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Interview

Amanda Castillo milite contre l'âgisme touchant les femmes

Un manifeste pour le droit de vieillir comme les hommes

«J'encourage toutes les femmes à taire leur âge. Pas par coquetterie mais par militantisme, afin de nous affranchir des carcans, ainsi que des obsessions du couple et de la maternité.» - Amanda Castillo

© GETTY IMAGES/JACOBLUND

Et si l'on délaissait (enfin) la jeunesse à tout prix? Constatant que l'âgisme vise essentiellement les femmes dans nos sociétés occidentales, la journaliste suisse Amanda Castillo a enquêté sur les raisons qui suggèrent que, passé le cap des 40 ans, ces dernières sont déjà «périmées». Dans son dernier ouvrage Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes? (Éd. L'Iconoclaste), paru en mars 2023, l'autrice critique le discours des médias, les représentations des corps féminins vieillissants à l'écran ou encore les mythes sexistes à la vie dure.

Elle met ainsi en lumière l'importance immense que prend encore le rôle reproducteur des femmes, mais aussi d'où viennent les diktats de jeunesse et de beauté, et pointe également du doigt les violences âgistes au sein des couples. Inspirée par ses modèles, Benoîte Groult ou encore George Sand, Amanda Castillo apporte également des pistes pour s'affranchir des injonctions et du regard masculin qui emprisonne.

FEMINA Vous ne dites pas votre âge. Pour quelle raison?
Amanda Castillo J'ai commencé à taire mon âge vers 10 ans. Avec un père diplomate, j'étais ballotée de pays en pays. Je prenais toujours l'avion seule, et dès l'âge de 4 ans, on a commencé à utiliser mon âge contre moi pour que j'endosse de lourdes responsabilités. Comme je déménageais souvent, et que j'étais confrontée à des langues différentes, j'avais un retard scolaire. Le corps enseignant me disait que c'était trop tard pour que j'apprenne: j'étais déjà trop vieille. C'est parti de ce traumatisme.

En grandissant, je me suis rendue compte que notre société est âgiste.

Les messages diffusés par le cinéma et les médias, qui représentent les femmes de plus de 50 ans comme des grand-mères ou des femmes aigries - lorsqu’elles ne sont pas carrément invisibilisées - contrastent avec la réalité de celles épanouies autour de moi. De fait, mon âge est un secret de polichinelle. J'ai remarqué toutefois que dès que ce chiffre apparaît dans la conversation, on me ramène à des injonctions liées à cette tranche de ma vie. Je l'ai beaucoup ressenti à la fin de la vingtaine, une période où il y a une forte pression sociale à se mettre en couple et à avoir des enfants. Ce qui dérange, c'est le regard des autres, comment ils et elles nous perçoivent.

J'encourage toutes les femmes à taire leur âge. Pas par coquetterie mais par militantisme, afin de nous affranchir des carcans, ainsi que des obsessions du couple et de la maternité.

D'où vient la différence de traitement entre les femmes et les hommes par rapport à l'âge, ce mythe comme quoi les hommes vieillissent avec classe et les femmes dépérissent?
De notre culture, l'industrie cinématographique, les arts ou encore la publicité, des domaines contrôlés majoritairement par des hommes. Ce sont eux qui fixent les codes de la beauté féminine. En fait, plus on vieillit, plus on gagne en assurance et en amour de soi. On se réapproprie son corps, afin qu’il serve à autre chose qu’à combler les attentes des hommes. Échapper ainsi au regard et à la domination masculine déplaît.

En écoutant de nombreux hommes obnubilés par la jeunesse, j’ai compris que ce n’est pas tant les cuisses fermes et une peau lisse qu’ils recherchent, mais certains traits de caractères associés au jeune âge: la malléabilité, la vulnérabilité, l’inexpérience.

D’ailleurs, quand une femme très jeune s’affirme, elle ne leur plaît pas. Prenez la réalisatrice Maïwenn, quittée à 21 ans par Luc Besson parce qu'elle n'avait pas «le corps qui lui convenait». C'est simplement qu'elle s'opposait à sa volonté. Derrière la question de l’âge se cachent souvent des dynamiques de pouvoir.

Quelles solutions proposez-vous pour échapper à la peur de la «péremption»?
Il faut être dans la création et ne jamais renoncer à son indépendance économique. Toute activité qui permet de se penser comme un être achevé, entier, permet de transcender son âge. Et la liberté d’être soi-même commence toujours avec l’argent nécessaire pour la financer. À cet égard, l’âge revêt une grande importance. La plupart des femmes se mettent en couple avec un partenaire plus âgé. Si le couple a un enfant, c'est le plus souvent leur salaire qui est sacrifié, car étant plus jeunes, elles n'ont pas forcément gravi les échelons et gagnent moins.

Dans votre livre, vous citez des figures que vous admirez - Benoîte Groult, Lou Andreas-Salomé, George Sand, Dominique Roulin - des femmes de lettres indépendantes, collectionnant les amants plus jeunes et cultivant une sensualité jusqu'à un âge avancé. Elles avaient ce point commun: s'aimer elles-mêmes.
Ne dépendant pas des hommes, ces femmes ont assumé la responsabilité de leur bien-être et refusé la domination, même sous ses formes les plus subtiles. Être la muse des artistes et des poètes? Pas question d'endosser un rôle passif! Elles ne se regardaient pas en train d'être regardées, pour reprendre les mots de John Berger: elles osaient regarder. Leur identité sociale ne dépendait pas du couple qu’elles formaient avec un homme, elles ne se sont pas décentrées, c'est-à-dire qu’elles avaient la capacité d’entrer en relation avec autrui sans jamais se renier. Enfin, elles étaient heureuses seules. Et pour moi, c'est ça la clé.

À vous lire, il semblerait qu'une fois passé la fenêtre de procréation, la femme est invisibilisée, effacée des représentations.
C'est exactement cela: on nous réduit encore à notre rôle reproducteur. Il n'y a qu'à voir la pression subie par les femmes entre 28 et 39 ans à propos de la maternité.

À 40 ans, l’âge de la ménopause sociale, la pression se relâche. En effet, c'est à cet âge-là que la société considère qu’une femme n’est plus censée faire des enfants, bien qu’elle soit toujours fertile.

À l’inverse, on applaudit les hommes qui deviennent père à 73 ans, comme Mick Jagger. Il y a aussi une sorte d'équation maléfique qui dit que le corps ménopausé est en mauvaise santé, ce qui est faux.

Dans votre livre, vous parlez de culture pédophile. Ce sont des mots forts, pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par là?
Ce terme a choqué, pourtant il existe des tonnes d'exemples et de représentations culturelles: au hasard, Brooke Shields posant dénudée pour Playboy à 10 ans, ou Millie Bobby Brown désignée comme l'une des actrices les plus sexy à 13 ans. La culture pédophile désigne une attirance ou une préférence pour les femmes ayant des caractéristiques physiques spécifiques aux enfants: lèvres charnues, front bombé, petit nez, absence de poils, grands yeux naïfs, petits corps fragiles, vagin étroit.

Ce à quoi on tente de ressembler en s'épilant, en s'affamant ou en tombant dans les dérives de la chirurgie intime promue par des influenceuses. Tout cela marque une haine du corps féminin adulte. À nouveau, c'est une question de domination: ce qui est beau est fragile, soumis, malléable.

Que diriez-vous à une femme qui craint d'être quittée par son compagnon pour une autre, plus jeune?
Qu’il vaut mieux être seule qu'accompagnée d'un homme toxique qui prend les femmes pour un sexe où accrocher le reste de sa jeunesse pour la retenir. Face à ce type d’hommes, une femme n’existe pas comme individu, mais comme représentante d’un modèle générique qui peut facilement être remplacé dès qu’il est daté. C’est une relation de sujet à objet.

On parle rarement des violences âgistes dans le couple, pourtant elles existent.

Un homme maltraitant utilise fréquemment l'âge de sa compagne pour l’intimider et la contrôler. Comme lui dire qu'elle ne retrouvera plus jamais de compagnon si elle le quitte.

Vous abordez la question du lesbianisme politique, théorisé par Monique Wittig, c'est-à-dire le fait d'abandonner volontairement les relations avec les hommes pour s'affranchir de la domination masculine. Mais que faire si l'on souhaite continuer à relationner avec eux?
Il faut changer notre perception de la masculinité. Chercher des hommes qui portent des jupes et des colliers de perles. Qui assument et expriment leurs émotions, et pour qui l'étiquette «féminin» n'est pas une insulte.

Il faudrait rendre sexy la bonté, la bienveillance et la sensibilité. On a tellement érotisé la violence, glamourisé des couples où l'homme est maltraitant, indifférent, émotionnellement indisponible, que des femmes excusent, voire recherchent ces comportements. Encore une fois, il s'agit d'une forme de contrôle masculin: la femme est constamment en demande, en attente, en quête d'une validation qui ne viendra jamais.

N'a-t-on pas fait des progrès en 2023 sur la représentation des corps de femmes à tout âge?
Je trouve qu'il manque encore des rôles forts et aventureux pour les femmes de plus de 50 ans au cinéma, par exemple.

Philippine Leroy-Beaulieu est terriblement inspirante, certes, mais reste une exception.

Il faut arrêter d'offrir des rôles de mères à des actrices qui ont presque le même âge que l'acteur qui incarne leur fils. Des exemples récents? La série House of the Dragon ou le film Dune. On peut toujours en faire plus, mais je reconnais les progrès.

Quel rôle ont les hommes dans ces progrès, justement, qu'il reste à mener?
Les acteurs pourraient être plus solidaires avec leurs collègues féminines invisibilisées et les médias devraient changer leur discours, notamment la presse people. Puis, pour tous les autres, je crois simplement qu'il faut faire l'effort de se déconstruire. Malheureusement, je vois encore peu d'hommes qui s'intéressent aux questions féministes, alors que se libérer du patriarcat leur serait aussi bénéfique.

Lorsque vous abordez l'éducation des enfants, vous dites que les petites filles pourraient s'identifier un peu aux garçons. Ne devrait-on pas, surtout, revaloriser le rose et les princesses?
Nous sommes toutes et tous élevé-e-s dans des rôles stéréotypés. Je me trouve dans cette situation avec ma fille de cinq ans: elle est dans sa phase rose et licornes. Personnellement, je n'interdis rien. Je ne crois pas que cette couleur pose problème. Par contre, je l'encourage à ne pas pouponner, mais à jouer à la pédiatre.

L'important pour moi réside dans le rôle qu’elle va endosser au cours des jeux symboliques, c'est là que je la pousse à incarner un personnage actif, et non passif.

Dans ce sens, je l'encourage à s'identifier à des rôles stéréotypés masculins. Aussi, je ne lui interdis pas les Disney, mais je contrebalance avec des récits exempts de relations amoureuses et qui mettent en scène des filles fortes et indépendantes, afin de varier les représentations. Enfin, lorsqu'une histoire me dérange, je la déconstruis avec elle.

Rendez-vous au Salon du livre 2023

La journaliste et autrice sera présente au Salon du livre de Genève, à Palexpo, le 24 mars de 14h00 à 15h00 sur la scène Bien-Vivre, et le 25 mars de 12h00 à 13h00 sur la scène du Forum, où elle débattra des diktats imposés aux femmes en compagnie de l'autrice Marie Kock. Des rencontres à ne pas manquer!

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