Dessin inclusif
Catherine Louis, l’art et le cœur
Pendant que la pandémie paralyse le monde, Catherine Louis, elle, n’a jamais cessé de voyager par le biais de ses dessins. Depuis son atelier de La Chaux-de-Fonds qu’elle affectionne tant, la native de La Neuveville jette des ponts vers l’Orient, l’une de ses grandes sources d’inspiration esthétique, ou encore vers Gênes, qui l’avait accueillie fin 2019 pour une résidence d’artiste après avoir décroché une bourse.
De ce séjour italien qui dura trois mois est né un travail original: des instantanés en noir et blanc croqués au format carré, résultats d’un regard porté sur les choses avec un cadrage quasi photographique. «J’ai trouvé ça génial d’avoir tout un automne rien que pour moi, j’avais enfin le temps de réfléchir, après trente années passées à travailler sans relâche et à élever mes enfants, raconte l’illustratrice. Je suis alors partie là-bas avec des blocs de contreplaqué sur lesquels était collé du linoléum, et c’est devenu la colonne vertébrale de mon travail sur place.»
De l’indicible à l’invisible
Dans les bistrots, dans les rues, elle écoute, observe et tente chaque soir de saisir par une gravure très épurée l’image la plus marquante de sa journée. Chaque œuvre est ainsi «un souvenir, une scène vécue», explique-t-elle. Un travail qui aurait dû s’exposer en France au printemps, mais l’épidémie, jouant les prolongations, a repoussé l’événement vers un horizon indéfini. Parenthèse dont Catherine Louis profite toutefois pour revenir à ses premières amours: les livres illustrés pour la jeunesse. «Je planche sur un ouvrage consacré au handicap, qui mettra en scène un lapin en fauteuil roulant. Il s’agit du troisième opus d’une série abordant le thème de la différence.» En 2020, en collaboration avec l’auteure Marie Sellier, elle avait ainsi publié L’île de Victor, un livre destiné à sensibiliser les 6-12 ans à la question de l’autisme.
École de l’humilité
Deux années plus tôt, elle avait signé, toujours à quatre mains avec Marie Sellier, le touchant Les yeux de Bianca (Ed. Loisirs et Pédagogie), récit d’une petite fille privée de la vue et désireuse de découvrir le monde par tous les autres sens à sa disposition, même les plus inattendus. Texte intégralement en braille, dessins imprimés en relief. Les deux auteures travaillent en lien étroit avec le Centre pédagogique pour enfants handicapés de la vue, à Lausanne.
J’ai passé beaucoup de temps avec une personne de l’école de Lausanne, qui m’a accompagnée dans ce projet. Elle m’a appris à avancer dans cette voie avec humilité.» Jusqu’à découvrir qu’on ne perçoit pas forcément un dessin de la même manière avec les yeux ou avec la pulpe des doigts: «Je me souviens notamment d’une remarque très enrichissante qu’elle m’a faite lorsque je planchais, au départ, sur l’idée d’un petit chaperon blanc. Je venais de dessiner une forêt, en relief comme tous les dessins de ce projet. Mais après avoir passé ses doigts dessus, elle était persuadée d’avoir affaire aux barreaux d’une prison. J’avais en fait dessiné mes arbres bien trop verticaux et trop réguliers.
J’ai compris qu’il fallait jouer davantage sur les variations et les nuances des troncs pour rendre l’aspect d’une forêt. Sur une autre planche, une petite fille représentée avec une écharpe au vent avait finalement été perçue comme ayant quatre bras.
La force du braille
Outre l’approche totalement nouvelle nécessitée par ces dessins, le livre posa un autre challenge, technique cette fois, pour sa réalisation: l’impression en braille. Les ouvrages rédigés avec ce système d’écriture demeurent rares et peu d’entreprises détiennent le savoir-faire pour mener à bien de tels projets. «De plus en plus d’enfants malvoyants n’ont plus tellement envie d’apprendre le braille, parce qu’ils ont en leur possession des dispositifs de reconnaissance vocale et de lecture automatique avec leurs tablettes, constate l’illustratrice. Pourtant, on m’a dit que les professeurs essayent de leur faire comprendre que son apprentissage est important pour la vie de tous les jours.»
Si la parution du prochain livre de Catherine Louis sur le petit lapin en fauteuil roulant est, comme sa nouvelle exposition, également reportée, on s’interroge: y aura-t-il après cela un quatrième ouvrage illustré sur le sujet du handicap, de l’altérité?
«C’est vrai, je m’intéresse beaucoup aux gens mis un peu à la marge de la société en général et aux enfants concernés par ces questions en particulier. Les classes spéciales m’inspirent. J’ai eu l’occasion de faire des interventions dans plusieurs d’entre elles, par exemple pour le livre L’île de Victor. Ces jeunes me fascinent par leur expression graphique, leur manière de voir le monde. Avec le braille également, tout un univers est caché dans ces points qui, pour moi, ne représentent que de la neige sous mes doigts.»
Tout un monde à inventer
Reste que dessiner pour les enfants, quels qu’ils soient, est un des moteurs créatifs de l’illustratrice. Le marché du livre jeunesse connaît certes un boom et instaure plus que jamais une concurrence sérieuse entre les artistes, au point que nombre d’entre eux ne peuvent plus en vivre. Mais malgré ce contexte plus difficile, Catherine Louis y est encore comme chez elle, y trouvant un sens à sa démarche de dessinatrice: «C’est un public extra, car curieux. Effectivement, je pourrais faire de la BD, mais je ne me vois pas me lancer sur des projets aussi longs.
A ce titre, je me réjouis que ma petite fille d’une année arrête de manger les livres et se mette à les lire!»
Vous avez aimé ce contenu? Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir tous nos nouveaux articles!