalité». «Certaines traditions religieuses sont même opposées au monachisme. Ainsi du judaïsme et de certains mouvements évangéliques», précise le psychologue. «La famille y est perçue comme la preuve de la bénédiction de Dieu. Se retirer dans un coin pour mener une vie solitaire n’est dès lors aucunement prôné.» Dans l’islam aussi, la vie monacale est peu présente, complète Mallory Schneuwly Purdie. «Le musulman est avant tout membre d’une famille et d’une communauté qu’il doit faire prospérer pour la gloire d’Allah.» Quant au bouddhisme, tout dépend du courant, note Pierre-Yves Brandt: «Les Soka Gakkai (mouvement né en 1930, ndlr) vous diront que les moines sont des parasites qui vivent au crochet de la société. En revanche, le dalaï-lama vous dira qu’être moine c’est très bien.»

Si les religions donnent des cadres, tout dépend de l’interprétation qui en est faite. Donc de la pensée, de l’expérience, de la part fondamentalement unique du lien de chacun avec l’au-delà. Car toute foi demeure de l’ordre du dialogue, de l’interaction, de la rencontre intérieure: résolument personnelle.

Témoignages

Christie, 27 ans, missionnaire de l’Armée du Salut

«Je suis originaire du Venezuela, et j’ai rencontré mon mari alors que j’étais étudiante en droit. Après une année vécue à Zurich, nous avons décidé d’aller travailler en Afrique, avec l’Armée du Salut, un mouvement international faisant partie de l’Eglise chrétienne universelle. Ma belle-famille y est impliquée depuis plus de quatre générations. De mon côté, j’ai grandi dans une ambiance très religieuse – mon grand-père était d’ailleurs pasteur – et j’ai toujours eu envie de me rendre un jour en mission. A mes yeux, cet engagement devait permettre de concilier deux de mes priorités: l’amour pour Dieu et le souci du prochain. Nous nous sommes donc rendus en Zambie, c’était il y a bientôt deux ans. Actuellement, nous travaillons sur un projet sanitaire visant à équiper en toilettes une école accueillant 500 enfants. Nous en construirons ensuite pour le centre médical situé juste à côté.

Alors que certaines personnes de notre entourage ont été enthousiasmées par notre décision, d’autres nous ont carrément dit que nous allions ruiner notre avenir professionnel. Mon père a eu aussi beaucoup de peine à l’accepter, parce qu’il s’inquiétait pour nous. Cela n’est pas toujours facile. Le jour de notre arrivée, j’ai commencé à pleurer et à douter, mais lorsque l’on voit toute l’aide que l’on peut apporter, nous sommes convaincus que notre place est ici.»

Jikgyob, 28 ans, enseignante et moniale bouddhiste

«Je viens d’une famille d’agriculteurs et j’ai grandi au milieu des vaches et des cerisiers. Après des études d’agronomie, j’ai découvert le bouddhisme un peu par hasard, en tombant sur un livre, dans la bibliothèque d’un ami, qui expliquait les bases de cette religion. Je ne l’ai pas lâché. L’ouvrage, composé sous forme de questions-réponses, m’a interpellée si fort, que j’ai commencé à apprendre et à méditer seule. Mais j’ai rapidement compris que pour progresser, il fallait me rendre dans un centre. Mon intention était alors de pratiquer le bouddhisme tout en restant laïque.

Je ressentais une forte attirance pour la voie ordonnée, mais je me trouvais trop jeune et je ne voulais pas me précipiter. Un jour de 2011, le déclic s’est produit en croisant dans un temple une moniale d’à peu près mon âge. Je me suis dit: «Pourquoi attendre, puisque je sais qu’au fond de moi, c’est ce que je veux?». Depuis, je n’ai connu ni doute ni regret. Pour mes parents, par contre, cela n’a pas été facile: ils avaient peur et ne comprenaient pas. Aujourd’hui, ils savent qu’ils ne m’ont pas perdue. J’ai les cheveux plus courts, certes, mais je continue à les voir et à venir les aider à la ferme. Bien sûr, ma vie n’est pas celle dont ils rêvaient pour moi, et ils espèrent que j’y renoncerais un jour, mais ce qui compte, pour eux, c’est de voir leur enfant heureux.»

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