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Education: Tu seras un mec bien, mon fils!

Tu seras un mec bien, mon fils!

«Il faut tenir compte du coût des transgressions. Une fille jouant au foot se fera moins moquer ou injurier qu’un garçon qui fait de la danse», note Caroline Dayer, spécialiste des questions de genre.

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Réclamer une société (enfin) égalitaire à coup de #MeToo, #BalanceTonPorc, manifestes féministes, BD, films ou séries TV, c’est très bien; tout comme la pub des rasoirs Gillette, qui enjoint aux hommes de cesser de se comporter en machos toxiques à la Weinstein ou la récente publication de l’Association américaine de psychologie expliquant que «la masculinité traditionnelle est nocive pour les hommes eux-mêmes, aussi bien psychologiquement que physiquement». Pourtant, si encourageants et bien intentionnés soient-ils, ces messages ne suffisent pas à faire bouger les lignes en profondeur. Pire, ils passent mal.

Preuve en est, par exemple, la polémique suscitée par la campagne Gillette, qui a vu des milliers d’internautes se dire «insultés»; en témoignent aussi des essais comme «Le premier sexe», d’Eric Zemmour, ou le succès planétaire des vidéos de Jordan Peterson, visionnées des millions de fois, qui, chacune à leur manière, s’inquiètent des effets «délétères» d’une «sur-féminisation» du monde et se plaignent d’une crise de la masculinité «due à la perte des repères classiques» inculqués depuis des millénaires. Car oui, les poncifs liés au genre sont transmis de génération en génération. Et pour casser cette idée qu’«un mec, un vrai» est forcément dominant, il est temps de repenser l’éducation des garçons… mais pas de manière binaire note Caroline Dayer. Docteure, chercheuse, formatrice et spécialiste des questions de genre, elle précise:

«Il faut prendre en compte les rapports de pouvoir qui se jouent, sans faire l’économie de la déconstruction de cette injonction à la masculinité qui ferait croire qu’il n’en existe qu’une seule forme. Il s’agit de proposer une diversité de modèles non stéréotypés et inspirants!»

La préparation

«Dès les premières heures de vie, et même avant la naissance, les parents ont des attentes stéréotypées, note la journaliste Aurélia Blanc, auteure de l’ouvrage «Tu seras un homme féministe, mon fils!» (Ed. Marabout). La première chose à faire, c’est d’en avoir conscience. Ces mécanismes sont très profondément ancrés en nous. Pour les débusquer et tenter d’y mettre un terme, il faut avoir l’honnêteté d’interroger ses propres pratiques.» Un avis que partage Caroline Dayer: «Afin de décrypter l’intériorisation et la (re)production des stéréotypes de genre, il s’agit, en tant que parent, de questionner ses propres manières de parler et de faire, ainsi que de réfléchir aux attentes projetées sur les enfants.»

Cela dit, il ne faut pas oublier que papa-maman ne sont pas les seuls à imaginer leur rejeton se glisser dans le maillot de Ronaldo ou amorcer une carrière de chirurgien: la famille, les grands-parents, les amis vont aussi s’en mêler. Du coup, «il est important d’en parler, de ne pas faire comme si ça n’existait pas», reprend l’écrivaine. Parallèlement, histoire de joindre la parole aux actes, on choisira donc des tons non usuellement connotés «petit mec» ou «chtite nana» pour la chambre, la layette ou les accessoires de son bébé.

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L’organisation des tâches

Comme l’explique Caroline Dayer, «le gène de l’aspirateur n’existe pas et celui du bleu non plus! Il ne s’agit pas de nature mais d’attributions sociales. L’enjeu consiste donc à passer d’un discours sur l’égalité à des pratiques égalitaires – ce d’autant plus que les enfants intériorisent et imitent ce que font les adultes de leur entourage.» Autrement dit: le premier (et le plus marquant) des apprentissages se fait par l’exemple. «Rééquilibrer le travail domestique demande une implication forte des deux parents», souligne Aurélia Blanc. Maman de deux petits garçons et auteure de «Libérées – Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale» (Ed. Fayard), Titiou Lecoq constate:

«Monsieur consacre en moyenne 2 h 06 par jour au foyer (ce temps incluant le bricolage, les jeux avec les enfants, le jardinage ou les balades du chien…), tandis que Madame s’y colle pendant 3 h 27, sa part du gâteau comprenant essentiellement le ménage, la préparation des repas, la lessive, le repassage, etc.!»

Concrètement, il s’agit donc de s’interroger sur la répartition de ces occupations en termes de genre, puis de la réadapter, afin qu’un enfant voie ses deux parents s’impliquer dans les mêmes tâches. «Et ça marche!» note Nicole, mère divorcée qui s’occupe de son fils en garde alternée. «Comme il a toujours vu son père faire aussi bien la popote que la lessive, tout ce qui est ménage lui est normal et naturel. Au point que sa copine le considère comme une fée du logis!»


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L’habillement

«Ma femme m’a fait comprendre que je ne devais surtout leur faire aucun commentaire mais… j’avoue que je n’aime pas voir mes fils en minets. Je préfère qu’ils s’habillent en mecs», soupire Angelo. Loin d’être une exception, ce papa de trois garçons voit ainsi certains coloris d’un très mauvais œil pour «ses petits», dont le rose. «Cette couleur cristallise beaucoup d’enjeux, commente Aurélia Blanc et les garçons qui la portent sont souvent stigmatisés, voire ostracisés, parfois même par les adultes.» En cause, la peur de l’homosexualité ou de la chochotte.

Pourtant, «avant l’époque de la reine Marie-Antoinette, il était considéré comme une déclinaison du rouge viril et essentiellement porté par les garçons, tandis que le bleu, en lien avec la Vierge Marie, était réservé aux filles», note Charline, du blog «Mon fils en rose». Elle martèle: «Il est important d’expliquer très tôt aux enfants que les couleurs n’ont pas de sexe, pas de genre et qu’on a le droit de toutes les porter. C’est une liberté qu’on leur donne!»

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Les jeux, les jouets

«L’intériorisation des stéréotypes de genre se réalise avant l’entrée à l’école. Des jouets aux lectures, des vêtements aux accessoires, une logique de division genrée s’opère», note Caroline Dayer. Le piège à éviter? Le marketing sexué qui a envahi les rayons jouets depuis des décennies. Un vélo reste un vélo, qu’il soit à paillettes ou noir/jaune façon superhéros. Le but est de proposer un panel de jouets élargi, recommande notamment Muriel Guyaz, déléguée à l’égalité et enseignante à la Haute École pédagogique du canton de Vaud. L’idée n’est pas de censurer certaines choses. On n’interdit pas à un garçon de jouer aux petites voitures sous prétexte que ça colle aux vieux poncifs. Toutefois, parallèlement, on lui propose aussi une poupée, un set de dînette ou un déguisement de la Reine des Neiges.

Comme le relèvent Julie Pagis et Wilfried Lignier dans «L’enfance de l’ordre» (Seuil):

«Même à 2 ans, les enfants ont déjà forgé de petites habitudes, qui distinguent par exemple filles et garçons. Les crèches sont parfois accusées de reproduire les stéréotypes de genre, mais en fait, elles héritent souvent de différences qui se font d’abord en famille.»

Aurélia Blanc ajoute: «A travers le jeu, on peut aussi s’interroger sur l’espace que prennent les enfants. Très vite, les petits gars vont être autorisés à prendre de la place. A la récré, le centre de la cour est occupé par des garçons qui jouent au foot alors que les filles restent en périphérie.» D’où l’importance de trouver des jeux et des activités qui mêlent tout le monde, sans distinction de genre, préconise Muriel Guyaz.

Les modèles

Côté modèles, il faut aussi insister. Ainsi Sophie, après avoir réalisé que ses deux grands fils n’avaient quasi aucune image féminine importante dans la tête, a réagi: «Je pense qu’il est important pour eux de savoir que même si leur rôle est souvent occulté, il y a beaucoup de femmes importantes dont l’histoire est inspirante. Alors j’ai insidieusement laissé traîner dans leurs toilettes «Les culottées», de Pénélope Bagieu (Ed. Gallimard), et «Histoire(s) de femmes», de Martha Breen et Jenny Jordahl (Ed. Larousse)!» Par ailleurs, il existe de plus en plus de romans, de BD, de films ou de séries pour tous les âges qui offrent des exemples égalitaires positifs, comme «Princesse Kevin» (Ed. Glénat), «Steven Universe» (disponible sur Netflix) ou encore, pour les plus grands, «L’ordre divin» (disponible en DVD).

Le respect et le consentement

«Il est important que mes fils comprennent que non veut dire non», explique Angelo. Il ajoute: «C’est pour cela que, quand ils étaient petits, on leur a appris à dire bonjour, mais on ne les a jamais obligés à faire des bises. Si on les avait forcés, on leur aurait donné un faux message, qui impliquait que non, c’est quand même oui.»

Aurelia Blanc ajoute: «Un enfant qui a compris le sens du consentement, le fait qu’on n’a pas le droit de lui faire des choses qu’il ne veut pas, sera davantage en mesure de parler en cas de problème d’agression.» Et pas question de faire un cours magistral sur le sujet à son enfant de 4 ans, mieux vaut l’interroger régulièrement sur de petites situations de la vie quotidienne.

Par ailleurs, pour les plus grands, il est aussi important de profiter de l’actualité (faits divers, rubrique People, etc.) pour discuter et dialoguer. Ce qu’a fait Johanne: «Une jeune fille de la région a subi des abus par un camarade. J’ai saisi l’occasion pour réexpliquer à mes fils les notions de consentement, de parler du flirt, de l’alcool (une fille éméchée n’a pas forcément conscience de ce qu’elle fait…), etc. J’estime qu’il est essentiel qu’ils sachent discerner le désir ou non-désir, même si cela n’est pas clairement exprimé!» Pour s’aider et s’inspirer un peu, on peut par exemple imprimer les dessins d’Elise Gravel, illustratrice québécoise qui parle avec ses crayons aux tout-petits comme aux ados.

Les émotions

Pour les spécialistes, il est des phrases toxiques à bannir complètement. «Les garçons ne pleurent pas», «Arrête de pleurer, tu es fort» ou «Pleurer, c’est pour les filles», sont ainsi à oublier définitivement. Afin de faire évoluer les mentalités, il faut ouvrir le débat avec les papas qui, pour la majorité, ont été conditionnés par cet idéal masculin de l’homme fort dont les émotions ne transparaissent jamais. «Il est important que les pères parlent davantage avec leurs enfants et leur confient ce qu’ils ressentent, souligne Aurélia Blanc. Prendre l’habitude, en rentrant du travail, de se confier sur ses états d’âme que l’on soit énervé, joyeux ou triste est une bonne pratique.» Cela aidera les garçons à verbaliser leurs émotions et à ne surtout pas les garder pour eux.

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L’amitié fille/garçon

En tant qu’adulte, on a tendance à systématiquement romantiser les relations fille-garçon. Si Luca joue avec Ryan, ils sont meilleurs copains, mais s’il préfère passer du temps avec Lila, c’est parce qu’ils sont amoureux. «Avec ces réactions, on inscrit très tôt dans les esprits des uns et des autres qu’une relation entre une fille et un garçon est forcément amoureuse, note Aurélia Blanc. Or, c’est totalement faux. A 2 ans, un enfant n’est absolument pas dans une optique de séduction!» En bref, il faut donc cultiver les relations copains-copines, en organisant par exemple des activités mixtes où tout le monde trouve son compte: jeux de société en intérieur ou en extérieur, chasses au trésor…


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La résistance

«Il faut également tenir compte du coût des transgressions. Une fille jouant au foot se fera moins moquer ou injurier qu’un garçon qui fait de la danse», note Caroline Dayer. Là encore, l’exemple est important, comme en témoigne Charline: «Ce qui m’a incité à ouvrir mon blog, c’est la réflexion d’une ancienne collègue. J’étais alors enceinte de 5 mois et je venais d’apprendre qu’il s’agissait d’un petit garçon. «Ah mais c’est génial, il pourra faire du foot avec son papa!» m’a-t-elle lancé. Je n’en revenais pas. Je me suis rendu compte que beaucoup de gens se battaient pour qu’une fille puisse se déguiser en pompier ou en astronaute, mais très peu acceptaient qu’un petit garçon puisse se déguiser en princesse ou en fée!» Elle reprend:

«Porter du rose, jouer aux voitures ET aux poupées, aimer les paillettes et les animaux… tout cela ne l’empêche absolument pas de se construire, au contraire. Avec son papa, on préfère lui ouvrir le champ des possibles, lui permettre de se rêver en Wonder Woman comme en Batman. Eh oui, les garçons peuvent admirer des filles, des femmes, des modèles féminins!»

Restera, ensuite, à faire en sorte que le petit bonhomme apprenne à ne pas se laisser influencer par la pression sociale. A ce propos, la blogueuse Maman Rodarde explique: «Pour que mon fils de 5 ans puisse se défendre facilement en cas de c’est pas pour les garçons, je lui ai bricolé des bandelettes dépliantes d’autodéfense antisexiste, qu’il peut dégainer quand nécessaire.» Concrètement, sur ces dépliants (à télécharger et imprimer!), on voit les images d’hommes célèbres qui ont des cheveux longs, des habits roses, des ongles vernis, des bijoux, sont maquillés, etc.

La sexualité

Parler d’éducation sexuelle à la maison est essentiel. Cela commence très tôt, explique Aurélia Blanc: «Il ne faut surtout pas générer de tabous, mais leur donner les éléments de base en commençant par nommer les parties du corps: un sexe est un sexe, un pied est un pied. Cela permet de verbaliser les choses et, par la suite, ils pourront s’exprimer plus facilement lorsqu’ils auront des questions.» Ce qui n’est d’ailleurs pas toujours simple, s’amuse Nicole qui, pour le coup, a compté sur son ex-mari pour discuter avec leur fils. «Je sais qu’ils ont parlé désir, consentement et aussi plaisir – et que mon ex a beaucoup insisté sur le fait que la relation ne s’arrête pas à la seule jouissance masculine!»

Autre thème à aborder impérativement, la pornographie, à laquelle les enfants se retrouvent tôt ou tard confrontés. «Les codes du porno infusent la société. On les retrouve dans les clips, les affiches et la publicité», déplore par exemple Ovidie, ancienne actrice X et activiste féministe, à l’instar de Céline Tran, elle aussi retraitée du X et qui a réalisé la vidéo «Porno VS Réalité».

De son côté, Aurélia Blanc note: «Je suis persuadée que dès qu’il y a une éducation à la sexualité en amont, on donne des armes à nos enfants pour appréhender les choses avec un peu plus de distance et de recul. Si on n’ouvre pas la discussion en tant que parent, le porno s’en chargera, et pas de la meilleure des façons…»

Eduquer un garçon d’un point de vue féministe peut sembler… inégalitaire. Tandis que les messages adressés aux filles sont teintés de Girl Power encourageants, les futurs hommes reçoivent des injonctions négatives du type: «Ne harcèle pas!» ou «Prends moins d’espace!» Pire, en s’attaquant au système patriarcal, on leur donne l’impression de devoir renoncer à la première place du podium. Toutefois, c’est oublier un peu vite que tordre le cou à la virilité toxique, c’est permettre à nos fils de développer leur singularité, qu’ils décident de devenir bûcheron ou fleuriste, sage-femme ou ébéniste. Élever son garçon de manière antisexiste c’est lui offrir, enfin, la liberté. Celle d’être lui-même et celle d’être capable, aussi, de mettre fin aux inégalités et aux violences faites aux femmes.

Ecole: comment les émotions aident à apprendre

Et à l’école?

Quel est le rôle de l’école relativement aux stéréotypes genrés?
Muriel Guyaz (responsable de l’instance pour la promotion de l’égalité à la HEP Vaud)
Des recherches montrent que l’école contribue à les renforcer par les interactions et les interventions entre enseignant·e et élèves (leurs attentes sont différentes), mais aussi entre les élèves eux-mêmes ou encore via le matériel pédagogique ou l’évaluation. Or, à force d’être reproduits, les stéréotypes sont progressivement considérés comme des vérités. Ainsi, les poncifs du type: «Les filles sont zéro en maths et les garçons nuls en langues» ont la vie dure et laissent implicitement penser que les cerveaux féminins ou masculins n’ont pas les mêmes capacités. Ce qui est faux. Toutefois, tout l’environnement amène les élèves à considérer qu’il existe des rôles, des métiers et des domaines d’études plutôt dévolus aux femmes et d’autres aux hommes. Il s’agit pour les institutions de formation de permettre aux enseignant·e·s de considérer ces enjeux et de diminuer l’effet du genre sur les trajectoires scolaires et les orientations professionnelles.

Comment?
Il s’agit d‘abord pour les profs d’être non discriminants et égalitaires, en utilisant par exemple un langage inclusif. Dans le canton de Vaud, chaque futur·e enseignant·e généraliste (pour les 4 à 12 ans) participe à une formation ciblée sur le genre et les futur·e·s professionnel·le·s du secondaire (élèves de 12 à 19 ans) peuvent suivre deux séminaires sur les inégalités femmes/hommes et les différenciations de genre. Des cours sont aussi donnés dans le cadre de la formation continue, qui sont des occasions de découvrir et d’expérimenter du matériel pédagogique à visée égalitaire. De plus, il existe aussi des guides, dont L’école de l’égalité (égalité.ch, Ed. Ney), qui propose une palette d’activités à vivre en classe, en lien avec les objectifs du Plan d’études romand.


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