Société
Donna Rotunno, la surprenante avocate de Harvey Weinstein
Pour son procès, qui s’est ouvert le 6 janvier à New York, Harvey Weinstein, alias le démon de la Croisette, alias le Porc, a choisi de la jouer petit animal fragile: regard de proie apeurée, visage timide penché vers le sol, progression en déambulateur, encadré de molosses à poigne de Terminator, qui feraient presque passer pour fluette sa carrure de buffle. Toutefois, le magnat déchu est loin d’être sans défense. Il a engagé un bouledogue hargneux pour contrer les attaques.
Le Bouledogue, c’est en effet le surnom de Donna Rotunno, la cheffe de sa meute d’avocats – six au total. «C’est un de mes clients qui a le premier employé l’expression. Je le prends comme un compliment», assure-t-elle dans «Madame Figaro». Cette pénaliste de 42 ans a officiellement repris le délicat flambeau de la défense du producteur hollywoodien l’été dernier, après la défection successive de ses deux anciens alliés masculins.
«Féminine mais fonceuse»
Robe de créatrice (Oprah Winfrey ou Michelle Obama vénèrent la même), talons de 10 centimètres portant une silhouette d’un mètre 75, la nouvelle avocate de celui par qui le mouvement #MeToo est arrivé a donné le ton lors de sa première apparition publique, en juillet 2019: Harvey Weinstein n’est pas un macho néandertalien prédateur de femmes. La preuve? C’est l’une d’elles qui va tenter de le sortir du pétrin.
Outre la dimension alibi, un ange gardien féminin aurait d’autres avantages.
Et ça, elle n’est pas la seule à l’avoir compris. Les hommes inculpés pour des faits similaires aussi. «Je reçois beaucoup d’appels téléphoniques de leur part. Je pense qu’ils réalisent que ça peut être un avantage pour eux», soulignait la pénaliste dans un article du «Vanity Fair» américain, se décrivant volontiers comme féminine mais fonceuse.
Double féminin
Sauf qu’ici, elle ne pourra peut-être pas en faire des tonnes dans son rôle de femme qui adoucit les traits du bourreau. En face, l’avocat des plaignantes est… une avocate également, en l’occurrence Gloria Allred, un ténor du barreau en matière d’envoi expéditif des violeurs au cachot. Le bourbier dans lequel Weinstein était enfoncé jusqu’au cou depuis l’automne 2017, quand le «New York Times» puis le «New Yorker» publièrent leurs enquêtes à charge, a cependant déjà pas mal régressé.
Sur les 87 femmes qui l’ont accusé d’inconduite sexuelle, selon le décompte d’«USA Today» (parmi lesquelles Uma Thurman, Ashley Judd ou Madonna), beaucoup ne peuvent le traîner en justice à cause de faits prescrits. Des dizaines d’autres ont préféré un accord à l’amiable, se distribuant 25 millions de dollars comme dédommagement et renonçant aux poursuites.
De l'attaque à la défense
Ne restent que deux personnes, une assistante de production et une connaissance anonyme, qui sont les plaignantes de ce procès dans lequel Weinstein est sous le coup de cinq chefs d’accusation, dont le viol, et risque de finir ses jours en prison. Sera-ce du gâteau pour Rotunno? L’avocate de Chicago est en tout cas une star dans la défense des violeurs.
Celle qui a étudié au Chicago-Kent College of Law avant de rejoindre l’équipe d’un procureur où elle attaquait les maris divorcés radins en pension alimentaire, s’est spécialisée il y a une quinzaine d’années dans les procès pour agression sexuelle, côté banc des accusés cette fois. Styliste international, footballeur adulé… nombre de people sont ressortis lavés de toute accusation grâce à elle.
D’ailleurs, sur les quarante hommes inculpés qu’elle a représentés, un seul fut condamné, un adolescent qui écopa d’une peine de seize ans derrière les barreaux. «Même s’il était en partie responsable, la peine est trop lourde, a regretté l’avocate dans le «Chicago Magazine». Des gens qui en tuent d’autres dans la rue sont moins sévèrement condamnés.»
Pas fan de #MeToo
Un tropisme peut-être autant dicté par l’appât du gain («C’est une période merveilleuse pour faire ce que je fais», reconnaît Rotunno avec malice) que par ses convictions. Née dans une famille catholique d’origine italienne, l’avocate ne cache pas son conservatisme et ses valeurs, pour lesquelles le masculin semble sacré, voire intouchable.
Elle est ainsi une des rares pourfendrices publiques du mouvement #MeToo aux Etats-Unis, choquant les esprits avec son scepticisme à rebrousse-poil.
Vision qui résume parfaitement sa ligne de défense préférée, qu’elle utilisera à nouveau en faveur de Weinstein: décrédibiliser les plaignantes, convaincre qu’elles étaient consentantes, puis invoquer la notion de péché plutôt que de crime concernant l’accusé. Manière de refiler la patate chaude à Dieu, qui jugera de la chose en ses termes – et en temps voulu.
Préparer la suite
Reste que sur Terre, à New York, le procès devrait encore durer cinq petites semaines. La fin du calvaire est proche pour Harvey? Pas sûr. De nouvelles victimes présumées continuent de faire leur coming out ces dernières semaines, dont un mannequin polonais mineur qu’il aurait abusé sexuellement en 2002.
Même en cas de victoire cet hiver, Donna Rotunno aura donc sûrement encore fort à faire durant les mois, voire les années à venir. Or, un bouledogue dispose de l’agressivité et de la puissance requises pour contre-attaquer, mais ce n’est pas forcément l’animal le plus endurant qui soit.