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Phénomène: toutes accros aux contes de fées

Femina 52 Dossier Contes Revisites 00

Emma Watson dans le nouveau film «La belle et la bête» qui sort en mars 2017.

© DR

Regardé de près (le nez plongé dans le livre ou les yeux vissés à l’écran), «50 nuances de Grey» est d’abord une mémorable histoire de fesses. Mais pour certains lecteurs qui ont entrepris d’observer la lettre X d’un peu plus haut, la saga d’E.L. James, bientôt de retour dans les salles obscures, serait en fait… un remake de Cendrillon. Voyez vous-même: une innocente oie blanche, un bellâtre venu des hautes sphères, une romance aux frontières de l’impossible. Il n’en faut pas plus pour soudain percevoir dans les performances d’Anastasia Steele et de Christian Grey le doux chuchotement de ces histoires qu’on nous lisait au bord du lit avant de dormir. On divague? Rien de plus normal en réalité.

Car aujourd’hui, les contes sont partout. Au cinéma, dans la littérature, sur les podiums des défilés haute couture, jusque dans les pubs. Le «Il était une fois» est devenu plus bankable que jamais. «Depuis des siècles, les artistes et autres esprits créatifs revisitent, recyclent les contes de fées, explique Sarah Sepulchre, sociologue belge spécialiste des formes du récit. Toutefois, le phénomène a récemment pris une ampleur considérable, touchant presque tous les domaines. Les séries viennent de s’en emparer, à l’image de «Grimm», «Once upon a time» ou encore «Neverland». Les chercheurs aussi sont concernés, puisqu’on observe «de plus en plus de travaux scientifiques étudiant l’impact des contes», à en croire Nathalie Blanc, professeure de psychologie à l’Université de Montpellier.

Le cinéma demeure cependant l’espace privilégié pour accueillir ces histoires entre terre à terre et merveilleux. Avec ses petits chouchous dans le genre. A elle seule par exemple, Blanche-Neige et son univers composé de pommes, de miroirs et de nains a fait l’objet de six longs-métrages depuis 2011. Avec Lily Collins, Kristen Stewart, Lou de Laâge ou Angelina Jolie en tête de générique. Quant à la Belle face à sa Bête, elle sera encore à l’affiche ce printemps sous les traits d’Emma Watson en héroïne Disney permanentée, après Léa Seydoux en 2014.

Freud à Hollywood

Alors oui, du Disney, certes. Même si la plupart de ces néo-légendes ont dérivé bien loin du monde de la jeunesse, comme l’éclaire Cyrille François, maître d’enseignement et de recherche en littérature nordique à l’Université de Lausanne: «De nos jours, les contes ne s’adressent plus tellement aux enfants, leur cible privilégiée à l’origine. Il s’est opéré un glissement vers les adolescents et, surtout, vers les adultes.» Assumant au passage toutes les connotations allant de pair avec les œuvres, justement, «pour adulte». Des scénarios plus complexes, des scènes plus violentes, des idylles plus explicites. Adieu mères-grand chevrotantes, bonjour rois et princesses lubriques. «Beaucoup de ces contes ne sont d’ailleurs plus à mettre entre les mains des plus jeunes. On a exacerbé leur côté sanguinolent, sulfureux, ou alors, au contraire, densifié leur épaisseur psychologique.» Un peu comme si ces histoires, passablement gnangnan, avaient tout à coup été réécrites par une sorte de Sigmund Freud slash Steven Spielberg.

Car en dépit des apparences, le conte se prête bien à un tel exercice. «Il n’existe que des contes de fées sanglants. Tout conte de fées est issu des profondeurs du sang et de la peur», affirmait Kafka, auteur du très fantastique «La Métamorphose». Il suffisait de s’en souvenir et d’aller regarder sous le tapis. «Les adultes d’aujourd’hui ont grandi avec des versions Disney souvent très édulcorées de ces histoires, rappelle Sarah Sépulchre. Ils prennent actuellement plaisir à redécouvrir les aspects trash d’une grande partie de ces contes, qui traitent de sujets étonnamment transgressifs.» Frontalement: l’amour incestueux dans «Peau d’âne», le cannibalisme dans «Hansel et Gretel». Ou de manière voilée, à travers un prisme psychanalytique. On vous fait un dessin? La tentation sexuelle dans «Le Petit Chaperon rouge». L’affirmation phallique dans «Jack et le haricot magique». Sans parler de la puberté et des menstruations dans l'angélique «Blanche-Neige»…

Aide en psychothérapie

Ainsi, le conte constitue le chemin balisé par excellence pour aborder ces sujets, toujours aussi délicats, voire tabous. «Il offre en effet des schémas connus par un très grand nombre de gens, donc rassurants. Cela permet d’évoquer de nombreuses thématiques réputées difficiles sans prendre trop de risques», avance Sarah Sépulchre. De plus, souvent brèves et présentant peu de personnages, ces histoires sont une aubaine pour développer sa propre créativité. «Il suffit de combler les vides autour de la trame de base», précise Cyrille François. En se réappropriant l’histoire de Barbe-Bleue, qui tue ses épouses successives, l’écrivaine québécoise Audrée Wilhelmy a ainsi pu explorer les liaisons parfois dangereuses entre violence, soumission et désir féminin dans son roman Les sangs (Ed. Gallimard, 2015). Toujours au rayon littérature, Christine Angot exorcisait son probable propre vécu traumatique avec un remake glaçant de «Peau d’âne»… Pas vraiment un hasard, puisque les contes sont de plus en plus utilisés en psychothérapie. «Ils n’ont jamais eu une valeur pédagogique, mais plutôt thérapeutique, note le psychologue valaisan Alain Valterio, en activant une énergie qui permet d’affronter les dangers de la vie.»

Reste qu’ils ne nous aident pas seulement à négocier des dérapages contrôlés. Outre leur fréquente odeur de soufre, les contes invitent aussi, tout simplement, au rêve, à l’évasion. «Au 19e siècle, nombre d’entre eux furent adaptés au théâtre et à l’opéra, renseigne Cyrille François. Ils offraient une dimension merveilleuse, un cadre luxuriant, très recherchés à l’époque.» Notamment par les élites, en quête de divertissement onirique. Tout ça, c’était il y a 150 ans. Et aujourd’hui? Il y aurait comme un doux parfum de nostalgie. «Si l’on assiste à un tel engouement pour ces histoires, c’est parce qu’elles coïncident souvent avec des expériences liées à l’enfance, elles renvoient à un passé plaisant, analyse Nathalie Blanc. Au quotidien, nous sommes confrontés à une multitude d’émotions qu’il faut de plus en plus contrôler. Or, dans le conte, nous pouvons lâcher prise, car nous nous trouvons en territoire connu, réconfortant.»

Cocons temporels

Une tendance «fantasy» connotée magie enfantine qui s’enracine probablement dans les années 2000, via la trilogie du «Seigneur des Anneaux», et également «Harry Potter». L’agitation autour des «Animaux fantastiques», sortis à l'automne 2016, prouve à quel point les gens sont toujours à la poursuite d’émotions colorées par l’affectif et le surnaturel. «Nous vivons une ère où nous avons tous besoin d’un peu de réenchantement, lance Sarah Sépulchre. Les années 30 et 70 furent des périodes assez similaires, avec des productions lorgnant sur le merveilleux. C’était là aussi des moments d’instabilité économique et politique. Des époques charnières.»

La soif de contes comme témoignage d’une crainte devant l’inconnu, l’hypothèse est tentante. Et suivie par Alain Valterio. «Les monstres et les figures autoritaires symbolisent les épreuves que le Moi doit endurer pour acquérir son statut de héros. Le héros, lui, est celui qui fait son chemin, or, il ne saurait y avoir de chemin où l’on ne risque pas de rencontrer des monstres. Le merveilleux résulte alors d’une victoire sur le monstre, et non de son absence.» Au fond, ce que nous murmurent les contes, c’est qu’embrasser le bonheur (ou une princesse) n’est jamais aussi intense qu’après avoir osé traverser une obscure forêt.

Des films, des défilés, ... tirés de contes...

Maléfique, 2014 Avec ce film, c’est la première fois qu’une œuvre se penche sur la psychologie tourmentée de la sorcière dans «La Belle au bois dormant», ici incarnée par Angelina Jolie.

Mirror, Mirror, 2012 Une version plutôt feel good de l’histoire de Blanche-Neige, mais où la palme du charisme revient à la marâtre. Il faut avouer que la tendre Lily Collins ne fait pas le poids face à une Julia Roberts en très grande forme.

Alice de l’autre côté du miroir, 2016 Après un premier opus réalisé par Tim Burton en 2010, James Bobin relance les aventures de la jeune fille contées par Lewis Carroll. Johnny Depp et Mia Wasikowska sont encore de la partie.


©DR; Imaxtree

Défilé Versace, Automne/hiver 2015-2016 Couronnes végétales, robes de princesse tout droit sorties du dressing d’un château légendaire, le créateur italien tisse sa vision du merveilleux.


©WaltDisney

La Belle et la Bête, 2017 Enfin débarrassée de son étiquette d’Hermione, devenue icône féministe, Emma Watson retourne fréquenter l’univers magique avec ce remake disneysien qui promet d’être (un poil trop) gentillet.

Into the Woods, 2014 A la manière de la série «Once Upon a Time», ce long-métrage du réalisateur de «Nine» conjugue les trames de plusieurs contes. Avec Meryl Streep, Emily Blunt et… Johnny Depp, again.


©DR; Imaxtree

Défilé Dolce e Gabbana, Automne/hiver 2016-2017 Dessins de pommes, miroirs, reines, nains… Des robes qui convoquent le conte de Blanche-Neige.


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