couple
Demain, tous amoureux de robots?
Elle s’appelle Natalie. Cheveux châtains, yeux bleus, bouche pulpeuse, mensurations 95-70-80. Quel âge? Entre 20 et 30 ans environ. De toute façon, c’est vous qui choisissez. Car Natalie ne vieillit pas, et n’est là que pour vous, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, «toujours excitée et prête à parler et à jouer». C’est ainsi que la présente True Companion, société qui fabrique et vend cette partenaire bien arrangeante. Qui la… fabrique? En effet, Natalie n’est pas tout à fait réelle: elle n’est qu’un des nombreux spécimens de Roxxxy, le premier robot sexuel intelligent. Un drôle de miracle attendu sur le marché dans le courant de cette année 2016. Mais pas question pour la dame de résoudre des équations du troisième degré. L’intelligence, ici, se limite surtout à papoter sur son niveau d’excitation, son appétit sexuel, ses fantasmes. Ou les vôtres. Cela fait plus de dix ans que l’entreprise américaine travaille sur cet androïde et, à en croire son patron Douglas Hines, des milliers de commandes (à 7000 dollars pièce) auraient déjà été passées sur son site. Autant dire un futur raz-de-marée de technologie libidineuse dans les alcôves.
Attendez, faire des galipettes avec une machine vaguement humaine et qui pense avec un circuit imprimé? Plutôt troublant. Mais ce sera très probablement le prochain objet du désir dans un horizon pas si lointain, confirment les spécialistes. A l’instar du robot d’amour campé par Jude Law dans le film de Spielberg «La guerre des mondes». S’adresser à un tas de ferraille pour décoller au septième ciel, avec tous les avantages du sexe à deux sans la perte de temps inhérente à toute relation humaine, voilà qui ne surprend pas Daniela Cerqui Ducret, anthropologue des techniques à l’Université de Lausanne. «Nous vivons dans une société où l’interchangeabilité entre humains et machines ne cesse de progresser. D’abord elle s’est manifestée dans le domaine du travail, puis dans celui de la santé. Qui refuserait aujourd’hui une prothèse de hanche? Il semble donc inévitable que ce phénomène avance de plus en plus dans le champ de l’intime.»
De nouveaux liens
D’ailleurs, True Companion est loin d’être un ovni. Des sociétés qui misent sur le développement des robots sexuels, il y en a d’autres, comme Real Doll, fondée par Matt McMullen. Artiste, il a longtemps fabriqué des créatures en silicone (communément appelées poupées gonflables) avant de leur donner une «âme». Ou, plutôt, une tête. Entouré d’une équipe d’ingénieurs, il s’efforce d’ajouter à ses «belles» formes un semblant de neurones, en les équipant des plus fines avancées en robotique (pour qu’elles s’animent de façon aussi réaliste que possible), en intelligence artificielle (pour qu’elles réagissent aux stimuli et s’expriment) et en technologies (pour, par exemple, les relier à une application leur donnant des ordres). McMullen a un but des plus attendrissants: permettre à de véritables liens affectifs de se tisser entre ces poupées et leur propriétaire. Autrement dit, dépasser le cadre de la relation sexuelle, pour aller sur le terrain de l’amour.
Sommes-nous donc à ce point désespérés par la vie de couple pour tomber dans les bras d’un androïde qui a dix mots de vocabulaire? «Nous sommes naturellement enclins à chercher la facilité, or la vie à deux est terriblement compliquée, explique Stephen Vasey, sociologue et thérapeute de couple à Lausanne. A une époque où les taux de divorce n’ont jamais été aussi élevés, beaucoup peinent à y croire encore, désespèrent… Alors si on leur propose d’éradiquer ce qu’il y a de plus ennuyeux, de moins satisfaisant dans la relation, pour n’en garder que le meilleur, nul doute que cela peut séduire.»
Mais pouvons-nous réellement tomber amoureux d’un être aux caresses en silicone, aux regards en plastique et à la voix métallique? Stephen Vasey nuance: «Bien sûr, personne n’est dupe du fait qu’un robot reste une machine. Mais cela n’empêche pas de nouer avec lui une relation qui nous satisfasse, car il suffit d’un peu d’imagination. Or les êtres humains n’en manquent pas, surtout dans le cadre des relations affectives! N’oublions pas que toute histoire d’amour repose en grande partie sur les rêves et illusions que nous projetons l’un sur l’autre.»
Robots animés, avez-vous donc une âme?
Certes, un robot se révèle uniquement un objet animé fabriqué par l’homme. Mais c’est justement là sa force d’attachement, selon le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron, auteur de l’ouvrage «Le jour où mon robot m’aimera» (Albin Michel, 2016). Car chacun de nous accorde une place primordiale aux objets dans le cours d’une vie, depuis la prime enfance (ah! ce cher doudou) jusqu’à la mort (avec quel bijou ou accessoire voudrez-vous être enterré?). Tantôt témoins de notre mémoire ou supports d’identification (mon ordi, c’est moi), à la fois nos complices et nos esclaves (nos smartphones), nous développons spontanément avec eux des relations très affectives. Pourtant, ces objets-là ne parlent pas, ne bougent pas, ne nous regardent pas… Ce lien, parie le psychiatre, sera donc d’autant plus puissant avec les robots de la nouvelle génération, dits «empathiques». Et pour ceux qui demeureraient encore un poil sceptiques, le président du groupe japonais Softbank a la réponse. En juin 2014, il a lancé le robot Pepper en annonçant: «Pour la première fois dans l’histoire, un robot avec un cœur.» Effet de com’? Un peu, mais pas que, précise le psychiatre Serge Tisseron: «Pepper n’aura pas plus de cœur qu’une machine à laver, mais à la différence de celle-ci, il sera capable de simuler l’affection que tout être humain attend de ses semblables.» Cela s’appelle même l’empathie artificielle, et d’après le psychiatre il y a toutes les raisons pour que cela nous les rende très désirables…
Empathique tout en étant bien roulé, le robot n’en restera pas moins obéissant. Pas contrariant, toujours d’accord avec son «partenaire»… Une certaine vision de l’amour, à des années-lumière du romantisme. Nous ne sommes évidemment pas tous à la recherche de ce type de relation sans accroc et profondément narcissique. Mais selon Stephen Vasey, le plus grand risque est de voir exploser les comportements d’addiction à ces machines, du moins chez les plus fragiles. «Des personnes très timides et introverties, qui peinent à se tourner vers les autres ou qui cumulent les échecs amoureux, peuvent être tentées de ne pas chercher à dépasser leur difficulté et de la combler en se tournant vers ces machines, au risque de devenir addict et de se replier sur soi.» Il souligne également à quel point ces robots nous portent à croire que le monde est à notre service et que nous n’avons nul besoin de nous adapter à lui. Sentiment prompt à nous maintenir dans une posture infantile. D’ailleurs, avant de glisser entre les mains brûlantes des adultes, les robots et les poupées («real dolls») ne sont-ils pas, au départ, des joujoux d’enfants?
L’effet répulsif
Alors, doit-on prophétiser la fin des relations faites de chair, d’os et de désaccords? Pas si vite… D’abord, ces robots empathiques et sexy ne sont pas aussi attrayants que leurs fabricants veulent bien nous le faire croire. Le directeur du Laboratoire de Systèmes Robotiques de l’EPFL, Francesco Mondada, en est convaincu: «Certes, il y a des progrès, mais ils se font lentement, progressivement. Il est faux de croire à un brutal basculement vers un monde rempli de robots empathiques et séduisants!» Selon cet expert, nous risquons davantage de voir l’inverse se produire: un mouvement de répulsion à l’égard de ces machines à la fois trop et pas assez ressemblantes, donc monstrueuses. Cela a d’ailleurs un nom, «l’hypothèse de l’uncanny valley» (ou vallée de l’étrange). Et même si les développeurs de robots assurent être désormais capables de dépasser cet effet répulsif (notamment via l’empathie témoignée par leurs machines), les faits sont là. Selon une dernière enquête menée sur 26 000 personnes, plus de 60% d’entre elles sont contre le remplacement par des robots des tâches de prise en charge des handicapés, enfants et personnes âgées. Pour Federico Mondada, c’est la démonstration que «le grand public n’est absolument pas prêt à laisser toute la place aux machines, au détriment des véritables relations vivantes».
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La contre-attaque s’organise
Cette méfiance collective sera-t-elle suffisante pour garder les «terminators in love» dans les placards? Pas sûr, s’inquiètent de nombreux chercheurs, dont certains ont lancé une pétition pour tenter d’interdire ces robots sexuels, au nom d’un argument fort: ces machines incarnent le franchissement d’une étape de plus dans la dégradation de l’image de la femme, réduite au statut de pur objet de plaisir. Daniela Cerqui Ducret abonde dans ce sens: «Je trouve un peu facile de compter à la fois sur une sorte de garde-fou intérieur et sur les soi-disant limites de ces machines, alors que des sommes vertigineuses sont investies dans leur développement!»
Le psychiatre Serge Tisseron aimerait, lui, voir se «développer dès le plus jeune âge le goût du débat et de la controverse, afin de familiariser nos enfants avec la multitude de choix possibles.» Et puisqu’on y est, pourquoi ne pas imaginer des cours d’éducation amoureuse, où l’on apprendrait que s’aimer n’est pas toujours une sinécure? Mais aussi, soyons fous, que les femmes ne sont pas au service du plaisir des messieurs? Concernant ce dernier point, il ne semble pas nécessaire d’attendre le débarquement des cyborgs orgasmiques pour changer les mentalités…
Homme-robot, une vieille histoire d’amour… filmée
Les coups de foudre entre êtres humains et machines? Jusqu’ici, cela se passait avant tout au cinéma…
©The Picture Desk/Photo12/AFP
Metropolis, de Fritz Lang, 1927. Les robots ménagers n’avaient même pas vu le jour que déjà Fritz Lang imaginait un monde où l’on pouvait fabriquer des humanoïdes parfaitement ressemblants et irrésistibles. C’est ainsi que Brigitte Helm, interprétant à la fois le rôle de Maria et de son double robotique, fait fondre le cœur du seulement humain Freder (Gustav Fröhlich).
Une créature de rêve, de John Hughes, 1985. Quand deux lycéens geeks se font rejeter par tous (et surtout par «toutes»), il ne leur reste plus qu’à inventer un programme informatique mettant sur pied une créature de rêve prête à les aimer… et à leur redonner confiance en eux. Une idée de psychothérapie pour le futur?
Ex Machina, d‘Alex Garland, 2015. Un jeune informaticien est invité à étudier une nouvelle espèce d’intelligence artificielle, glissée sous les traits d’une jeune femme sublime. Elle le séduit, il est conquis, mais est-ce pour le meilleur ou seulement le pire?
Her, de Spike Jonze, 2014. C’est aussi un genre de psychothérapie que va suivre Joaquin Phoenix, alias Theodore Twombly, un écrivain souffrant de solitude. Sauf que, plus modeste, lui se contente de tomber amoureux d’une voix, celle d’un logiciel informatique hyper-intelligent. Platonique donc, mais très efficace.
Blade Runner, de Ridley Scott, 1982. A en croire le réalisateur, très bientôt (l’action se passe en 2019!), nous ne pourrons plus faire la différence entre humains et robots. D’ailleurs, même Harrison Ford se fait avoir, en tombant fou amoureux de Rachel, une androïde. A se demander ce que c’est vraiment, qu’être «humain»…
Le sexe virtuel, une réalité
Pour redonner du piment à sa sexualité, on peut désormais compter sur le secours de la virtualité et de la connexion. Pour preuve…
Red Light Center Quand la page d’accueil s’ouvre, on se croirait sur un site porno comme les autres. Avec, en gros plan, une fille mise en position d’objet sexuel entre deux hommes dominants. Quoi de neuf? En avançant dans le programme, on découvre qu’il s’agit d’un site de rencontre entre avatars. Ou comment se retrouver dans la peau d’une star du X, les risques de MST en moins…
Oculus Rift Pour amplifier les sensations reçues via son avatar sur Red Light Center, on pourra très prochainement compter sur ce tout nouveau casque de réalité virtuelle 3D mis en prévente sur le site. Très attendu par les adeptes de jeux vidéo, il l’est aussi par les quelques millions d’inscrits à Red Light Center (le site étant compatible avec le casque). Faire de chaudes galipettes sans personne ni rien d’autre qu’une espèce de gros masque de ski devant les yeux: ça fait rêver, non? Les mauvaises langues disent que c’est pour réaliser ce fantasme que Mark Zuckerberg (Monsieur Facebook) a racheté Oculus il y a deux ans…
©Blutgruppe/Corbis
Sex Toy connecté Vous connaissez la montre connectée, ce bracelet qui vous donne des infos sur votre sommeil, votre rythme cardiaque et vos pas effectués? Imaginez que le même objet (ou presque) entoure autre chose que le poignet de monsieur. Vous venez de visualiser Sexfit, un anneau vibrant connecté à une application via Bluetooth, pour vous donner toutes les informations sur vos performances au lit et vous aider à vous améliorer via des conseils personnalisés. En version féminine, cela donne par exemple Oh My Bod, un vibromasseur qui, une fois «installé», s’active à tout moment depuis une application – qui a en main l’application? C’est toute la question… Il est également vendu comme un outil de renforcement des muscles pelviens, dont l’application suit l’évolution. Ou comment le sex-toy ne veut que notre bien.
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