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La boutique Maniak à Lausanne célèbre ses 40 ans

La boutique Maniak à Lausanne célèbre ses 40 ans

Babette Morand a cofondé la marque Maniak en 1983 et ouvert sa première boutique quatre ans plus tard.

© ANNE-LAURE LECHAT

Dans le premier tome de son roman Vernon Subutex sorti en 2015, Virginie Despentes confronte l’analogique au tout numérique. La fin des petits disquaires contre la déflagration des logiciels de streaming. Trop sagace pour porter un jugement qui mènerait à la sentence réac et sans retour du «c’était mieux avant», l’écrivaine française s’en tient à une posture d’observatrice caustique à qui rien n’échappe de son époque.

Célébrant ses 40 ans en 2023, la boutique Maniak à Lausanne trouve un écho direct dans le récit de Despentes. Au début des années 80, pendant que le antihéros fictionnel du roman vend des vinyles comme des brioches à Paris, Babette Morand dépose le nom de la marque Maniak flanquée de son complice Patrick Pasche. Ensemble, ces deux passionné-e-s ambitionnent de créer des collections de vêtements. Rien ne les arrête. Elle dessine les pièces que le duo fait ensuite produire en Italie, puis au Portugal.

«Nous étions gouverné-e-s par la curiosité. Patrick n’avait peur de rien. Il voyait un panneau d’usine de fabricant-e-s de sacs au Portugal, hop on y allait en parlant à peine le portugais.»

«On a fait de la bagagerie, des sous-vêtements, des manteaux, des t-shirts, des sweat-shirts et des petites vestes spencers coupées dans du tissu assez rough à l’esprit punk et new wave. Notre spécialité, c’était les costards et le fameux pantalon 20 plis, très David Bowie».

Quarante ans après les premiers pas de la marque, Babette se remémore les débuts de la saga sur une terrasse du quartier du Flon derrière ses lunettes de soleil Versace aux montures bleu cobalt. «Tout ce que j’ai fait dans ma vie, je l’ai appris sur le tas», confie-t-elle. Autodidacte assurément, mais guidée par un flair infaillible doublé d’un désir qui ne l’a jamais quittée. «Pour tenir longtemps, il faut avoir du flair. Le flair, on ne sait pas d’où il vient, mais il est là. C’est comme un chien qui trouve des truffes!», plaisante-t-elle.

Une histoire de famille

L’histoire de Maniak commence en 1983, avec des collections diffusées en Suisse, en France et en Allemagne. La première boutique ouvre quatre ans plus tard au Rôtillon, un quartier qui serait allé comme un perfecto en cuir noir à Vernon Subutex. Fifi, le frère de Babette, rejoint l’aventure en 1986. Aujourd’hui, il gère la boutique genevoise. Son autre frère, Toto, n’est jamais loin. Roi de la sneaker en Suisse, il officie dans son magasin Pomp It Up, non loin de l’emplacement actuel de Maniak. Quant à leur maman, elle a longtemps travaillé au magasin.

Inchangé depuis les débuts, le fameux logo de tête de mort jaune sur fond noir s’inscrit de façon indélébile dans l’inconscient collectif. Après une vingtaine d’années, Maniak cesse de produire ses propres collections pour se concentrer sur la vente de marques en boutiques.

La révolution queer

Comme les meilleures idées circulent parfois sans besoin d’en parler, la mode est faite d’un flux basé sur l’air du temps. Avant le rythme effréné de la fast fashion qui régurgite plus vite que son ombre ce qui marche chez ses concurrents, le secteur est obsédé par la créativité et l’anticonformisme. On parle alors d’avant-garde et le terme de marketing n’a pas encore intégré le lexique de la mode.

En 1983, pendant que Vivienne Westwood met la clé sous la porte de sa première boutique SEX à Londres, Jean Paul Gaultier s’amuse à brouiller les pistes des genres plusieurs décennies avant que les questions de visibilité des communautés queers ne soient verbalisées. «La révolution, c’est lui. Tout ce qu’il a proposé, c’est fascinant!» encense Babette en mentionnant une jupe pour homme Maniak dans les années 80. Partageant les mêmes valeurs que l’enfant terrible de la mode, elle profère:

«Dès le début, notre ambition était de réunir les minorités».

Fidèle à son credo, ce dernier n’a pas changé. Non seulement l’adresse lausannoise a survécu à l’arrivée des acteurs de la mode jetable, la boutique a aussi su garder sa pertinence à l’ère de la consommation en ligne. Le shopping est avant tout une expérience sociale. Et Maniak correspond à un «safe space», un lieu dans lequel tout le monde se côtoie en harmonie. Ce sentiment de sécurité est amplifié par l’équipe des sept employées et employés.

La boutique Maniak à Lausanne célèbre ses 40 ans
Les employé-e-s de la boutique ont accepté de jouer les mannequins d’un jour en total look Maniak. Virginie porte un jeans et un sweatshirt de seconde main, ainsi qu’une veste Vans. © ANNE-LAURE LECHAT
La boutique Maniak à Lausanne célèbre ses 40 ans
Kevin porte une combinaison femme Carhartt, une veste en mouton retourné seconde main et un collier, une boucle d’oreille et un bracelet Alchemy. © ANNE-LAURE LECHAT

La musique, muse de mode

Tout ce qui sépare musicalement le rock du grunge, de la new wave et du punk est réuni stylistiquement sous la bannière lausannoise. Puis arrive le rap qui va bouleverser la scène mondiale. Babette aime parler de tribus. «Les rappeurs et les rockeurs sont là depuis le début, ça n’a jamais posé de problème, se réjouit-elle. On a toujours été inspirés par Londres. En Angleterre, le style s’accompagne d’une vraie attitude.» Depuis des années qu’elle scrute la mode de près, Babette observe que c’est la musique qui impose le style. Pas l’inverse.

«Pour exister, les adolescent-e-s cherchent un style en se définissant avec la musique qu’ils et elles écoutent», analyse-t-elle.

Au tournant des années 90, le mouvement house né aux États-Unis déferle sur le monde. La Suisse n’est pas épargnée, où des DJ locaux, comme Djaimin et Mr Mike s’imposent sur l’échiquier international des superstars. La boutique fonde son propre label de disques. Côté house, le label produit Mr Mike et côté rap, les Lausannois de Sens Unik y produisent leurs premiers disques.

Maniak déménage au Flon en février 1991. «Quand on a découvert ce hangar, un vestige de l’expo nationale de 1964, Patrick a eu l’idée d’y faire son dépôt. Je l’ai rappelé le lendemain pour lui dire qu’on allait plutôt y emménager avec la boutique.» L’enseigne y restera jusqu’en 2004, avant de déménager dans les locaux qu’elle occupe actuellement.

Le nouveau souffle du vintage

L’année de ses 40 ans, Maniak jouit d’un engouement nouveau des jeunes générations pour des marques inscrites dans le workwear, telles que Carhartt, Dickies et Obey avec sa touche rebelle américaine. Depuis environ six ans, la boutique s’est lancée dans la fripe, qui rencontre également un bel écho auprès des plus jeunes.

En guise d’un épilogue augurant des lendemains qui chantent, Babette termine sur une note clairvoyante: «Quand tu as une boutique comme la nôtre, soit tu vieillis avec ta clientèle, soit tu parviens à la garder en la renouvelant en permanence. Chez Maniak, les premiers et premières client-e-s franchissent le pas de la porte à 15 ans, et puis ils et elles restent fidèles au fil des ans.»

La boutique Maniak à Lausanne célèbre ses 40 ans
Sophia porte un pantalon cargo Carhartt, un top en seconde main et une veste polaire Obey. © ANNE-LAURE LECHAT

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