culture
Madonna: Notre avis sur le Celebration Tour
L'avis d'Alexandre Lanz, rédacteur en chef adjoint, à Paris
«Êtes-vous prêts à embarquer dans un voyage avec moi? Celui de ma vie, plus de quatre décennies en musique.» Lundi 20 novembre 2023, c’est avec ces mots – poignants – que Madonna entame le dernier show parisien de son bien nommé Celebration Tour à l’Accor Arena. Dans son vaisseau fantastique fendant les époques durant plus de deux heures, l’artiste italo-américaine revisite la genèse de sa propre légende. Sans un sou mais avec un rêve plus gros que le monde, la future superstar débarque à New York à 20 ans. L’enfant orpheline de mère à 5 ans devenue mère de six enfants a une revanche à prendre sur la vie. Elle n’en finira pas de vouloir être aimée. Jamais assez, jamais rassasiée.
Paris, sa ville de cœur
Depuis toujours, l’interprète de Material Girl représente le rêve et le cauchemar américain. Elle a su tourner à son avantage cette ambivalence pour en faire sa signature. En 2023, l’incarnation de cette survivante sur scène devient spectrale. Une bad girl, une vraie. Une rebelle devant l’Éternel. Le feu sacré qui l’a démarqué de ses concurrentes au commencement est resté ardent.
Cette experte du coup de théâtre réussit l’exploit de faire taire les sales langues pressées de l’envoyer faire la siesta avec les seniors. Sublime dans les costumes conçus par Jean Paul Gaultier, Donatella Versace et Guram Gvasalia de la marque VETEMENTS comme autant de clins d’œil à ses mille et une vies, elle prouve que son charisme scénique est intact, voire décuplé. Mais pas seulement. Le Celebration Tour est une sorte de fabuleux cabaret contemporain, où tous les sens bouillonnent comme dans un big-bang sonique. Un opéra pop sans précédent, une autobiographie signée en live, chorégraphiée par une clique queer menée tambour battant par Bob The Drag Queen.
Tout éventail dehors, l’auguste de la star se glisse dans la peau d’une autre reine proche de Paris à sa mesure, Marie-Antoinette. «J’aime jouer ici, malgré mon mauvais français, je sens que vous me comprenez»: Madonna a tout donné dans sa ville de cœur. Paris, où, quarante-cinq ans après avoir dansé derrière Patrick Hernandez sur son tube Born to Be Alive, elle faisait vibrer une salle tout entière, ainsi que mon ami Dave et moi-même, dans sa version acoustique du classique de Gloria Gaynor, I Will Survive.
L'avis de Bruna Lacerda, cheffe mode, à Lisbonne
Je suis née la même année que Madonna: 1983, date de sortie de son premier album, intitulé Madonna. Sa musique a toujours été en background. Madonna, c’est Madonna. La référence et l’icône ultime. Donc, quand j’entends qu’elle va démarrer une tournée mondiale, pour célébrer ses 40 ans de carrière, donc mes 40 ans, je ne me pose pas de questions. Je veux la voir! Dès la mise en vente des tickets, je vise Lisbonne, c’est mon pays de naissance et ma ville d’adoption. Une fois mon sésame en main, je frime quand même un peu: «Euh, je vais voir Madonna, ouais, c’est cool…» Parce que pour moi, elle est cool. Mais les retours sont variés de «Ah, génial!» à «Elle fait encore de la musique?» en passant par «T’as vu son visage? On la reconnaît plus!» Mais soulagement, aucun «C’est qui?»
L’authentique pop star
Arrive le jour du concert tant attendu, je n’y crois pas. Il a fallu tout de même patienter 1 h 30 avant l’arrivée sur scène de la star, qui a démarré le show avec Nothing Really Matters. Dès les premières notes, plus rien n’avait effectivement d’importance. Son spectacle est l’histoire de sa vie. «Je raconte par la musique, la danse et la mode, mes histoires de vie, de mort, de joie, de désespoir et de rédemption», comme elle l’exprime pendant le concert. Bob the Drag Queen, le maître de cérémonie, nous guide à travers différents tableaux visuels et musicaux. On est dans une sorte de comédie musicale où défilent les personnages qu’elle a incarnés au fil du temps. De l’ère Like a Virgin de ses débuts, à l’aura mystique de Ray of Light en passant par la blonde subversive de Blond Ambition Tour.
Elle nous a rappelés qui était Madonna. Du haut de ses 65 ans, parfois la voix chevrotante, on décèle une authenticité malgré parfois l’excès de la scénographie. Elle chante, danse, change de costumes, joue avec son public. Et tous ses thèmes de prédilection, sexe, religion, pouvoir ainsi que la défense des droits LGBTQIA+, y passent. Elle met ainsi les points sur les «i» en nous rappelant qui a ouvert la voie aux jeunes pop stars. Elle a donc bien raison de s’autocélébrer! Petit bonus pour moi, elle a évoqué les quelques années où elle a vécu à Lisbonne et a chanté quelques couplets de Sodade de Cesária Evora, pour évoquer sa nostalgie du pays. Obrigada!
Madonna, alliée jusqu’au bout
Burning Up, Everybody, Into The Groove: durant le show, après ses débuts mémorables célébrant la libération des corps, Madonna enchaîne sur Holiday, son hymne à l’insouciance sorti en 1983. Au détour d’une boule à facettes géante, elle termine sa chanson sur une note grave, recouvre le corps d’un homme inerte de son manteau doublé des dessins de Keith Haring… D’un coup, les années 80, symbolisées par leurs excès, s’assombrissent. À l’horizon, le spectre de l’épidémie du sida qui décime toute une génération d’hommes gays.
Après les mesures de In This Life, sa chanson en hommage à ses proches disparus trop tôt, Madonna entame Live To Tell en s’envolant dans les airs à mesure qu’apparaissent aux quatre coins de la salle les portraits en noir et blanc de ses amis, Keith Haring, Martin Burgoyne et Herb Ritts, ainsi que les visages des chanteurs Sylvester et Freddie Mercury, auxquels s’ajoutent les visages de milliers d’inconnus emportés par le virus du VIH recueillis sur le compte Instagram The Aids Memorial. Là où d’autres en ont profité pour redorer leur blason, Madonna a prouvé dès l’origine de la tragédie qu’elle est une vraie et sincère alliée.