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«Mon petit renne»: La série anglaise choc sur le harcèlement
Son titre, Mon petit renne (Baby Reindeer en version anglaise), pourrait laisser croire qu’il s'agit d'un gentil téléfilm de Noël sorti par erreur en plein milieu du printemps. Mais cette série est tout sauf un conte qui vend du rêve. Harcèlement, agression sexuelle, dépression, galère financière, le programme n’est pas franchement dans le mood des romances télévisuelles des fêtes de fin d'année.
Débarquée sur la plateforme Netflix le 11 avril 2024 sans tambours ni trompettes, la production britannique est presque aussitôt devenue la série la plus visionnée en Suisse quelques jours après sa sortie. Pas de casse-têtes astrophysiques comme dans Le problème à trois corps, pas d'hilarantes intrigues de polar imbriquées les unes dans les autres comme dans The Gentlemen, autres succès Netflix du moment: Mon petit renne est d’abord une histoire simple et véridique, portée à l’écran et interprétée par celui qui en fut le malheureux protagoniste dans la vraie vie.
Une autobiographie filmique dont les sept chapitres, aussi touchants que dérangeants, narrent la généalogie d’un harcèlement qui se transforme en enfer de poche, où la stalkeuse et sa victime s’entraînent mutuellement, au fil des mois, dans un tourbillon hors de contrôle.
Idylle à sens unique
On y suit le parcours de Donald «Donny» Dunn, un vingtenaire un peu paumé dont le visage a toujours l'air de s'excuser d'exister, cherchant sa voie sous la grisaille de banlieue, ici celle de Londres. Donny, donc, rêve de devenir humoriste, mais le destin semble hésiter à lui dérouler le tapis rouge. Ses vannes sur scènes sont-elles justes nulles, ou est-ce le public qui ne comprend rien à son humour british un peu conceptuel?
En attendant d'y voir plus clair, l'aspirant artiste sert des pintes de bière dans un pub vaguement fréquenté, entre deux stand-ups foireux. C'est là qu'il rencontre une certaine Martha (Jessica Gunning), pétulante quadra visiblement aussi perdue que lui, venue en mode cliente désespérée. Ces deux électrons éjectés de leur orbite atomique et errant dans l'univers semblent se comprendre. Mais l'étrange relation de complicité amicale va très vite devenir toxique.
Et pour cause: Martha est en fait une harceleuse professionnelle, au casier judiciaire homérique. Sans avoir le temps de s'en rendre compte, Donny se retrouve aspiré dans une idylle à sens unique où Martha lui voue un culte de la personnalité terrifiant. Impossible à raisonner, cette prétendue avocate le suit partout, lui envoie des dizaines de messages par jour et le surnomme mon petit renne, sans qu'il sache pourquoi on le compare soudain compulsivement à un bébé cervidé.
Virtuose de la manipulation, sa stalkeuse souffle subtilement le chaud et le froid, alternant mots doux et menaces de le trucider dans un même mail, allant jusqu'à agresser sa petite amie Teri (Nava Mau). Après six mois infernaux, le jeune homme se décide enfin à tout raconter à la police. Sauf que cette visite au commissariat ne sera pas la fin de son calvaire...
Comme une symbiose malsaine
On l'avoue, devant notre écran, on a un peu envie de le secouer au début, ce Donny, tant il paraît fataliste et un peu mou. On aimerait le voir se rebeller, se battre contre cette adversité asphyxiante qui surgit tout à coup dans son métro-boulot-dodo. Un personnage d'anti-héros monocorde, toujours la tête basse, qui semble se satisfaire d'être une balle de ping-pong continuellement smashée par l'existence.
Puis, au fil des épisodes, on s'aperçoit que les choses sont bien plus complexes et tragiques qu'au premier abord. Et si ce harcèlement avait une prise sur lui parce que de terribles événements passés avaient générés des failles, des plaies béantes dans son être? Et si Donny se nourrissait un peu de cette obsession malsaine dont il fait l'objet, comme un remède illusoire à ses démons personnels, et faisait en sorte d'entretenir le supplice?
C'est cette curieuse mécanique du harcèlement que Richard Gadd, auteur de la série et interprète de Donny, prend le temps de décortiquer minutieusement, telle une dissection scientifique des relations humaines. S'il connaît si bien les ressorts pourris de cette machinerie dramatique, c'est parce qu'il l'a expérimentée lui-même. Mon petit renne est en effet le récit quasi documentaire de ce qu'a vécu ce comédien et scénariste britannique au début de sa carrière.
Aussi des victimes masculines
Avant de gagner plusieurs prix et de participer à l'écriture de la série britannique culte Sex Education, Richard Gadd a en effet traversé ce triste désert où dèche, harcèlement et violences sexuelles ont structuré son quotidien.
Alors que la parole #MeTooGarçons commence enfin à se faire entendre, Mon petit renne illustre à quel point les victimes masculines d'agressions et de harcèlement peinent encore à être crédibles aux yeux des autorités et de la société. Parce qu'un homme, voyons, c'est viril, et cette virilité l'empêche théoriquement d'être violé, abusé psychologiquement ou réduit en miette par la dévalorisation de soi.
Mon petit renne, c'est une série dont nous non plus, on ne ressort pas complètement indemne, en particulier après le monologue final, bouleversant, de Donny sur scène, où les vaines tentatives d'humour laissent soudain place à un véritable cri existentiel qui retentira jusque sur les immensités d'internet. Une renaissance autant qu'une naissance tout court en direct, celle d'un artiste qui fait sauter sa carapace et dit: je souffre donc je suis.
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