portrait
Nuit Incolore signe un 1er album bluffant et profond
Nuit Incolore vient d’être sacré révélation francophone de l’année aux NRJ Music Awards (le 10 novembre 2023, ndlr). Une première pour un artiste suisse. Tout va très vite pour le musicien valaisan, qui vient de sortir son premier album, La loi du papillon. À 22 ans, Théo Marclay prend garde, dit-il, à ne pas se «cramer les ailes». Installé dans le lobby d’un hôtel lausannois, il revient sur cette récente victoire qu’il savoure malgré son goût amer.
J’ai ce délire utopique où je souhaiterais que tout le monde gagne. En tant que vainqueur, ça m’a fait un pincement au cœur pour les autres candidats en lice, Calema, Bianca Costa, Chiloo, Joseph Kamel et Vacra. Je me suis empressé de les prendre dans mes bras. Je me suis presque excusé.» Cette humilité, il la met sur le compte d’être Suisse, justement. La bonne éducation.
Grandeur d’âme
Fait assez rare qui mérite d’être mentionné, en plein marathon promo de son disque, Théo Marclay commence lui-même par poser des questions: «Déjà, comment allez-vous?» La question est aussi simple que déroutante dans le contexte minuté de l’interview. S’ensuivront d’autres qui esquissent une discussion empreinte de passion. Ce trait de caractère démontre bien sa grandeur d’âme. Et c’est précisément d’âme qu’il est question dans ce premier album très symphonique sur lequel se distinguent 16 chansons dans une orchestration sombre et mélancolique. Reflet de l’époque. Ses textes ciselés avec une précision d’orfèvre vont droit au cœur.
Théo Marclay serait-il une vieille âme? «C’est beau, une vieille âme. Mais dans le cas de Nuit Incolore, je pense qu’il s’agit plutôt d’une âme qui cherche à comprendre et à se dévoiler sans vouloir trop forcer les choses. La loi du papillon parle du parcours de mon âme et son évolution, en partant du Vietnam où j’ai été adopté, jusqu’à présent sous les projecteurs en Europe. C’est l’envol du papillon en quête de ses propres racines que je désirais mettre en avant dans l’album.»
L’appel de l’Asie
Âgé de 5 mois, il quitte le Vietnam avec ses parents en direction de Martigny et n’y retourne, en famille, qu’à 11 ans. À travers ses yeux d’enfant, ce voyage s’apparente plus à du tourisme qu’à une immersion sur la trace de ses racines. Mais la graine est semée. À 18 ans, l’attraction de sa terre d’origine se fait ressentir. «Cet appel de l’Asie m’habite, je m’inspire beaucoup de la culture japonaise. Tout dépend de l’environnement dans lequel on évolue et du racisme que l’on peut subir, les questions finissent toujours par surgir, tôt ou tard.
J’ai aussi eu la chance que mes parents m’aient toujours parlé sans détour de mes origines.» Dans Dépassé, son single paru en 2022 figurant sur l’album, il imagine ce qu’aurait pu être sa vie s’il était resté au Vietnam en 2001. Cette discussion interroge son identité. Une constante avec laquelle il apprend à composer la nuit, durant la pandémie. Plutôt que tuer le temps devant Netflix, il se met à écrire en quête d’exutoire à ses angoisses. La loi du papillon est la destination de ses voyages nocturnes introspectifs. C’est d’ailleurs de ces nuits qu’il tire son nom – «nuit noire ou nuit blanche me semblaient trop banales, j’ai opté pour incolore».
Charles Aznavour et Justin Bieber
Il a beau ne pas se considérer comme une vieille âme, Théo Marclay puise son inspiration auprès d’artistes d’un autre temps. C’est dans le magasin de musique tenu par ses parents à Martigny que son éveil musical se produit. Également là qu’il découvre Charles Aznavour, à l’âge où d’autres sont biberonnés des tubes de Justin Bieber. Saisi par les textes de l’artiste franco-arménien, il s’immerge dans son œuvre luxuriante. «Au début, je ne comprenais pas ce qu’il chantait et je me demandais pourquoi il roulait les r. Il a cette façon de prononcer les mots très différente et vient d’une époque où l’on prenait soin de la langue française. Sa musique et ses textes m’ont accompagné durant ma croissance, je le perçois comme un bon vivant. Charles Aznavour est une sorte de patrimoine.» Encouragé par ses parents, il commence le piano au conservatoire.
L’envol, qui entame le disque, se clôt par ces mots prophétiques: «Derrière, j’ai ce papillon qui me répète encore et encore, souviens-toi que tu vas mourir.» Songe-t-il déjà à la mort? «C’est une sorte de mémento, un peu Carpe Diem, et une façon ancestrale de se rappeler qu’il faut profiter de chacune de nos actions avant que l’on ne soit plus. À 22 ans, je sens plutôt cette envie de découvrir et d’apprendre.»
Passion pour la mode
Parmi ses autres artistes de référence figurent Alfred Hitchcock et Tim Burton. L’aspect visuel de son travail compte à ses yeux. Il estime que les émotions s’assimilent plus intensément en touchant tous les sens. «Mêler le texte à la mélodie n’est pas moins important que l’image à la chanson. Sans être perché, je le vois comme une complétude de l’art.»
Vêtu d’une large chemise noire zippée dans tous les sens, dont la fermeture éclair se termine par un curseur en forme d’étoile, il travaille sa propre image en nourrissant sa passion pour la mode. Ce n’est pas tant le prestige des grandes maisons qui l’impressionne, il préfère les petites, qu’il considère comme plus puristes. «Le collier que je porte, je l’ai acheté quand j’ai signé en maison de disques il y a deux ans. J’aime ce qui est fait maison, les pièces uniques. C’est ma manière de contribuer à mettre en avant les communautés des invisibles, au même titre que les Asiatiques, encore trop peu présents dans le paysage de la musique francophone.»
À écouter: La loi du papillon, Nuit Incolore (Cinq 7). Duo avec Kyo, Je cours, à l'occasion de la réédition collector de l'album Le chemin.
Cet article a été initialement publié dans Le Matin Dimanche le 26 novembre 2023.
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