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Pourquoi entend-on si mal les femmes? Parce qu’on ne les écoute pas – victimes que nous sommes, toutes et tous, de stéréotypes auditifs, explique Aline Jalliet. Coache vocale qui reçoit aussi bien des artistes que des politiciennes ou des cheffes d’entreprise dans son cabinet, elle a publié Une voix à soi (Guy Trédaniel Éditeur) en février 2024, un essai passionnant dans lequel elle décrypte comment la voix est un agent du sexisme et pourquoi il est temps de rééduquer nos oreilles. Rencontre.

FEMINA À vous lire, la voix est un «angle mort du sexisme»…
Aline Jalliet Absolument. Quand je parle d’angle mort, c’est parce que personne ne s’était encore emparé de cette question fondamentale… dont on n’a d’ailleurs pas conscience qu’elle en est une: dans l’esprit des gens, une voix est physiologique, point final. Or, quand on regarde les choses de plus près, comme je l’ai fait ces quatre dernières années, on réalise qu’elle est un agent hyper­efficace en termes de persistance des stéréotypes de genre, donc de discrimination, donc de sexisme!

Comment cela?
Quand nous pensons à une voix de femme, nous l’associons à des qualificatifs comme aiguë, douce, mélodieuse, agréable, maternelle, au service des autres, chaude, éventuellement séductrice et sexy dans certains contextes…

Bref, on ne fait qu’aligner des stéréotypes censés correspondre à la féminité, avec tous les clichés que cela véhicule. En clair, on lie la féminité à certaines caractéristiques vocales, et si on ne respecte pas ces codes-là, on se le fait reprocher.

Et on se le reproche soi-même aussi, d’ailleurs! Sans en avoir conscience, nous assignons un rôle, une personnalité et un état émotionnel à celle qui parle et nous nous arrêtons à cela pour la juger: une voix trop aiguë, et hop! on estime qu’elle perd ses nerfs ou est «hystérique». Elle a le verbe haut? Elle est forcément agressive, véhémente ou vulgaire. Et si elle a un timbre trop grave, eh bien c’est qu’elle veut se la jouer «mec»…

Cette écoute biaisée qui efface le contenu du discours féminin est extrêmement dommageable puisqu’elle construit en nous des fausses croyances, et induit potentiellement des inhibitions et du manque de confiance: à quoi bon parler puisque je ne suis pas écoutée? Autrement dit, nous posons un filtre sur la parole des femmes, ce qui fait que nous entendons leur manière de dire les choses, mais n’écoutons pas le fond.

Alors que chez les hommes, si?
Les faits montrent que quand un homme s’exprime, sa voix est perçue comme crédible et légitime. Et s’il hausse le ton, il passera pour un passionné convaincu – mais jamais pour un hystérique! Nos oreilles fonctionnent encore malheureusement sur ce que j’ai appelé des biais d’écoute et des stéréotypes auditifs. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce qui se passe aujourd’hui: depuis #MeToo, de nombreuses femmes ont commencé à dénoncer. Mais combien de temps et combien de témoignages a-t-il fallu pour que des PPDA, des Depardieu ou des Gérard Miller soient enfin descendus de leur piédestal? Et combien d’années Judith Godrèche aura-t-elle essayé de se faire entendre? Tout cela montre qu’il n’y a pas d’égalité dans notre écoute et qu’on n’attribue pas la même valeur à des voix de femmes ou d’hommes.

Le problème n’est-il pas lié à la physiologie?
Oui mais non! Au-delà des réalités physiologiques, une voix de femme est avant tout le fruit d’une éducation et d’une socialisation de genre qui commence dès le plus jeune âge: avant la puberté, l’appareil phonatoire est encore semblable et, a priori, on ne devrait pas pouvoir distinguer une fillette d’un minot. Pourtant, par imitation et imprégnation, notamment en calquant les manières de prononcer selon des modèles féminins ou masculins, les enfants mettent beaucoup d’énergie à faire entendre dans leur voix ce qu’ils et elles sont censé-e-s être, fille ou garçon. Et cela perdure.

Cela dit, la voix de la femme est aussi une construction sociale et culturelle – j’en veux pour preuve, par exemple, les différences entre les normes vocales au Japon ou en Italie. Chez nous, si on remonte le temps, on voit que dans les années 50-60, il était de bon ton d’avoir une voix de tête, très mélodieuse. Puis, dans les années 80-90, tandis que les femmes prenaient lentement du galon et du pouvoir, le timbre est devenu généralement plus grave – comme pour atténuer les écarts femmes-hommes. Aujourd’hui, la mode est au «cassé» et demain… nous verrons!

Mais peu importe, finalement, car quelle que soit la période, sans y avoir réfléchi, nous savons qu’une voix féminine est porteuse d’attentes sociales et culturelles particulières et avons appris, parfois à nos dépens, à quel point notre ton importe si l’on veut se faire entendre.

Nous avons ainsi intériorisé toutes sortes d’interdits et d’injonctions et intégré le fait que parler fort nous fait passer pour une harpie alors que susurrer nous rend charmantes!

Nous sommes en 2024… les choses évoluent, non?
Heureusement, oui: dans les jeunes générations notamment, on voit des femmes qui ne réduisent pas les décibels, ne s’empêchent pas d’être en colère ou de se montrer véhémentes.

On commence à entendre des voix de femmes qui dépassent et ne sont pas enfermées dans les stéréotypes dont je parlais tout à l’heure – même s’ils restent tout de même très ancrés.

Peut-on faire bouger les choses concrètement?
Eh bien… Mon livre ne donne pas de recettes mais, je l’espère, permet de prendre conscience de notre formatage. Car une fois que nous avons réalisé les enjeux personnels et sociétaux, il devient alors plus facile d’apprendre à s’approprier sa propre voix pour entretenir une relation apaisée avec elle. Et, corollairement, de rééduquer nos oreilles – grâce à quoi on peut sortir du jugement et écouter vraiment… 

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