témoignages
Médium de naissance, j’ai cru basculer dans la folie
Je vois les morts depuis mon plus jeune âge. Des esprits qui ressemblent à vous et à moi, sauf qu’ils portent parfois des costumes d’époques révolues. Petite, je croyais d’ailleurs qu’à la maison nous vivions plus nombreux que juste mes parents, mes deux sœurs et moi. C’est qu’il y avait toujours du passage: des enfants, des adultes, un couple qui devait être les premiers propriétaires du lieu au XVIIIe siècle...
A mes yeux, il n’y avait rien là d’anormal: ces personnes étaient réelles, elles faisaient partie de notre quotidien et je leur parlais régulièrement. Dans mon entourage, on ne s’en inquiétait pas outre mesure. On mettait ça sur le compte de mon imagination d’enfant. Fervents catholiques, mes parents étaient loin de deviner ce que je vivais.
C’est à l’école que c’est devenu un problème. Comme je continuais à m’adresser aux entités qui m’apparaissaient, j’étais pour mes camarades celle qui joue et discute seule dans le préau. Autrement dit: une folle qui «faisait peur». A cet âge-là, ça ne pardonne pas. Harcelée, humiliée, quand ce n’est battue, j’ai compris que j’étais différente et que cette différence était malvenue. Je me suis donc tue. Mes parents, qui ignoraient tout de mon calvaire, m’ont vue me transformer en gamine sauvage et renfrognée souffrant de maux multiples chaque fois que je devais quitter le cocon familial. Si le monde des esprits ne m’a jamais fait de mal, le monde réel, lui, me terrifiait. On m’a bien amenée voir un psy, mais il n’a pas su s’y prendre pour que l’adolescente que j’étais se confie...
Quel soulagement quand j’ai terminé ma scolarité! Affublée d’un look gothique, j’ai entamé des études artistiques. Est-ce lié à l’adolescence? La période était relativement calme du côté des défunts. Mais je restais hyperréceptive à tout ce qui m’entourait, avec le sentiment permanent d’être en décalage avec les autres.
Raconter l’irrecevable, enfin!
Et puis il y a eu une rupture amoureuse. J’avais 19 ans, j’étais déjà fragilisée par mon parcours. Alors soudain, seule dans mon petit studio, j’ai chuté: j’ai fait une tentative de suicide. Ratée. Puis suivie d’une longue longue rémission: des années de médication, dont une hospitalisation pour dépression morbide. Au début, je me mutilais. J’entendais des voix dans ma tête qui m’incitaient à me faire du mal. Rien à voir avec le type de «visites» que je recevais jusque-là. J’étais clairement malade.
A coup de neuroleptiques et d’antidépresseurs, les voix ont disparu. Les contacts avec l’au-delà aussi. Enfin, à force de patience et cette fois de bons thérapeutes, j’ai pu raconter ce que je vivais depuis mon enfance.
Côté corps médical, pendant un moment, il y a eu suspicion de schizophrénie – je l’ai su bien plus tard. On me posait des questions du style: avez-vous l’impression que les gens dans la rue vous veulent du mal? que la télé s’adresse à vous?... Au fil du traitement, cette piste a été abandonnée. Côté famille, c’était la première fois que j’en parlais. Mon père a tout rejeté en bloc: pour lui, tout ça, c’était dans ma tête. Ma mère m’a avoué après coup avoir eu peur de moi. Je me suis sentie blessée, bien sûr. La seule à m’avoir comprise, à n’avoir jamais douté, c’est ma petite sœur. Côté amis, enfin, ce fut plus facile. Je m’étais entourée de gens capables de comprendre ma réalité. Même si cela a provoqué des réactions contrastées, pouvoir aborder le sujet a été libérateur.
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Et puis j’ai entamé une formation de coiffeuse. En même temps, mes facultés extrasensorielles revenaient à mesure que je recouvrais la santé. Pendant une longue période, j’ai vu sous forme de flash-back des personnes disparues; je ne les localisais pas, mais je savais si elles étaient encore en vie ou pas. Puis j’ai commencé à ressentir de plus en plus fort la mémoire des lieux. Les entités ont été les dernières à réapparaître. Elles débarquaient à n’importe quel moment, me demandant de l’aide. Dix années se sont écoulées ainsi, au cours desquelles j’ai cherché à comprendre et à me ressourcer via des livres ou via internet. J’y suis allée à l’instinct.
Un jour, lasse de m’épuiser dans un job où je ne m’épanouissais pas, j’ai tout plaqué pour revenir à la peinture. Après un crochet par Berlin où j’ai appris l’allemand, je me suis installée à Paris avec mon compagnon. Là, je me suis fait un nom avec mes tableaux dans les milieux alternatifs. Mais ce monde underground cumulé avec ma vie parallèle d’hypersensitive m’a vite épuisée. Alors je suis rentrée en Suisse, dans l’intention de prendre du recul.
Fermer les portes avec l’au-delà
C’est là que ma petite sœur m’a parlé de l’école de médiumnité de Neuchâtel, et m’a poussée à y aller. Malgré ma méfiance, j’ai rencontré son directeur, Hannes Jacob. Il m’a confirmé que j’étais médium et m’a conseillé de suivre les cours: non pas pour les contacts, que j’avais déjà, mais pour apprendre à fermer les portes avec l’au-delà et à me protéger. Méditer, s’enraciner... Avoir toute son énergie dans la tête, cela peut provoquer de graves problèmes de santé chez un médium, s’il n’y prend pas garde. Hannes Jacob l’explique très bien dans son livre «Au-delà d’un défunt», où il donne de nombreuses techniques d’ancrage.
C’est ainsi que je me suis lancée. Au fil des mois, j’ai non seulement effectué de belles rencontres – comme celle de Tim Abott, un médium anglais qui m’a encouragée à être fière de ce que j’étais et à me dépasser – mais j’ai aussi appris à gérer mes contacts avec le monde des défunts. Comment expliquer? Avant, j’avais mes petits outils en bois; l’école m’a fourni des instruments en acier chirurgical d’une grande précision qui me permettent de choisir les moments où les entités entrent en relation avec moi et, partant, de mener enfin une vie normale.
Ce tournant a eu des répercussions sur tous les plans. Mes parents ont compris d’un coup ce que j’«avais» et se sont remis en question – nous avons aujourd’hui une relation formidable. J’ai recouvré en partie la santé. Je vis en couple et, parallèlement à la peinture, je pratique occasionnellement comme médium. J’y vais lentement. Le chemin n’est pas terminé. C’est un travail de tous les jours. Mais ça m’a permis d’ouvrir mes ailes. La vilaine petite chenille que j’étais est devenue papillon.
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