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14 juin

Quand le féminisme se manifeste en musique

Quand le féminisme se manifeste en musique

Toutes à leur manière, Amel Bent, Miley Cyrus, Aya Nakamura, Anne Sylvestre, Lizzo, Beyoncé, Aretha Franklin et Clara Luciani ont produit des hymnes féministes.

© GETTY IMAGES/DAVID WOLFF-PATRICK; GETTY IMAGES/MARCELO HERNANDEZ; GETTY IMAGES/STEPHANE CARDINALE; GETTY IMAGES/MARC PIASECKI; GETTY IMAGES/JIM DYSON; GETTY IMAGES/KEVIN MAZUR; GETTY IMAGES/ANTHONY BARBOZA; GETTY IMAGES/GEORGES CHEVRIER; MONTAGE: NAILA MAIORANA

«Viser la Lune, ça ne me fait pas peur, même à l'usure j'y crois encore et en cœur. Des sacrifices, s'il le faut j'en ferai, j'en ai déjà fait mais toujours le poing levé», scandait Amel Bent sur son premier album. 19 ans après sa sortie, le hit R'n'B Ma philosophie retentit dans les manifestations féministes. Avec son message d'émancipation, il est devenu un hymne à part entière. Celui-là, et bien d’autres: Djadja d'Aya Nakamura, Wanna Be des Spice Girls, Ain't your Mama de Jennifer Lopez ou Juice de Lizzo, pour n'en citer que quelques-uns. Car la musique accompagne depuis longtemps les luttes pour les droits des femmes.

Petite histoire de l'hymne féministe

Dans son ouvrage Toutes pour la musique (Éd. Hugo Image) paru en octobre 2022, la journaliste et autrice Chloé Thibaud retrace l'histoire du féminisme en chanson: «Il a fallu des siècles pour que le domaine musical s'ouvre aux femmes, explique-t-elle, et dans certains pays, chanter et jouer d'un instrument n'est pas encore un droit acquis pour toutes. Le tout premier hymne féministe en français date de 1848 et a été écrit par Louise de Chaumont sur le même principe que La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d'Olympe de Gouges.»

«Louise de Chaumont a modifié les paroles de l'hymne national français pour en faire La Marseillaise des cotillons, qui exige le respect des maris envers leur femme. Quelle audace au XIXe siècle!»

«C'est un chant qui a traversé le temps puisqu'on l'entend toujours lors des manifestations du mouvement Nous Toutes en France.»

Chloé Thibaud souligne que l'histoire a ensuite invisibilisé les femmes qui se sont exprimées pour leurs droits entre la fin du XIXe siècle et jusqu'à la deuxième vague du féminisme dans les années 60-70. Des décennies qui voient, notamment, la popularisation de la prolifique chanteuse engagée Anne Sylvestre, la naissance de l'Hymne des femmes du MLF, écrit collectivement dans une volonté politique, du titre iconique You Don't Own Me interprété par l'adolescente Lesley Gore, ou encore du grand Respect, adapté par Aretha Franklin selon le point de vue d'une femme. «Dans cet intervalle, on ne doit pas oublier l'héritage des blueswomen afroaméricaines pionnières, à l'instar de Ma Rainey, Bessie Smith ou Billie Holiday, qui, sans tenir un discours féministe revendiqué, créent les premières brèches dans le discours patriarcal», rappelle l'autrice.

Le rôle de la pop culture

En Suisse, dès la renaissance de la grève du 14 juin en 2019, l'hymne Quatorze juin nous y voilà est rédigé par le collectif de Neuchâtel sur la base d'un titre italien pour visibiliser les revendications du manifeste. Un chant répété chaque année depuis. Pour Chloé Thibaud toutefois, ce sont les morceaux issus de la pop culture qui ont plutôt envahi les événements féministes actuels, les pancartes et les t-shirts. «Des slogans sont détournés, comme Girls Just Want to Have Fun-damental Rights en référence à la chanson de Cyndi Lauper», illustre l'autrice.

María Chacon, membre de Grève féministe Fribourg et qui collabore à l'enrichissement de la playlist officielle du collectif pour le 14 juin, confirme que de nombreux titres populaires y sont référencés: «comme Bad Girls de M.I.A., La Rage de Keny Arkana ou encore Flowers de Miley Cyrus. Mais comme je suis espagnole, je suis particulièrement touchée lorsque j'entend un chant féministe dans cette langue, comme Canción sin miedo de Vivir Quintana», liste la militante. Pour elle, la musique est centrale au sein de la grève féministe.

«Elle véhicule des messages puissants et émancipants qui résonnent avec nos revendications, et permet aussi de mettre des mots sur des réalités difficiles, comme les féminicides et les viols.»

«Et au-delà de la signification des textes et de notre colère contre le système patriarcal, la musique permet d'inscrire la manifestation dans un moment de joie et de solidarité».

Mais quand le féminisme assumé a-t-il éclos dans la musique? Pour Chloé Thibaud, Beyoncé a marqué un tournant en 2011. «Pourtant on revient de loin car, les chansons des Destiny's Child ne sont pas du tout féministes, malgré les apparences, et font la part belle au slut-shaming, à l'instar des textes de Diam's par exemple», souligne l'autrice, après nous avoir expliqué qu'elle a fait passer le test de Bechdel (au cinéma, un test pour montrer la sous-représentation des protagonistes féminins selon trois critères: il doit y avoir au moins deux femmes nommées, qui parlent ensemble et d'autre chose qu'un homme) au top 30 des Destiny's Child et que seul Survivor est sorti vainqueur («un titre qui ne parle même pas d'empouvoirement suite à une rupture, mais de la séparation du groupe»).

«Selon moi, la chanson Run the World (Girls) est décisive: le clip met en scène une armée de femmes dominantes et la revendication est radicale pour une artiste aussi populaire que Beyoncé, analyse Chloé Thibaud. Ensuite elle a continué sur cette lancée, et cela bien avant MeToo.»

La spécialiste se dit lassée d'entendre que les messages féministes sont à la mode dans la musique mainstream aujourd'hui. «Certes quelques titres ressortent du lot comme La Grenade de Clara Luciani ou encore Balance ton quoi d'Angèle, qui d'ailleurs a été je pense un déclencheur pour des prises de conscience politiques notamment chez les plus jeunes, puisque le titre reprend le hashtag #Balancetonporc et rend le message accessible, reprend Chloé Thibaud.

«Or les artistes engagées prennent plus de risques que les autres, car elles s’exposent au harcèlement sur internet. Cela reste une démarche courageuse en 2023.»

«Et même si certaines surfent sur la vague, et bien tant mieux car cela visibilise les luttes.» Enfin, même si la musique a permis de faire progresser les mouvements féministes, l'autrice met en garde: le sexisme est encore très présent dans cette industrie: «La prochaine bataille n'est plus dans les textes, mais dans la réalité au cœur des festivals, sur scène, dans les institutions et les studios.»

Il reste encore du travail

Ce n'est pas Helvetiarockt qui la contredira. L'association se bat pour visibiliser les femmes, les personnes intersexes, non binaires, trans et agenres dans l'industrie musicale à travers différents programmes, des ateliers et des campagnes de sensibilisation. En Suisse aussi, la question de la parité dans la programmation des salles de concert et des festivals est soulevée et a fait polémique, notamment en été 2022, lorsque la chanteuse Sophie Hunger critiquait le line up exclusivement masculin de l'open air Moon & Stars au Tessin.

«Les inégalités sont mieux visibilisées depuis quelques années, soulève Elodie Romain, alias Billie Bird, responsable d'Helvetiarockt pour la Suisse romande. Mais d'après des statistiques de l'Université de Bâle, la part des femmes était de 11% en 2021 sur scène dans la pop, le rock et le jazz, 2% dans la production musicale et 12% dans l'enseignement. Une étude de Pro Helvetia de 2022 montre à peu près la même chose.»

«Donc malgré tout, les chiffres n'augmentent pas ou très lentement et ces artistes restent en situation de précarité», dénonce-t-elle.

Le problème? Pour Helvetiarockt, il est multifactoriel. «Moins ces personnes évoluent dans les contextes décisionnels, moins les mesures seront prises à leur avantage. Et le manque de role model ne pousse pas non plus à se lancer», insiste Elodie Romain. Le 14 juin est l’occasion de remettre ces inégalités sur la table.

Sandor et Silance chantent l’antisexisme en vidéo

Lors d’une interview en février, la chanteuse Sandor confiait son envie de créer un hymne féministe avec son titre Les limites de ton intelligence. Elle nous a insufflé une idée: mettre en lumière des «hymnes féministes» romands – soit des titres engagés –, écrits et interprétés par des femmes, pour célébrer en musique la journée nationale de mobilisation féministe. Silance a rejoint l’aventure avec son morceau Nouveau genre.

À écouter aussi: La playlist du 14 juin de Billie Bird

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