corps féminins
Cinéma: La pilosité féminine toujours taboue sur grand écran
Il y a un quart de siècle, Julia Roberts faisait scandale en dévoilant ses aisselles poilues sur le tapis rouge lors de la première de Coup de foudre à Notting Hill. Depuis, de nombreuses célébrités se sont exhibées ainsi. Plus rare, l’ex-mannequin Mara Lafontan est apparue dans une campagne pour des maillots de bain, une ligne velue entre son nombril et son pubis. Elle a récolté une tempête de messages haineux.
Au-delà des cercles militants ou artistiques, le poil dérange. Depuis la nuit des temps, il a été associé à l’animalité. Les femmes à barbe étaient réduites au statut de bêtes de foire (comme Joséphine Clofullia, née Boisdechêne en 1831 à Versoix, présentée au cirque Barnum aux USA). Dans le film sorti le 10 avril 2024, où Rosalie est atteinte d’hirsutisme, la réalisatrice Stéphanie Di Giusto a voulu «oser les poils, faire ressentir la sensualité des corps là où on ne s’y attend pas, pour en faire surgir quelque chose de troublant, de vibrant et de beau, sortir des codes habituels de ce que l’on peut voir sur les écrans, des corps lisses devenus presque surréalistes».
Le cinéma, un bastion antipoils
Contrairement aux réseaux sociaux, le cinéma constitue en effet un bastion antipoils. L’origine de ce bannissement remonte aux années 1930 et au code Hays, promulguant des règles strictes pour les films hollywoodiens. Parmi lesquelles: «Les organes génitaux de la femme ne doivent pas se traduire, sous une étoffe, ni en ombre ni en sillon. Toute allusion au système pileux, y compris les aisselles, est proscrite.» Cette norme se propage alors en Europe, où les femmes commencent à s’épiler pour imiter les actrices. Cent ans plus tard, les poils restent tabous (ou fétichisés dans certains films X). Même dans Frida (2002), Salma Hayek arborait monosourcil de circonstances mais duvet moustachu très subtil.
La réalisatrice française Jade Debeugny s’est penchée sur la question dans son Mémoire de fin d’études (Le poil féminin à l’écran, témoin de nos regards sur la féminité). Elle y analyse des longs-métrages européens contemporains. Sauf exceptions, les poils sont complètement invisibilisés. Même là où on ne s’y attend pas: dans Vénus Beauté – Institut (1999), les esthéticiennes parlent sans gêne d’odeurs de crevette et de pertes vaginales, mais le poil féminin reste totalement absent à l’écran alors qu’il constitue l’essentiel de leur activité!
Deux rares films où la pilosité s’affiche sans message
Seul film répertorié par Jade Debeugny où la pilosité est montrée dans toute son étendue (y compris sur les aréoles des seins): Border (2018). Mais la protagoniste s’avérera… ne pas être humaine!
Une pilosité féminine «naturelle» s’illustre dans Portrait de la jeune fille en feu (2019) ou L’Apollonide (2011). Parce qu’ils traitent d’une époque révolue? Non:
Qui se réjouit dans son livre que ces films présentent le poil comme «un élément à part entière de l’imaginaire érotique proposé par la réalisatrice» dans le premier; ou comme «outil de liberté» dans le second, puisque la prostituée Léa (interprétée par Adèle Haenel), surnommée «Poils longs» (et appréciée pour cela), offre une mèche pubienne en remerciement lorsqu’elle ne veut plus voir un client.
Lætitia Casta apparaît aisselles poilues dans Nés en 68 (2008) et Le grand appartement (2006), où ce trait fait partie de son personnage de militante. Mais sur l’affiche de ce dernier, ces poils sont cachés par la chevelure de Mathieu Amalric! Histoire de ne pas rebuter les spectateurs et spectatrices…
Jade Debeugny n’a ainsi déniché que deux films où les poils étaient «simplement là, sur la comédienne en tant qu’humaine»: Les Pires (2022) et Baden Baden (2016), «le film qui correspond au plus près à l’idée que je me fais d’une normalisation du poil féminin à l’écran», écrit Jade Debeugny.
En 2007, Lætitia Casta estimait que les poils allaient revenir à la mode. Jade Debeugny: «Cela bouge sur les jeunes plateaux de tournage, mais on n’en est pas là. J’aimerais que les espaces des possibles et des imaginaires s’ouvrent davantage à d’autres représentations. C’est important, car cela conditionne notre liberté individuelle: il faut se poser la question de pourquoi on s’épile et choisir consciemment de le faire ou pas.» Et pas seulement parce que c’est la norme du grand écran.
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