santé
L'hortithérapie pour soigner des maladies psychiques
Cela n'aurait rien d'extraordinaire, si la promeneuse n'était pas atteinte d'une maladie psychique, la schizophrénie paranoïdale, qui la rend pratiquement autiste, et son visage, immobile comme celui d'une statue en pierre.
Son émotion est l'un des petits effets heureux de l'hortithérapie - la thérapie où c'est le jardin qui soigne - introduite dans cet établissement d'aide sociale réservé aux femmes, grâce à l'exemple et au financement suisses, et qui existe aussi dans quelques autres institutions polonaises.
«Nous avons vu en Suisse, lors de notre visite d'études, pas mal de choses que nous avons ensuite reprises chez nous», explique Alina Anasiewicz, la directrice de Ruskie Piaski.
Elle montre fièrement aux visiteurs une belle fontaine où, les jours de chaleur, ses pensionnaires peuvent non seulement toucher l'eau qui coule, mais aussi entrer dans le petit bassin et toucher de leurs pieds les cailloux qui en tapissent le fond. Pour accéder à la fontaine, elles passent, pieds nus, sur un petit «parcours sensoriel», sur du gravier, sur du sable, sur des rondins de bois: autant de stimulations qui font travailler les sens et le cerveau.
De l'autre côté du palais, trois patientes bêchent énergiquement un potager. Non seulement elles peuvent en humer les parfums, mais elles pourront aussi en consommer les produits. Faire des confitures. Voire les offrir. Autant d'expériences positives.
Polysensoriel
«Le jardin constitue un milieu polysensoriel, le patient peut sentir les parfums des fleurs et des plantes, les toucher, et aussi se faire piquer par les épines. Il permet aussi des exercices physiques, par exemple pour ceux qui ont des problèmes d'équilibre, amenés à sauter d'une pierre sur l'autre», explique le Dr Bozena Szewczyk-Taranek, qui vient de créer une filière d'études de l'hortithérapie à l'Université Agricole de Cracovie, pour former des biologistes souhaitant travailler dans ce secteur. «Bien entendu», ajoute-t-elle, «lorsqu'il s'agit de patients intellectuellement déficients, il faut bannir du jardin les plantes toxiques, tels l'if, l'hortensia ou le muguet de mai».
«Le jardin constitue un milieu polysensoriel, le patient peut sentir les parfums des fleurs
et des plantes, les toucher, et aussi se faire piquer par les épines», explique le Dr Bozena Szewczyk-Taranek.
©Alina Anasiewicz/AFP
L'hortithérapie moderne, dont les racines remonteraient notamment à l'Egypte des pharaons, où des prêtres-médecins avaient remarqué les bienfaits des jardins sur les personnes psychiquement malades, est née au XIXe siècle aux Etats-Unis et au Canada, puis a essaimé lentement en Europe. Après la Première Guerre mondiale, on envoyait souvent «au vert» les soldats blessés pour les aider à se remettre physiquement et mentalement.
Sans constituer un traitement permettant de guérir une maladie psychique, l'hortithérapie, aujourd'hui bien développée aux Etats-Unis, en Allemagne et en Suisse notamment, contribue à stimuler intellectuellement et socialement les patients, renforce leur confiance en soi et enfin améliore leur condition physique, ne serait-ce qu'en les faisant sortir de leurs chambres, relève un psychothérapeute de Cracovie, Roman Kwiatkowski.
Quand la météo se dégrade, ou bien lors de la saison hivernale, les patients vont moins bien, sont plus déprimés, souligne la direction de Ruskie Piaski, en ajoutant que le jardin est un moteur du bien-être: une patiente qui avait quitté les lieux pour rendre visite à sa famille a ainsi voulu revenir plus tôt que prévu car «le jardin lui manquait».
Montagne d'amiante
Ce jardin a pu se développer grâce au soutien financier de Swiss Contribution, un programme de coopération de la Suisse qui court de 2007 à 2017 et a pour but de réduire les disparités entre les pays occidentaux et les nouveaux membres de l’Union européenne, souvent issus de l'ancien bloc communiste. Au total, 1,3 milliard de francs suisses ont été alloués, dont environ 500 millions de francs pour la Pologne.
Au total, 58 projets très divers ont été lancés en Pologne, dont plusieurs destinés à améliorer tout ce qui touche à la santé, par exemple en retirant une montagne d'amiante des toits des maisons – 131 000 tonnes - et en installant des hectares de panneaux solaires.
A Ruskie Piaski, où il y a quelques années le terrain du domaine ressemblait à une forêt sauvage, les fonds helvétiques ont permis de créer un «parc thérapeutique» avec plusieurs jardins - jardins des fleurs, des épices, des légumes… - et un verger.
Petite invention utile importée de Suisse: pour les malades qui ne sont pas capables de se pencher sur les plantes, les plantes «montent» vers eux, grâce à de grands bacs surélevés remplis de terre.
En parallèle, les personnels ont été formés pour en faire pleinement bénéficier les 59 patientes. «Il est parfois plus facile de faire les travaux que de changer la mentalité de nos collaborateurs», reconnaît Madame Anasiewicz.
Les projets polono-suisses seront-ils poursuivis après l'expiration de ce programme décennal? Il est clair que d'importants besoins existent encore. «Une nouvelle contribution autonome de la Suisse pourrait être envisagée à la lumière de l'état général des relations entre la Suisse et l’Union européenne», répond, énigmatique, Guido Beltrani, chef du bureau polonais de Swiss Contribution.
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