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Valérie Lemercier défend les jeunes queer dans «L’arche de Noé»

Valerie lemercier saltimbanque hyperactive a laffiche de larche de noe

Dramatique, comique ou pas drôle du tout, Valérie Lemercier ne cherche pas à donner d’elle une image lisse.

© ELIPH PRODUCTIONS ADNP UGC IMAGES TF1 STUDIO

À la fois populaire et hors-champ, Valérie Lemercier s’est taillé une place d’honneur dans le paysage du cinéma français. Mais pas que. Ses sketchs – qui n’ont pas pris une ride – demeurent des grands favoris des fins de soirées entre copains sur YouTube. Elle nous avait quitté-e-s dans la peau d’Aline, clone de Céline Dion dans la fresque cinématographique réalisée par ses soins qui retrace la vie de la chanteuse canadienne. Un succès fulgurant auprès du public qui n’avait pas plu à la famille de la principale intéressée. On ne peut pas plaire à tout le monde.

Sorti le 29 novembre 2023 en Suisse romande, L’arche de Noé, premier long métrage de Bryan Marciano, dévoile une Valérie Lemercier à contre-emploi. Directrice d’une association qui accueille des jeunes LGBTI+ en difficulté et les aide à se réinsérer, Noëlle est une dure à cuire. Sous son anorak, elle s’est forgé une carapace pour éviter de s’effondrer, foudroyée d’émotions. Cadenassé à double tour dans sa solitude, le personnage sonne vrai dans une interprétation dépouillée de tout maniérisme.

Les étiquettes, elle s’en fout

«Je n’avais pas tellement envie de tourner la page en sortant d’Aline, confesse-t-elle dans le salon d’un palace lausannois où elle et le réalisateur sont venus rencontrer la presse romande. Les propositions qu’on m’envoyait me tombaient des mains. Je ne connaissais pas Bryan, ni les séries qu’il avait faites, mais son scénario m’a touchée. J’aimais le personnage, qui me ressemble un peu. Comme Noëlle, je ne suis pas trop câlin et je ne suis pas du style à faire la bise à tout le monde en arrivant sur le plateau le matin.»

Dramatique, comique ou pas drôle du tout, les étiquettes, Valérie Lemercier s’en fout. Elle ne carbure qu’à la sincérité. Dans le cas présent, tramé sur un fil du tragicomique et vice versa, le long métrage retrace les errances et les mésaventures de jeunes gens rejetés et précarisés par la société. Peu réjouissant sur le papier, le scénario donne lieu à des situations cocasses dans lesquelles fusent les vannes des jeunes entre eux, dont une partie jouent leur propre rôle. Bravant le quotidien de cette association qui, comme l’arche de Noé, prend l’eau de partout et est pleine de courants d’air en hiver, Noëlle et son équipe parviennent à éviter des lendemains douloureux aux ados de passage. Et aux spectateurs.

«La rigolade permet d’alléger des situations parfois très tendues dans une communauté. Parmi les jeunes, certains vivaient véritablement des situations précaires. Ce tournage était un moment un peu suspendu.»

Un rôle sans masque

Contrairement à Aline, pauvre diva ultrariche qui se perd dans le dédale de sa tour d’ivoire à Las Vegas, Noëlle mène sa barque d’assistante sociale avec trois bouts de ficelles. Un rôle qui permet à l’actrice de se livrer sans masque. À 59 ans, l’heure est venue de lâcher prise. L’arche de Noé, c’est un peu l’arche de Noëlle. «C’est ce que je dis à Bryan! Le film aurait dû s’appeler L’arche de Noëlle, s’écrie-t-elle en riant. Noëlle est comme la mère canard avec sa grande cape en plastique sur laquelle l’eau coule.»

Pour se préparer au rôle, Valérie Lemercier se laisse porter par le casting, en immersion totale, loin de tout star-système.

«La moitié n’avait jamais entendu parler de moi. Ils passaient des coups de fil pendant les prises, des trucs qu’on ne voit jamais! Ça vous remet d’équerre. J’ai aimé parler avec eux, les observer et passer du temps ensemble.»

Une réalité souvent très violente

Soucieux d’être au plus proche du réel et de ses limites, Bryan Marciano et son équipe ont observé l’équipe de la fondation parisienne Le Refuge, qui vient en aide aux jeunes LGBTI+, à l’œuvre: autant leur travail auprès des ados au sein de la structure que quand ils les accompagnent au supermarché. Des circonstances qui inspireront les scènes où Noëlle cadre ses jeunes dans les rayons telle une colonelle tenant d’une main de fer son budget ric-rac. «Aux clients qui nous regardaient de travers dans les magasins, j’avais envie de dire: ben quoi, c’est nous, on est comme ça! Un jour, une des filles a perdu un de ses faux ongles de cinq centimètres dans les pop-corn, cela a donné lieu à une situation chaotique vraiment drôle. Notre petite bande était merveilleuse, les jeunes avaient tous appris leurs textes. On était tous sur le même bateau. À l’opposé du silence qui se faisait dès que Catherine Deneuve arrivait sur le tournage de Palais Royal, se réjouit-elle.

Dans la vraie vie, les jeunes LGBTI+ se fracassent contre une réalité souvent très violente. L’intention du film est de dévoiler sans fard leur force de caractère forgée au cœur de ces destinées ardues. Dans une scène, Noëlle explique à Alex (Finnegan Oldfield, César du meilleur espoir masculin pour Les Cowboys, ndlr.), une nouvelle recrue, qu’ils sont là pour partir. Mais tous ne sont pas égaux dans ce programme de réinsertion: «Un sur cent, c’est mieux que zéro.» Porteuse d’un constat glaçant, la comédienne se révèle dans un registre dur qui renonce à toute séduction. «Dans les films, je cherche à faire partie des murs pour éviter de faire tache. Il arrive souvent que je ne croie pas à un personnage quand je regarde un film. Alors j’essaie d’être transparente et de me fondre dans le décor, comme un caméléon.»

Au casting de «L'arche de Noé», on retrouve notamment l'acteur Finnegan Oldfield (à gauche de Valérie Lemercier), César du meilleur espoir masculin pour «Les Cowboys». © UGC DISTRIBUTION

Les frites du réconfort

Pour pallier ses angoisses et éviter de gamberger quand elle ne tourne pas, Valérie Lemercier est dans l’action. «J’ai un côté hyperactif, j’aime bien faire, toujours, fabriquer. Je fuis l’introspection. Depuis petite, je me sens du côté des freaks et j’aime bien ça. J’ai choisi une vie de saltimbanque. Je fais du théâtre pour ne pas être invitée à dîner, je ne comprends pas ce que je fais chez moi à 20 h, c’est l’heure à laquelle je dois être sur scène. C’est ça ma vie, pas les mondanités.»

À propos de manger, l’artiste trouve du réconfort en grignotant lorsqu’elle ne se sent pas dans son assiette. «Pour moi qui ai peur de sortir de chez moi et de prendre l’avion, la nourriture est un refuge. Comme Aline, il m’arrive de prendre mes repas devant le miroir le soir. Non pas pour me regarder, mais parce que ma vie n’est pas celle d’une bourgeoise qui mange sur une nappe blanche. Mon repas préféré? Des huîtres, des frites et de la chantilly, on trouve ça en brasserie. J’adore. Ce n’est pas forcément diététique, mais on s’en fout.»

Le réalisateur du film n’avait que 7 ans quand elle chantait Goûte mes frites en 1996. Elle se souvient de la visite de sa mère sur le plateau: «Elle m’a dit qu’elle était enceinte quand elle est venue voir mon premier spectacle. Bryan a entendu ma voix avant de naître, dans le ventre de sa mère, c’est drôle!» «… Et je m’en souviens!» s’exclame le réalisateur dont l’oreille traîne toujours au bon endroit.

À voir: L’arche de Noé, de Bryan Marciano, avec Valérie Lemercier, Finnegan Oldfield, Elsa Guedj (1 h 45). En salle.

Cet article a été initialement publié dans Le Matin Dimanche le 3 décembre 2023.

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