Mode
Rencontre avec les cheffes du magazine «L’étiquette Femme»
Pendant que Marie Ottavi peine à se loguer, Émilie Faure se remémore ses débuts en tant que stagiaire, puis assistante et styliste au sein de la rédaction du magazine de mode Citizen K pendant huit ans, avant de rejoindre le Figaro pour occuper le poste de cheffe de la rubrique mode femme. En 2022, elle dévoile les produits du studio de création 13 09 SR, la marque d’accessoires qu’elle a fondée avec le designer suisse Serge Ruffieux, un ancien de chez Dior.
Marie Ottavi nous rejoint sur son écran. En 2017, la journaliste de Libération publie un livre sur Jacques de Bascher, le grand amour de Karl Lagerfeld et la passion dévorante d’Yves Saint Laurent au début des années 80. Pour celle qui a fait ses armes au Parisien puis le mensuel Next de Libération, la mode est une source intarissable d’histoires romanesques à raconter.
FEMINA Vous lancez L’étiquette Femme, un magazine papier, en pleine crise de la presse. Est-ce le bon moment pour le faire?
Marie Ottavi: Le groupe So Press, l’éditeur indépendant auquel L’étiquette appartient, aime les vrais paris. Les lectrices de L’étiquette Homme – environ 30% du lectorat – souhaitaient qu’il se passe quelque chose du côté du vestiaire féminin. Les marques étaient très en demande également. Je pense qu’il y a de la place pour un titre comme L’étiquette, on le constate avec L’étiquette Homme qui existe sur le marché depuis six ans. Ce n’est pas un magazine qu’on lit et qu’on jette. On le garde.
Émilie Faure: C’est souvent dans les crises que naissent les meilleurs projets. L’enjeu est à mon sens de trouver un public. Dès le début, Marc Beaugé (ndlr: le directeur de la rédaction, rédacteur en chef de L’étiquette Homme et chroniqueur mode dans l’émission Quotidien sur TMC) prévoyait de sortir le magazine quand il serait prêt, sans aucune contrainte de calendrier. Sans l’impératif des défilés et des nouvelles collections, nous avons sorti ce premier numéro en mai, qui est un mois plutôt calme.
Vous formez une corédaction en chef. Comment fonctionne votre pôle?
Émilie Faure: Avec nous, il y a Lolita Jacobs qui s’occupe de la mode, et Caroline Sieurin qui est directrice artistique.
Comment s’est créé votre binôme?
Émilie Faure: Marc Beaugé a flairé notre complémentarité. Il existe une vraie volonté de rédactions en chef à deux têtes chez So Press. Marie et moi n’avions jamais travaillé ensemble.
Marie Ottavi: Notre binôme se révèle très calme face à l’adversité. C’est un pari que Marc a fait sur nous et c’était bien joué de sa part.
En quoi L’étiquette Femme est-il différent des autres magazines de mode?
Émilie Faure: Notre objectif, c’est le beau vêtement, pas la belle photo. C’est pour cette raison que nous travaillons toujours sur fond blanc. Le vêtement est ainsi mis en avant sans un décor qui pourrait l’amenuiser.
Que souhaitez-vous transmettre à votre lectorat?
Émilie Faure: Pour commencer, je souhaite lui donner l’envie de lire, de retrouver le goût du papier et du temps long. Pour moi, une lectrice qui retient ne serait-ce qu’une info dans le magazine, c’est déjà gagné. Et puis, j’espère créer une vraie complicité avec notre lectorat.
Marie Ottavi: Je souhaite donner envie de s’immerger dans une histoire des vêtements, sans que cela soit trop guindé ni trop snob, tout en restant exigeant. L’étiquette véhicule une certaine idée du style dans un esprit assez moderne et libre.
Vous faites très fort avec Marina Abramović et la Cicciolina dans le premier numéro. La brune cérébrale versus la blonde bombe sexuelle.
Marie Ottavi: Nous cherchions des personnalités fortes et rares. Ça n’a pas été facile à «décrocher», comme on dit dans notre jargon. Connaissant Marina, je savais que si elle acceptait, elle serait particulièrement généreuse. Elle comprend bien les enjeux et elle adore les vêtements, la mode. Quant à la Cicciolina, on ne l’avait pas entendue depuis longtemps, c’est génial qu’Émilie ait obtenu l’entretien!
Émilie Faure: C’était amusant car c’est générationnel. Nous, on connaît la Cicciolina, ce qui n’est pas forcément le cas d’une jeune femme de 25 ans. Nos graphistes par exemple ne connaissaient pas du tout son histoire.
Un dossier sur le magazine 20 ans figure au sommaire, qui comptait notamment Michel Houellebecq comme contributeur. Êtes-vous nostalgiques de cette presse irrévérencieuse?
Marie Ottavi: Absolument pas, me concernant. Mais ça reste iconique. Tant de lectrices nous disent aujourd’hui qu’elles ne rataient aucun numéro. C’était une équipe tellement inventive, libérée, ironique, intelligente et non conformiste. Quelque part, c’est un peu un phare dans la nuit.
Émilie Faure: J’étais très fan du 20 ans. Je suis née en 1980, donc j’ai connu ses bonnes années entre 1994 et 1998. Je le lisais quand j’étais au collège. Je n’étais pas spécialement attirée par les pages mode, plutôt par le côté psycho du magazine: j’adorais entrer dans l’intimité par le biais de témoignages. J’aimais aussi l’humour, que j’ai retrouvé plus tard dans l’editing de Voici. C’était rapide, intelligent et caustique.
Le premier numéro compile également 100 moments misogynes vestimentaires à travers le temps.
Marie Ottavi: Il est beaucoup moins intrusif de dire à un homme qu’il est de bon ton de s’habiller de telle ou telle façon qu’à une femme, encore aujourd’hui.
Les 100 moments misogynes, cela semble un peu militant, ça dit en tout cas quelque chose qu’on ne veut plus voir apparaître. C’est une sorte d’instant T pour mieux repartir.
Émilie Faure: Contrairement à la mode masculine qui est très fonctionnelle, où le vêtement s’explique et se justifie, la mode féminine a cette notion de plaisir et de superficialité assumée. Le récit n’est pas le même. Une femme va porter une jupe parce qu’elle l’aime ou apprécie le designer, pas parce qu’elle a trois poches, deux zips et une fermeture thermocollée. C’est une approche plus subjective et moins autoritaire.