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Comment lutter contre la haine en ligne?

Comment lutter haine ligne

«Les femmes hésitent encore trop souvent à s’exprimer sur internet par peur de la violence virtuelle», déplore Sophie Achermann, directrice d’Alliance F.

© Getty Images

Ce 31 décembre, le chanteur Eddy de Pretto tweetait: «On crache sur 2020, mais l’année a tellement libéré les paroles et fait avancer les luttes.» Mouvement Black Lives Matter, libération de la parole des femmes ou des personnes LGBTQ+… les douze mois passés ont été féconds pour les droits de chacun, notamment grâce aux réseaux sociaux. Hélas, et paradoxalement, plus de 12,4% des commentaires qui y ont été postés possèdent un caractère haineux, montre une étude de la plateforme de modération et d’animation web Netino, menée en 2019 à partir de l’analyse de 25 pages Facebook de grands médias français.

Dans l’actualité plus locale, on citera le malheureux exemple de Jennifer Covo. En décembre dernier, après avoir poussé, en interview, le ministre de la Santé, Alain Berset, dans ses retranchements, la journaliste de la RTS a reçu un océan d’insultes en ligne vulgaires et sexistes, impossibles à exprimer ici. Sur Instagram, le 5 janvier, le flot d’émojis vomissants et d’injures, homophobes cette fois-ci, a tristement visé un des créateurs français chouchou des post-millennials, Jacquemus. La cause? Avoir posté une photo de lui et de son conjoint en train de s’embrasser. Reconnu pour sa bienveillance légendaire et son amour de la vie, le designer star s’est senti obligé de s’exprimer en story.

«Nombre d’insultes et de désabonnements depuis le post de mon copain et moi en train de nous embrasser. En sommes-nous réellement encore là?» a-t-il posté en anglais, prenant à témoin ses plus de 3 millions d’abonnés.

Le 8 janvier, un couple de l’émission L’amour est dans le pré a souffert à son tour de commentaires haineux allant jusqu’aux menaces de mort. Stoïques, Mathieu et Alexandre ont su prendre de la distance: «On s’est détachés de la chose, on n’a pas pris à cœur les insultes», ont-ils expliqué dans un live Instagram. Mais que dit le droit à ce sujet?

Algorithme d’un nouveau genre

Selon la conseillère nationale socialiste Priska Seiler Graf, «en Suisse, les discours de haine liés au sexisme, à la discrimination des personnes handicapées ou aux minorités ne sont généralement pas punissables. Les personnes concernées par des discours haineux liés au racisme ou à la religion peuvent porter plainte, par exemple pour diffamation, calomnie ou invoquer la protection de la personnalité, telle que définie par le Code civil.» En outre, depuis le 9 février 2020, la haine et le dénigrement contre les personnes lesbiennes, gays et bisexuelles sont également punissables. Toutefois, pour la politicienne, une chose est sûre: ça ne suffit pas!

Face à ces limites juridiques, les actions citoyennes semblent donc constituer le seul moyen de tenter de stopper les commentaires haineux. «Les femmes hésitent encore trop souvent à s’exprimer sur internet par peur de la violence virtuelle», déplore Sophie Achermann, directrice d’Alliance F. Pour cela, l’association, qui représente plus de 100 organisations de femmes en Suisse, a lancé, en 2020, la plateforme Stop Hate Speech (la version française est en construction), qui compile des informations sur la haine en ligne. Son outil phare? Un algorithme nommé Bot Dog. Il a pour but de dénicher les articles web comportant un haut potentiel de commentaires haineux.

«Ces textes sont ensuite soumis à notre communauté, ouverte à tous, qui est invitée à améliorer activement le discours», détaille l’ancienne déléguée suisse de la jeunesse à l’ONU.

D’après ses recherches, les premiers commentaires d’un article orientent et influencent la discussion future. Il est donc important de donner rapidement un retour d’information positif ou, du moins, de débattre du sujet, en particulier à destination des plus jeunes. «On peut également liker de bons commentaires, ajoute Sophie Achermann, ou encore signaler les commentaires haineux.»

Pédagogie digitale

Par ailleurs, après avoir été victime de la haine sur les réseaux sociaux et «d’une campagne médiatique sexiste», Jolanda Spiess-Hegglin a ressenti le besoin de façonner un bouclier. En 2016, la députée au Grand Conseil du canton de Zoug (Les Verts, puis le Parti pirate) abandonne ses activités politiques et fonde l’association #NetzCourage, ce qu’elle appelle «sa thérapie». L’initiative de l’ancienne politicienne agit sur plusieurs niveaux. L’ambulance, d’abord, offre un soutien gratuit et des conseils expérimentés aux victimes de cyber-violence. Ce service d’aide en ligne s’étend d’ailleurs ce mois-ci en Suisse romande. En outre, #NetzCourage réalise des évaluations scientifiques de commentaires et une enquête sur la misogynie est prévue.

«Notre but est de promouvoir une culture positive du débat, en particulier auprès des femmes puisqu’elles en sont les principales victimes», rappelle-t-elle.

Toujours sur la thématique de la haine en ligne, son organisation travaille également sur un projet éducatif (#NetzBildung) qui sera testé dans des écoles au printemps. Si la phase pilote est couronnée de succès, l’offre pourrait débarquer en terre romande.

Par ailleurs, il est intéressant de citer la pédagogie digitale du compte Instagram Paye ton EPFL. Son objectif? Partager des témoignages d’étudiants pour sensibiliser au sexisme, au racisme, aux agressions sexuelles, ou à la LGBTQ+phobie sur le campus. Le compte encourage, via sa story, à lire ou à écouter avant de juger. «On savait qu’on allait avoir des trolls, confie Marijn Van Der Meer, présidente de Polyquity, commission maison qui promeut l’égalité, mais nous avons dès le début clairement expliqué que cet espace était dédié aux victimes et non aux débats.» Depuis, le préambule a porté ses fruits, l’étudiante en data science évoquant de nombreux soutiens et, mieux encore, des prises de conscience et des remises en question de ses camarades. Et aux éventuels mécontents? «Les gens ont toujours le choix de ne pas nous suivre», répond la jeune femme. Autrement dit, passez votre chemin, les moins malins.

© Instagram Paye ton EPFL

La montée du langage haineux est le reflet de nos choix de société

par Saverio Tomasella, docteur en psychologie et auteur de «Se libérer du complexe de Cendrillon» (Ed. Eyrolles)

La haine est une volonté délibérée de nuire, de déshumaniser l’autre, de le tuer symboliquement ou réellement. Elle n’est pas le contraire de l’amour, mais de la compassion, donc de l’empathie et de la sensibilité. Jung explique que le contraire de l’amour, c’est le pouvoir. Le développement de la haine dans la société est le fruit de siècles de machisme, de phallocratie, de désensibilisation progressive, de valorisation de la technique, de la mécanique, de la froide logique industrielle et du cynisme ambiant.

Par ailleurs, Darwin a été mal lu et mal interprété: cela a renforcé l’idée que le monde était divisé en deux catégories, ceux qui dominent, forcément une élite, et ceux qui sont dominés, la masse. Cette domination passe aussi par les certitudes et les fantasmes qu’elle engendre (religieux, idéologiques, politiques, moraux, etc.).

Enfin, à force de pensée positive et de business de prétendu développement personnel servant l’injonction au bonheur, nous avons oublié que nous étions des êtres de pulsions et que nous devions les connaître au mieux pour les réguler, voire les sublimer. Or, derrière un écran et un pseudo, de même que derrière un masque ou une cagoule, il est beaucoup plus facile de laisser libre cours à ses pulsions destructrices et meurtrières sans les refréner.


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